Chapitre 5
Chapitre 5.
***Kaba MPIGA épouse CHAMOUN***
J’ai pu dormir un peu après le départ d’Imalet. A mon réveil j’ai fait le ménage et la cuisine. Un couscous royal, le plat préféré de mon mari. Je l’ai fait comme l’une de ses cousines me l’avait appris une fois. En dessert, je lui fais des Maamoul, des biscuits fourrés à la datte. Imalet en raffole. Avant le retour de mon mari, je fonce me doucher et mettre des vêtements qui ne sentent pas les odeurs de cuisson.
Imalet rentre à 18h. Je suis encore sous la douche.
Moi : bonsoir chéri.
Imalet du bout des lèvres : bonsoir.
Moi : tu rentres tôt aujourd’hui.
Sans me répondre, il quitte la chambre. Je n’aime pas quand il m’ignore comme ça. Je finis de m’apprêter et le suit au salon. Il ne s’est pas changé, c’est étrange.
Moi : je t’ai fait ton plat préféré. Et ton dessert préféré.
Toujours aucune réponse jusqu’à ce que j’entende la voix de ma grande sœur. Je ne l’ai pas rappelée de la journée mais je pense que tout va bien. Je vais l’accueillir avec un grand sourire et l’expression de son visage me refroidit. Elle me pousse pour entrer et va saluer Imalet qui retrouve instantanément l’usage de sa voix.
Ya Leslie : maman a refusé de venir tout comme Ya Claude (notre ainé). Tous deux me donnent un message pour toi : tu as assez supporté les conneries de ta femme. Tu as prouvé au monde que tu l’aimais. Même si le divorce n’est pas quelque chose qu’une mère ou un frère accueille avec le sourire, ils doivent aussi penser à ton bien-être, ton bonheur. Ils te demandent pardon pour Kaba mais si tu décides de la mettre dehors, ils comprendront.
J’encaisse ses paroles comme des coups de poignards. Ma propre famille.
Imalet : sincèrement Ya Leslie, avant que le problème n’arrive, prends ta petite sœur. Comme je t’ai dit au téléphone, si un jour malheur lui arrive là où elle va souvent boire son vin jusqu’à pas d’heure, c’est un autre français que vous allez parler. La douleur cherche toujours un coupable. Vous oublierez comment était votre fille. Qu’elle parte. Qu’elle aille réfléchir à ce qu’elle veut faire de sa vie. Quand elle aura trouvé, qu’elle revienne me dire. Si la place est libre, c’est tant mieux. Sinon, c’est tant pis.
Je suis là, tête baissée à écouter. Imalet me met vraiment dehors ?
Ya Leslie en langue : Madame ? Tu as entendu non ? Va prendre tes choses on part.
Je ne bouge pas et elle répète mais cette fois en français « va chercher tes choses je dois aller m’occuper de mes enfants. »
Moi après m’être raclée la gorge : je vais venir moi-même samedi.
Elle regarde Imalet qui acquiesce.
Imalet et ma sœur se mettent à discuter comme si de rien n’était. « Un cœur me dit » que c’est faux, c’est juste pour me donner une leçon. Mais d’un autre côté, j’ai peur. Je dresse la table et invite les deux autres à manger. C’est à ce moment que j’apprends que Monsieur est attendu chez ses parents pour manger. Toute la nourriture que j’ai cuisinée était pour rien ? Je vais cacher ses clés et son portefeuille. Qu’il marche alors !
Il se rend compte de mon coup quand il veut remettre à Ya Leslie de quoi prendre le taxi. Je n’ai jamais rien pris, je ne sais pas de quoi il parle. Je fais un transfert d’argent à ma sœur et Monsieur mon mari se retrouve bloqué à la maison.
Moi : si tu veux, on y va ensemble. J’ai fait la cuisine pour toi et pas question de jeter.
Finalement j’embarque mes marmites et on se rend chez ma belle-famille. Je vois aux visages la surprise, mais aussi la colère. Comme nous sommes en retard et que beau-papa a des heures pour manger, on passe immédiatement à table. Je remets mes marmites à leur domestique en lui demandant de faire chauffer. A table, je me fais petite. Mon beau-père ne me parle que parce qu’il se régale de mes desserts. Imalet est très attaché à la cuisine de son pays d’origine. Même si je lui fais découvrir les mets de chez nous, j’ai vite appris ceux de chez lui.
Personne ne parle de tout le repas. Puis on se dirige tous au salon pour boire du thé et fumer pour d’autres. C’est le moment propice pour me lancer
Moi : je tenais à vous présenter mes excuses par rapport à mon comportement. Je n’avais pas conscience à quel point cela pouvait avoir un impact sur vous. Du fond du cœur, je vous demande pardon.
J’ai mis la pièce dans le jukebox. Ils se mettent à piailler en arabe en même temps. Imalet reste tête baissée visiblement énervé. Mais je capte un mot, plutôt un nom. Ce nom peut me « faire sortir en vampire ». Ce nom peut me faire « déshabiller les habits ». Rockaya. L’ex d’Imalet à qui je suis constamment comparée. Celle qu’il était sensé épouser. Les parents s’étaient déjà arrangés entre eux.
Que la belle-famille prononce ce nom devant moi m’énerve. Je considère cela comme un manque de respect. Mais qu’Imalet ouvre sa bouche pour en faire autant… peu importe la phrase, le pourquoi du comment, il ne doit jamais prononcer ce nom. Et je ne me gêne pas de le lui faire savoir.
***Fawaz IMALET-CHAMOUN***
Depuis qu’on a quitté chez mes parents, Kaba ne cesse de me pomper les oreilles avec « Rockaya ». Quelqu’un qui ne parle pas arabe, mais elle arrive à détecter ce nom au milieu d’une conversation.
Kaba me suivant partout dans la maison : si c’est pour aller l’épouser que tu veux me mettre dehors, je ne sors pas tu comprends non ? Je ne pars pas.
Je le sais qu’elle n’a jamais eu l’intention de partir samedi comme elle l’a dit à sa sœur. Et si je voulais vraiment la faire partir, elle ne serait plus ici. Surtout, je ne l’aurais pas emmenée chez mes parents. La vérité est que je suis fou de cette fille. J’aime sa folie… à petite dose. Mais son amour pour la fête, le dehors, j’ai trop donné.
Kaba : vous avez repris c’est ça ? Tu t’es remis avec elle n’est-ce pas ?
Moi : quand tu délaisses ton foyer, ne viens pas te plaindre que quelqu’un d’autre vienne te remplacer.
Je ne voulais pas la blesser. Aussitôt après avoir prononcé ces paroles, je les ai regrettées. Kaba est persuadée qu’un jour je lui imposerai une seconde épouse malgré le fait qu’on soit mariés sous le régime monogame et le prénom de mon ex réussit à réveiller ses démons les plus endormis. Je n’ai pas besoin de m’inventer une vie pour la recadrer, je déteste ça car c’est de la manipulation.
Kaba la voix tremblante : tu t’es remis avec elle ?
Moi après un soupir : non.
Elle souffle de soulagement, la main sur la poitrine sous mes yeux. Quand je dis que cette fille n’est pas comme toutes les autres.
Kaba après s’être remise de ses émotions : tu sais que tu ne pourras pas te débarrasser de moi non ? Appelle qui tu veux, tu ne me feras pas sortir de cette maison. Et si tu pars, je te suivrai. Tu sais tout ça non ?
Elle réussit à me faire sourire alors que je ne le voulais pas. Elle vient se placer devant moi et m’enlace à la taille.
Kaba : pardonne-moi. J’ai compris.
Moi la fixant : tu comprends toujours.
Kaba : cette fois c’est différent. J’ai compris que j’avais franchi la limite.
Elle pose ses mains sur mes épaules en se mettant sur la pointe des pieds et me regarde intensément. J’aime ce petit bout de femme. Je me penche vers elle et on s’embrasse passionnément. Elle grimpe sur moi et je la soutiens en la tenant par les fesses. Ses jambes s’enroulent autour de mes hanches et ses bras autour de mon cou. Je nous dirige vers notre chambre pour la posséder.
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Mon souhait le plus cher est de voir ce petit ventre que je caresse rassasié de son corps, prendre du volume. Elle me caresse la tête, joue avec mes cheveux. Ça va faire quatre ans que j’attends qu’elle m’annonce cette bonne nouvelle, je ne rêve que de ça. Un petit être qui serait la fusion de l’amour de ma vie et moi. Seulement, elle ne m’annonce rien. J’ai peur d’aborder le sujet et d’ouvrir une boite de pandore. Parfois il faut juste être patient. Sauf que je commence à en manquer de patience.
Je continue de caresser son ventre.
Kaba brisant le silence : tu te sens prêt pour ça ?
Moi : pour ?
Kaba : un bébé.
J’ai envie de lui dire que je n’attends que ça.
Moi : oui.
Elle reste étrangement silencieuse un moment.
Kaba : ça fait deux ans que j’essaie. J’ai même déjà déclenché des ovulations pour tomber enceinte. Quand je te sautais dessus pendant toute une semaine et refusais de voir ta fatigue, c’est parce que j’essayais. Mais…
Je me redresse et la regarde. Surpris et un peu déçu de l’apprendre.
Kaba : on devrait peut-être consulter.
Moi : tu ne l’as jamais fait ?
Kaba : j’avais trop peur des résultats. Mais peut-être que c’est quelque chose qui peut être régler si détecté à temps.
Moi brusquement : on ira consulter.
Je ne veux pas entendre la suite. Je ne veux pas ne serait-ce qu’imaginer que… Deux ans ?
Kaba : si le problème vient de moi, je te laisserai partir sans faire d’histoire.
Moi choqué : de quoi est-ce que tu me parles encore ?
Kaba se mettant à pleurer : Imalet, ta famille n’acceptera pas et tu le sais. Je ne veux pas te mettre dans une situation ou tu devras choisir entre eux et moi. Pour le moment ils me tolèrent et c’est vrai que par mon comportement, je leur donnais un peu raison. Mais tu sais qu’ils pensent que tu mérites mieux. Tu sais comment ça se passe chez toi comme chez moi. Une femme stérile n’a aucun respect, aucune considération, aucune utilité.
Moi : chérie…
Kaba : ou on te demandera de prendre une deuxième femme et je ne supporterai pas de devoir te partager. Tout comme je ne peux pas t’empêcher de devenir père si tu le peux. Je te vois, je sais que tu veux devenir papa. Je te vois avec tes nièces et neveux.
Moi calmement : tu veux donc me dire Kaba que si le problème vient de moi tu partiras ? Ou tu iras faire un enfant dehors ?
Kaba : ce n’est pas pareil.
Moi : je ne comprends même pas pourquoi on en parle. Peut-être que ni toi ni moi n’avons de problèmes. Il y a des couples qui essaient, calculent des années en vain. Et au moment où ils s’y attendent le moins, le miracle se produit.
Elle vient se cacher contre ma poitrine pour pleurer. Je sais que tous mes efforts pour la rassurer sont vains. Maintenant je comprends mieux cette histoire de « mes parents vont m’obliger à prendre une deuxième épouse », je comprends mieux ses craintes. Pour le moment, je préfère ne pas spéculer et me concentrer sur le plus importants : faire des examens afin de comprendre pourquoi en quatre ans de mariage nous n’avons pas réussi à tomber enceinte.
Je l’embrasse pour la faire taire. On fait l’amour passionnément mais ça ne suffit pas. Elle a peur, je peux le sentir.
Moi : Madame CHAMOUN, je t’aime comme je n’ai jamais aimé une femme avant.
Kaba : même elle ?
Je préfère en rire.
Moi : elle qui ?
Kaba : elle.
Moi : dis son nom.
Kaba : tchip !
Je la serre dans mes bras et pose un baiser sur son front.
Moi : tout problème a une solution. Qu’importe ce qui nous attend, promets-moi de ne jamais me lâcher la main. Qu’importe la pression externe on se retrouvera ici, dans cette chambre pour se donner mutuellement de la force. Pas pour se battre ni pour s’accuser mais pour se donner de la force l’un à l’autre.
Kaba : ok ! Mais si ça devient trop difficile ?
Kaba : chaque problème a une solution mais le divorce n’est pas une solution.
