Chapitre 3 — Le silence et la morsure

Il était parti avant qu’elle ne se réveille.

Élisa ouvrit les yeux dans le grand lit défait, seule. Les draps portaient encore son odeur, celle de leur nuit, chaude, animale, enivrante. Un vide étrange résonnait dans la pièce. Elle s’assit, nue, les cheveux en désordre, la peau encore marquée de ses mains.

Il n’avait rien laissé. Aucun mot. Aucun signe.

Un sentiment étrange l’envahit. Ce n’était pas du regret. Ni du doute. C’était… une morsure. Une sensation qu’on lui avait pris quelque chose sans prévenir.

Elle se leva, prit une chemise ample dans sa valise, la laissa glisser sur ses épaules, et sortit sur la terrasse. L’île s’étendait, magnifique, intacte. Mais elle, elle ne l’était plus. Quelque chose avait changé. En elle. Et entre eux.

Elle resta là un long moment, à écouter les vagues, le vent, le silence. Puis elle redescendit à l’atelier. L’appareil photo l’attendait sur la table, intact. Les clichés de la veille étaient encore en mémoire.

Elle les fit défiler. Son corps. Sa peau. Ses yeux.

Mais ce n’étaient pas les images qui l’obsédaient.

C’était l’absence de son regard. Cette ombre dans ses pupilles. Comme un fantôme tapi sous la surface. Un secret.

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Elle passa la journée à explorer un peu l’île, prenant quelques clichés, tentant de retrouver son équilibre. Des oiseaux rares, des cascades enfouies dans la jungle, des coins si beaux qu’on aurait cru rêver.

Mais Kaylan restait invisible.

Ce n’est qu’au crépuscule qu’elle le vit.

Il était au bout de la plage, torse nu, assis sur un rocher. Une bouteille de rhum à moitié vide à ses pieds. Il ne la regardait pas. Il fixait l’horizon, les traits figés.

Elle s’approcha lentement.

— Tu fuis ? demanda-t-elle doucement.

Il ne répondit pas. Puis, après un long silence :

— Je ne dors pas. Jamais vraiment. Quand je ferme les yeux, elle revient.

Elle s’assit à ses côtés, à distance.

— Elle ?

— Ma femme.

Un souffle glacé passa sur sa nuque.

Il tourna enfin la tête vers elle.

— Elle est morte ici, sur cette île. Dans cette mer. Juste là.

Élisa le fixa. Elle ne s’attendait pas à ça. Pas aussi brutalement.

— Je suis désolée, murmura-t-elle.

— Tu ne devrais pas l’être. Ce n’était pas un accident.

Il vida son verre, sec.

— Tu veux vraiment rester ici, Élisa ? Dans ce décor de rêve qui pue le sang et la honte ?

Elle s’approcha. Lentement.

— Je ne suis pas ici pour ton passé, Kaylan. Je suis ici pour te voir tel que tu es maintenant.

Il serra les mâchoires.

— Ce que je suis maintenant… n’est pas très recommandable.

Elle le regarda sans ciller.

— Je m’en fous.

Il la regarda longuement. Comme s’il cherchait une faille, un repli dans lequel s’enfuir. Mais elle ne détourna pas les yeux.

Alors il se leva. S’approcha d’elle. Et sans prévenir, il la saisit par la nuque et l’embrassa. Ce n’était pas tendre. C’était possessif. Féroce.

— Tu veux jouer ? Tu veux voir le vrai moi ? Alors regarde bien.

Il la plaqua contre le tronc d’un cocotier, ses mains glissant sous sa chemise, écartant le tissu comme on arrache un voile. Sa bouche descendit dans son cou, ses dents mordirent doucement sa peau.

— Tu n’es pas là pour faire de l’art. Tu es là parce que tu veux être prise. Parce que tu aimes le risque. Parce que tu veux être soumise à quelque chose que tu ne contrôles pas.

Elle haletait, en feu.

— Et toi ? Tu veux quoi ?

Il l’attrapa par la gorge, sans force, mais avec une précision déroutante. Son regard plongea dans le sien.

— Je veux que tu trembles. Que tu oublies ton nom. Que tu me demandes plus encore quand tu penseras avoir tout donné.

Ses doigts glissèrent entre ses cuisses.

Elle gémit, incapable de répondre.

Il la fit jouir contre ce tronc, sans pénétration. Juste sa main. Juste son souffle à son oreille. Et quand elle perdit pied, il la retint, fort.

Puis il la lâcha, comme on libère une proie après l’avoir marquée.

— Va te laver. Tu reviendras ce soir. Nue.

Et il s’éloigna dans la nuit.

Elle resta là, le souffle coupé, la peau tremblante, l’âme retournée.

Elle n’avait plus aucun doute.

Il n’était pas seulement dangereux.

Il était exactement ce qu’elle était venue chercher.