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Le poids du danger

Mais bon, je n’étais qu’une gamine, et je me disais que je devais sûrement me tromper, d’après les dires de ma mère à qui je racontais parfois mes doutes. Cependant, les vacances touchèrent à leur fin, et nous rentrâmes chez nous. Une fois devant la maison, un choc indescriptible nous frappa : elle était sens dessus dessous, méconnaissable.

Le portail était entrouvert, et dès que nous entrâmes dans la cour, nous vîmes des morceaux de verre brisés éparpillés au sol, comme si une bagarre avait éclaté. La porte d’entrée pendait à moitié, la serrure arrachée. À l’intérieur, la maison ressemblait à un champ de bataille : les meubles étaient renversés, les tiroirs vidés, les coussins éventrés. Les murs semblaient avoir été griffés ou marqués de coups violents, et une odeur désagréable de bois brûlé flottait dans l’air.

Alors que nous observions l’ampleur des dégâts, la domestique accourut vers nous, son visage blême et son souffle coupé.

— Ils sont revenus, madame ! bredouilla-t-elle. Ils ont mis la maison dans cet état.

Ma mère la fixa, les yeux écarquillés.

— Où est mon mari ?

La domestique hésita une seconde, puis désigna l’escalier.

— À l’étage, madame.

Sans perdre un instant, ma mère me confia à la domestique et monta précipitamment les marches. Arrivée dans leur chambre, elle eut un cri étouffé en découvrant mon père allongé sur le sol, inconscient. Son visage était marqué de bleus, et des traces de coups de couteau parsemaient son corps. Le lit, autrefois impeccablement fait, était taché de sang. Elle crut qu’il était mort.

— Mon Dieu… murmura-t-elle, une main sur sa bouche.

Elle appela immédiatement les secours, la voix tremblante. En moins de trente minutes, une ambulance arriva, et les médecins prirent mon père en charge. Pendant tout ce temps, ma mère restait figée, les yeux rouges d’avoir pleuré.

Les jours qui suivirent furent un véritable tourbillon d’incertitude. Nous n’osions pas retourner à la maison. Ma mère décida que nous dormirions à l’hôtel, malgré nos faibles moyens.

L’hôtel où nous étions n’était pas luxueux, mais ma mère veillait à ce que je sois à l’aise. Les chambres étaient petites, avec un papier peint défraîchi et une odeur de renfermé, mais elle me serrait dans ses bras chaque soir pour me rassurer. Pendant cette période, je ne retournais pas à l’école, et ma mère ne travaillait plus.

— Pourquoi on ne peut pas rentrer chez nous ? avais-je demandé un soir, ma voix pleine d’innocence.

Ma mère avait souri tristement et caressé mes cheveux.

— On doit rester ici pour l’instant, Lucie. C’est plus sûr pour nous.

Deux semaines plus tard, mon père sortit de l’hôpital, bien que son état soit encore fragile. Mais il insista pour que nous rentrions chez nous, malgré les supplications de ma mère.

— Je ne veux plus que l’on retourne là-bas ! cria-t-elle.

Mon père, fatigué mais déterminé, lui répondit d’une voix ferme :

— Ça ne sert à rien de rester ici. On est sans rien faire, et pendant ce temps, mes affaires stagnent. Plus les jours passent, plus les intérêts de ma dette augmentent.

Ma mère haussa le ton, ses yeux remplis d’une colère mêlée d’inquiétude.

— Tu veux mettre la vie de ta fille en danger ? Pourquoi ? On était bien sans cette entreprise de malheur !

Mon père détourna le regard, visiblement agacé. Après un moment de silence, il marmonna :

— Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu dis ça devant elle ?

Ma mère baissa les yeux, caressant distraitement son ventre.

— Merde… murmura mon père, en fixant son ventre avec suspicion. Merde ! T’as arrêté de prendre la pilule ?

Il se frappa la tête contre le mur, les poings serrés.

— Ce n’est pas le moment pour un deuxième enfant ! cria-t-il, la voix tremblante de rage et de désespoir.

— Je ne compte pas avorter, répondit ma mère, les larmes aux yeux.

Mon père passa une main sur son visage, agité.

— Lucie n’est même pas en sécurité ici, et ce bébé… il ne viendra pas arranger les choses. Comment tu peux penser à ça ? Avec quel argent je vais m’occuper de lui ?

Ma mère s’approcha de lui, cherchant à apaiser sa colère.

— On va s’en sortir, murmura-t-elle, sa voix pleine d’espoir.

— “On” ? C’est toi qui étais à l’hôpital ? Tu sais ce qu’ils sont capables de faire, bon sang !

Il donna un coup violent contre le mur, son corps secoué par la frustration.

— Il ne peut pas naître, insista-t-il, presque en suppliant.

Ma mère se recula, choquée.

— Tu veux que je… que je tue notre enfant ? chuchota-t-elle, les larmes coulant sur ses joues.

— Oui. Oui, je veux, répondit-il, sa voix brisée par la douleur et la colère.

À ce moment-là, je quittai mon coin et m’avançai timidement vers ma mère, les yeux brillants d’inquiétude. Je lui tirai doucement la main, et elle baissa les yeux vers moi.

— Maman, dis-je d’une petite voix, ça va aller…

Je tendis mes bras vers elle, et elle m’attira contre elle avec une douceur infinie. Je sentis ses larmes tomber sur mon épaule, mais elle me serrait comme si j’étais tout ce qui lui restait.

Mon père, debout à quelques pas, passa une main sur son visage, pris de remords. Sa voix, autrefois dure, se fit plus basse, presque murmurée :

— Je… je ne veux pas que vous souffriez, dit-il finalement, mais on est piégés…

Ma mère ne répondit pas. Elle continuait de me tenir contre elle, en caressant doucement mes cheveux, comme si ce simple geste pouvait chasser toutes les ombres autour de nous.

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