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Comment manipuler ton amour : étape #1

Je n’ai pratiquement pas dormi cette nuit-là.

Trop d’idées, trop de phrases dans ma tête. Des scénarios entiers que je m’inventais les yeux ouverts. Moi et Eliott. Moi face à Seth. Moi contre Camille.

Un échiquier dans ma tête, et moi au centre, reine imprévisible.

Ce n’était plus une question d’amour, ni même de vengeance. C’était une question d’existence.

Je voulais compter. Je voulais être un choix. Une priorité. Pas un secret, pas une erreur, pas un silence gêné.

Quand je suis arrivée au lycée ce matin-là, j’étais calme. Trop calme.

Comme avant une tempête.

J’ai repéré Eliott dès les premières minutes. Il était près de son casier, entouré de deux ou trois potes qui riaient trop fort à une blague pas drôle. Il m’a vue tout de suite. Et il s’est détaché du groupe, naturellement, comme s’il n’attendait que ça.

– Bien dormi ? m’a-t-il lancé, avec ce ton léger qui masque toujours un fond plus dense.

– Pas vraiment.

– Moi non plus. C’est mauvais signe, tu crois ?

Je n’ai rien répondu. Je me suis contentée d’un demi-sourire.

Il m’a regardée comme s’il cherchait à me lire, ligne après ligne. Et dans ce regard, j’ai cru percevoir autre chose. Une nuance. Peut-être du doute. Peut-être un début d’attachement.

Mais je n’étais pas prête pour ça. Pas encore.

Pendant les cours, il n’a presque pas cessé de me lancer des regards. Des discrets. Des insistants. Des curieux.

Et Seth…

Seth ne disait rien, mais je sentais sa tension.

Il me regardait aussi, mais pas de la même façon.

Il était ailleurs, plus fermé, plus silencieux. Camille essayait d’attirer son attention avec de petites caresses, des chuchotements, des blagues mal placées. Mais il était froid.

J’en ai presque eu pitié pour elle. Presque.

À la pause de dix heures, Camille m’a approchée.

– Salut Léa, tu vas bien ? m’a-t-elle demandé avec ce sourire trop poli pour être sincère.

Je n’étais pas d’humeur à faire semblant.

– Parfaitement.

Elle a hoché la tête, les yeux plantés dans les miens, un peu trop insistants.

– Je voulais te dire… Je trouve que tu changes, ces derniers temps.

– Ah bon ? En bien ou en mal ?

– Je sais pas trop. Tu es différente. Plus… présente. Disons que tu te fais remarquer.

J’ai souri, sans détourner le regard.

– Peut-être que j’en avais marre d’être invisible.

Elle n’a rien répondu tout de suite. Un battement de cil. Une hésitation. Puis :

– Fais juste attention. Tu sais, les gens ne montrent pas toujours leur vrai visage.

Et elle est partie.

Un avertissement déguisé. Ou une menace ?

Peu importe. Je n’avais pas peur d’elle. J’étais fatiguée d’avoir peur, tout court.

Le soir est arrivé plus vite que prévu.

J’avais dit oui à Eliott, et maintenant, je ne savais plus très bien ce que j’attendais de cette sortie.

Une distraction ? Une revanche ? Une possibilité ?

Je me suis préparée doucement. Rien d’excessif. Un sweat ample, un jean, mes cheveux détachés. Naturelle. C’était ce que je voulais renvoyer. Comme si tout cela m’était égal.

Mais ce n’était pas le cas.

Mon cœur battait trop vite quand je l’ai vu m’attendre au bout de la rue. Il portait une veste sombre, un bonnet légèrement enfoncé sur ses cheveux décoiffés, et ce regard…

Ce regard qui fouille.

Qui devine.

Qui touche sans contact.

– Tu es prête ?

J’ai hoché la tête.

On a marché sans vraiment parler au début. Il faisait froid, mais pas trop. Le genre de soirée qui invite à se rapprocher sans oser le faire.

– T’es souvent comme ça ? il a fini par dire.

– Comme quoi ?

– Silencieuse. Observatrice. En retrait.

Je me suis arrêtée un instant. J’ai fixé un point devant moi, quelque chose de flou dans le ciel.

– J’étais. Avant. Maintenant, je change.

Il m’a observée de côté, un sourcil haussé.

– Tu veux changer pour toi ? Ou pour les autres ?

– Pour exister.

Il a souri. Un sourire lent, presque triste.

– Tu existes déjà. Crois-moi.

On a fini par s’asseoir sur les marches désertes d’un vieux bâtiment fermé à cette heure. Il y avait une vue sur la ville, sur les lumières des voitures et les fenêtres éclairées.

– Et toi ? j’ai demandé. Tu changes aussi ?

Il a soufflé un rire discret.

– J’ai toujours été l’ombre. Le second. Celui qu’on remarque après Seth. Le jumeau silencieux. Le mec sympa. Ça me va, tu sais. J’ai appris à vivre avec ça. Mais toi… t’es différente. Tu bouscules les choses.

J’ai tourné la tête vers lui.

– Tu me regardais déjà avant que je dise à Seth que je l’aimais.

Il a baissé les yeux.

– Peut-être. Mais j’ai rien fait. Par loyauté. Par lâcheté, aussi. J’en sais rien.

Je me suis rapprochée d’un cran. Pas beaucoup. Juste assez pour que nos épaules se touchent à peine.

– Et maintenant ?

– Maintenant je fais un truc égoïste.

– Moi aussi.

Nos regards se sont croisés. Il s’est penché, lentement. Pas pour m’embrasser, non. Pour me lire. Pour voir si je mentais.

Et je ne mentais pas.

Il m’a raccompagnée chez moi un peu avant vingt-deux heures. On ne s’est pas embrassés.

Pas cette fois.

Mais je savais que ça viendrait.

Je le voulais. Pas pour les bonnes raisons, peut-être. Mais je le voulais quand même.

Quand je suis montée dans ma chambre, j’ai allumé mon téléphone.

Une notification.

Seth : « Tu peux me parler deux minutes ? »

Mon cœur a raté un battement.

Je suis restée là, devant l’écran allumé. J’ai imaginé toutes les raisons possibles. La curiosité. La jalousie. Le regret.

Mais j’ai ignoré le message.

Pas par fierté.

Par stratégie.

Je voulais qu’il attende. Qu’il se pose des questions.

Je voulais qu’il se rende compte de ce qu’il avait perdu.

Ou de ce qu’il n’a jamais vraiment eu.

Le lendemain, tout avait changé.

Seth m’évitait. Camille me dévisageait. Eliott me frôlait, parfois, en passant.

Les regards avaient changé de cible.

Et pour la première fois, j’avais l’impression de contrôler quelque chose.

Mais le pouvoir, je le savais, vient toujours avec une part de solitude.

Et une ombre commençait à grandir en moi. Un doute que je n’osais pas encore nommer.

Est-ce que j’étais en train de devenir quelqu’un d’autre ?

Quelqu’un que je ne reconnaîtrais bientôt plus ?

Je me suis regardée dans le miroir du vestiaire, à la fin de la journée.

J’étais jolie, ce jour-là. Différente. Vivante.

Mais aussi un peu vide.

Parce que dans ce jeu, il y aurait forcément un perdant. Peut-être deux. Peut-être tous.

Et je commençais à me demander si je n’étais pas, moi aussi, une pièce sacrifiable.

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