Chapitre 4
Chapitre 4.
***Ariane MEYE***
Voilà une quinzaine de minutes que je propose cinq cent pour l’échangeur de IAI depuis la zone industrielle d’Oloumi mais personne ne veut me prendre. Les taximen de ce pays fument souvent le caillou humide. Ils veulent que je propose combien ? Et sous ce soleil, comment ne pas devenir nerveuse ?
Un taxi m’accepte enfin et je me dépêche de monter. Quand je descends de ce premier véhicule, il me faut ensuite traverser la route pour prendre un clando (transport suburbain moins cher) qui me laisse à l’entrée de chez moi. Quelques huit mètres et je pousse le portail de la concession où je vis avec mon petit ami et notre fils. Ces derniers sont en cuisine en train de faire une commande de gâteau. Mon homme étant fan de pâtisserie, je l’ai encouragé à se perfectionner dans ça et d’en faire un métier. Sa famille l’a très, très, très mal pris. Mais on y reviendra.
Je vais me changer dans la chambre totalement épuisée. La porte s’ouvre, Yohan entre et referme automatiquement la porte derrière lui. Il fonce sur moi, me pousse à m’allonger tout en m’embrassant. J’ai marché toute la journée, j’ai transpiré, je ne me sens pas à l’aise pour ce qu’il veut actuellement.
Moi le repoussement gentiment : laisse-moi au moins me doucher. J’ai transpiré toute la journée.
Il ne m’écoute pas, sa main se glisse entre mes cuisses que je serre fort. Ses doigts emprisonnés me pincent me forçant à relâcher. Il parvient à obtenir ce qu’il veut et je dois me couvrir la bouche pour ne pas que notre fils entende.
Yohan en allant et venant vigoureusement en moi : tu as fait quoi aujourd’hui ?
Evidemment que je suis dans l’incapacité de lui répondre. Il le sait, ça l’amuse de me torturer ainsi.
Yohan : je t’ai posé une question.
Il n’obtient de réponse qu’à la fin de notre petite affaire.
Moi : j’étais au travail, ensuite je suis allée à Petit Dubaï. J’ai vu des trucs qui pourraient t’intéresser mais j’ai préféré te demander ton avis avant d’acheter.
Yohan et moi sommes ensemble depuis six ans. Lorsque je l’ai connu, il ne faisait absolument rien. Il trainait au quartier à boire et débattre de sujets qu’il ne maitrise pas. Pourtant il avait un talent fou pour la pâtisserie. Je ne parle pas de simples gâteaux, je parle de vraies œuvres d’art. Aussi beau que bon. Moi, j’étais déjà infirmière dans une clinique privée. Dès que nous nous sommes mis en couple, je l’ai obligé à se lancer dans la pâtisserie pour y faire carrière. J’ai payé les formations de ma poche car trois mois seulement après que je ne l’ai accepté, j’étais déjà enceinte de lui. Certains pourraient désapprouver, mais je l’ai fait pour mon enfant et aujourd’hui je ne regrette pas. Nous ne sommes pas riches mais nous vivons mieux que si on ne devait compter que sur mon salaire.
Il vivait dans la maison familiale sans intention aucune d’y bouger. Là encore j’ai bataillé dès que l’argent a commencé à entrer pour qu’on réfectionne une vieille case qui trainait au fond de la cour du terrain familiale. Évidement tout ceci après avoir fait les papiers, ce qui m’a valu la foudre de sa famille qui vous l’avez compris ne porte pas particulièrement dans leur cœur. Mais pour moi il était primordial de m’assurer que personne ne viendrait me déposséder un jour de mes biens. Les histoires de terrain familial ont fait tellement de dégâts dans ce pays… J’ai certes investi dans cette maison, sans être mariée mais je me suis rapprochée d’un notaire qui m’a conseillée et orientée. Le jour où on se sépare, je ne sors pas de là avec zéro comme beaucoup de femmes qui finissent les mains à la tête. Oui les frais de notaire ne sont pas donnés, oui c’est un vrai parcours du combattant, mais au moins j’ai assuré mes arrières. Le jour où la relation finit, j’ai de quoi rebondir.
Je disais donc que la famille de Yohan ne m’aime pas. Pourquoi ? Principalement parce que je suis fang. Aussi simple que ça. La règle dans cette famille est simple : « tout sauf un(e) fang ». J’avais lu ce slogan sur les réseaux sociaux un jour et avais cru que ce n’était rien qu’un idiot qui voulait se rendre intéressant, et pourtant... Dès que j’ai donné le nom de mon village, à l’instant même j’étais devenue l’ennemie à abattre.
Pour justifier leur tribalisme, ils disent que nous sommes envahissants. Pourtant je n’ai jamais vu une mère aussi intrusive que celle de Yohan dans la vie de ses enfants. Beaux-fils comme belles-filles, tous se plaignent qu’elle veut contrôler leurs foyers. Ils disent que nous sommes des sauvages, des barbares. Mais la facilité que les femmes de cette famille ont a montré leur nudité aux gens avec qui elles sont en palabre me sidère. Petite chamaillerie elles t’ont déjà montré les fesses pour te maudire. Ils disent que nous nous croyons supérieurs aux autres que nous méprisons. Le mot « bilope » (non fang) fait mal, mais demandez-leur comment ils appellent les gens qui ne sont pas de leur ethnie, demandez-leur comment ils appellent les fang. On se sent supérieur ? Qui chante partout qu’ils sont supérieurs aux autres pour avoir été les premiers à côtoyer les colons ? A avoir un mode de vie qui se rapproche le plus du colon.
Oui tout ce qu’ils disent sur les fang est vrai. Nous sommes envahissants, barbares, imbus de nous-mêmes, et bien plus encore, c’est vrai je ne le nie pas. Mais je ne représente pas tous les fang. Ils ne m’ont pas laissé l’occasion de faire mes preuves que déjà j’étais cataloguée et tout ce que je pouvais faire, regardé de travers. J’ai vécu dans une famille où ma mère n’était pas accepté de sa belle-famille pour les mêmes raisons (elle est fang, mais pas de la même province que mon père). Donc leurs conneries ne m’atteignent pas. Je m’occupe de mon foyer, de ma petite famille. Le business de Yohan évolue bien, on a commencé à épargner pour aller construire ailleurs. En attendant je serre seulement le cœur.
Yohan et moi sortons de la chambre main dans la main tout sourire. Encore ivre de dopamine. Je passe en cuisine voir ce qu’on pourrait manger le soir. Côte de porc et riz rouge me parait une bonne idée. Simple et rapide. En plus mes deux hommes en raffolent. Je trempe la viande lorsque j’entends des voix provenir du salon. Je reconnais la voix de la mère de Yohan. Je ne m’occupe pas et finis ce que je fais dans ma cuisine avant de sortir lui dire bonjour.
Moi : je te donne à boire ?
BM : j’ai déjà envoyé quelqu’un m’acheter la bière merci.
Je m’assois. Mère et fils parlent dans leur langue alors que je suis là, mais on va dire que ce sont les fang qui aiment faire ça. Comme je l’ai dit, ça ne m’atteint plus.
Moi : j’ai fait sortir les côtes de porc, tu vas manger avec nous ?
BM : non. Ma fille m’a fait issènènè (couteaux de mer).
Moi : d’accord, je suis à la cuisine.
C’est comme ça ici. On se tolère dans le respect. Je m’occupe du repas du soir lorsque Yohan entre dans la pièce en se grattant la tête. Quand il veut aborder un sujet qui peut m’énerver, il commence toujours par…
Yohan : euh ! On dit ça comment ?
Je me prépare déjà à faire des exercices de respiration pour garder mon sang froid.
Yohan : euh ! Donne-moi d’abord deux cent mille dans la caisse s’il te plaît.
Moi : pour faire quoi ?
Yohan : bon… euh ! En faite maman est venue m’expliquer un problème. Je vais rendre hein.
Je ne réponds pas. Enervée, je me rends dans la chambre. Je ferme la porte à clé derrière moi et sors la caisse de laquelle je retire deux cent mille. Je retourne dans la cuisine lui donner les billet gonflée comme un pain.
Yohan : je vais rendre la semaine prochaine.
Je ne réponds pas. La deuxième raison pour laquelle sa famille ne m’aime pas, c’est parce que je ne viens pas d’une grande famille. Avant moi, il sortait avec la fille d’un homme politique et sa mère n’accepte pas que son fils puisse retomber aussi bas après avoir flirté avec les « grands gens ». Quand j’ai encouragé Yohan à se perfectionner dans la pâtisserie, ça a été un scandale. Son fils pâtissier, lui si beau ? Lui au teint clair ? On m’a traité de sans ambition, on a dit que j’avais une mentalité de pauvre et c’est pour ça qu’elle ne voulait pas de moi. Aujourd’hui on vient demander deux cent mille.
Cette caisse c’est pour acquérir un terrain. On veut quelque chose qui ne soit pas trop loin de la ville avec possibilité de faire construire la cuisine de Yohan sur place. Pour ça il va falloir casquer. Il y a deux semaines on est venu prendre cinquante mille, hier trente, aujourd’hui deux cent. Je ne parle pas. Quand ça va me monter à la tête, j’irai acheter mon terrain seule même hors de la ville.
On n’entend pas ma voix de la soirée même si mon visage n’exprime pas mon mécontentement. Après manger je vais me coucher.
Yohan : c’est ça que je n’aime pas avec toi. Je t’ai dit que j’allais rendre non ?
Moi : Yohan ne rend pas si tu veux. Pour construire il faut faire des sacrifices sauf si tu es Ministre. On cherche un terrain, quand la bonne occasion va se présenter, il faut qu’on soit prêts. Il ne reste que deux million trois dans la caisse, chaque jour on vient prendre.
Yohan haussant le ton : j’ai dit que je vais rendre. Tu sais pourquoi elle m’a demandé ça ?
Moi : je ne veux même pas savoir Yohan. Je te dis simplement que j’en ai marre. Pour que tu deviennes pâtissier il a fallu que je me batte. Pour qu’on quitte chez ta mère il a fallu me battre. Je ne vais pas passer ma vie à me battre, je ne suis pas Francis NGANNOU. Pour ce terrain, je ne vais pas me battre Yohan. Tout comme je ne vais pas finir ma vie dans cette maison.
Yohan : …
Moi en grimaçant énervée : je veux un deuxième enfant, je veux un deuxième enfant. Pour le mettre où ? Tu vois de la place ici ? On va se serrer à quatre dans la petite chambre la ? Tu ne penses pas aussi à aller voir mes parents, pour ça aussi je dois me battre ?
Yohan : …
Moi : tu ne diras pas que je ne t’ai pas averti.
Il sort de la chambre en claquant la porte. Qu’il casse même. Tchip !
Mon fils vient me trouver sous les draps. On se câline, se raconte nos journées, puis il va se mettre dans son lit à lui. Il grandit et j’ai de plus en plus peur qu’il nous surprenne en plein ébat au milieu de la nuit, on doit partir d’ici.
Le jour suivant, je fais mon ménage le matin car je suis de garde le soir. J’apprête le repas du soir ainsi que les vêtements avec lesquels mon fils ira à l’école le jour suivant. Puis je vais chercher mon argent. Être infirmière ça a aussi ses avantages en pourboires même si ce n’est vraiment pas un métier facile.
Yohan et moi ne nous sommes toujours pas parlés. Je ne serai jamais de ces femmes qui se fâchent parce que Monsieur aide sa famille. Moi-même c’est le frère de ma mère qui a payé mes études d’infirmière et la sœur de mon père m’a mise dans une école privée avec cours de soutien mon année de Terminale après avoir échoué au bac. Je ne suis pas contre la solidarité familiale, je veux juste qu’il prenne conscience que nous avons un projet. Il ne peut pas à chaque fois piocher dans la caisse. Mais bon, je n’aime pas lorsque nous sommes fâchés. Lorsque tout est calme à la clinique, je lui envoie un message. Sauf qu’il n’est plus en ligne depuis un bon moment.
Le lendemain, avant de rentrer, je m’arrête dans un super marché faire les courses du petit-déjeuner. Lorsque j’arrive chez moi, je trouve l’une des cousines de Yohan en train de nettoyer chez moi. Pourquoi alors que je l’ai fait hier avant de partir ? Je connais les éléments, après c’est pour aller raconter partout que ma maison était sale et que je suis incapable de tenir un foyer.
Moi : Yohan est où ?
Elle : bonjour d’abord, on n’a pas dormi ensemble.
Moi : bonjour. Yohan est où ?
Elle : il est sorti.
Je ne dis rien. Je sors de garde et je suis fatiguée. Je vais ranger mes courses puis je me rappelle que j’ai complètement oublié d’acheter le riz. Je vais chez le boutiquier quand je vois Yohan sortir d’une des maisons de la concession avec une fille. Une fille du quartier.
Moi en hurlant : YOHAN !
Il sursaute en se retournant. La fille veut fuir mais je la rattrape et la roue de coups. Yohan nous sépare et je lui donne aussi sa part. Gifles, coups de poing, coups de pied, je frappe partout où je peux jusqu’à ce que ses sœurs et cousines viennent me tirer et en profiter pour me donner des coups. Soi-disant que je ne peux pas frapper leur frère devant elles. Ah bon ? C’est aujourd’hui que je vais vous donner la preuve que les fang sont des barbares. J’attrape une et me concentre sur elle. Plus les autres me frappent, plus je la frappe. C’est elle qui supplie ses parents de me laisser.
Je fonce droit dans la maison balancer mes affaires importantes dans un sac de voyage en pleurant. J’ai mal, j’ai vraiment mal, mais la douleur n’est pas physique. S’investir autant dans une relation, donner autant de son temps et de sa personne pour quel résultat ?
Yohan débarquant dans la chambre : Ariane attends. Viens je veux te parler.
Il sort à chaque fois les affaires que je mets dans le sac et ça finit par m’énerver. Il m’immobilise contre lui. Dos à lui, il a bloqué mes deux bras sur mon ventre. Je suis hystérique, folle, aveuglée par la colère et la douleur, je n’entends rien.
Moi en hurlant et me débattant : YOHAN LACHE-MOI ! LACHE-MOIIIIIIIIIIIIIIIIIII !
Rien, il me maintient dans cette positions en me demandant de me calmer.
Sa mère en langue : ah laisse-la partir !
Moi respirant tel un taureau : Yohan lâche-moi !
Yohan : calme-toi d’abord. Tu vas partir, mais calme-toi d’abord.
Sa mère : qu’elle parte ! C’est une femme ça ? N’importe quoi !
J’ai tellement mal. Ce n’est pas Yohan qui peut me faire ça.
Au bout d’un moment, je retrouve une rythme cardiaque normal sans arrêter de pleurer. Yohan me lâche enfin. Je vais prendre la caisse. Au milieu des billets de banques, il y a une feuille qui indique à hauteur de combien chacun a cotisé. Je prends mon million dix mille et le range dans mon sac à main. Puis je prends quelques vêtements pour mon fils et moi.
Yohan me suppliant : Ariane s’il te plaît. Je te demande pardon. Pardon mon amour.
Au moment où il se met à genoux devant moi, sa mère perd tous ses moyens et se met à hurler les mains sur la tête. Elle ne m’intéresse même pas. Si j’ai accepté de supporter la manière dont ces gens me traitent, c’est par amour pour mon homme. Le même qui me poignarde en allant coucher avec les petites saligaudes du quartier.
Yohan : Ariane pardonne-moi.
Moi : tu vas venir expliquer à mon père à quel moment je suis devenue le tam-tam de ta famille.
Sur ce je sors de la chambre avec un Yohan qui me suit à la trace. Aujourd’hui je comprends pourquoi nos mères nous disent toujours de ne pas avoir pitié des hommes. C’est Yohan qui m’a fait ça ? Ok !
