Chapitre 3: Son sourire plus fort que les coups
— Finis de nettoyer ce sol très rapidement, est-elle revenue me dire.
Je m’abaissai pour récupérer la raclette. Même si c’était difficile, je nettoyais. Je nettoyais encore et encore. Les larmes coulant le long de mes joues, je nettoyais.
— Ferme ta bouche là-bas et nettoie rapidement ! Il y a des vêtements à plier qui t’attendent ici, s’exclama-t-elle.
Je terminai de nettoyer et je rentrai dans la maison, mouillée et le corps marqué par les coups. En face de moi, une pile de vêtements m’attendait.
D’une voix ferme comme à son habitude, sans vouloir me laisser de répit, je l’attendais crier à nouveau.
— Va vite enlever cette robe sale et mouillée sur toi et reviens immédiatement me plier ces vêtements.
Je m’arrêtai sans dire un mot et sans me retourner face à elle. Après un temps d’arrêt, je sentais à nouveau la colère monter, j’attrapai fermement le haut de ma robe, me retenant de ne pas pleurer.
— Qu’est-ce que j’ai dit ? Vas-y vite et viens terminer de ranger mes vêtements. Je suis épuisée par ta faute. C’est même quoi ça avec toi ?
Je ravalai mes larmes et j’avançai vers ma chambre.
En entrant dans sa chambre, à la vue de son lit, Angèle se jeta dessus et s’effondra en pleurs.
— Maman..., murmura-t-elle en pleurs.
Une bonne demi-heure s’écoulait, toujours pas d’Angèle aux alentours.
— Depuis qu’elle est allée à sa chambre… Que fait-elle ? s’interrogeait sa belle-mère, déjà furieuse.
Au moment où elle se leva pour se diriger vers la chambre d’Angèle, une dame assez jeune, belle et élégante entra.
— Madame Natacha, bonsoir, salua-t-elle poliment avec le sourire.
— Il ne manquait plus que celle-ci ! murmura sa belle-mère d’un regard froid envers l’institutrice.
— Pardon ? Qu’avez-vous dit ? demanda l’institutrice, assez déstabilisée par ses murmures.
— Asseyez-vous ! Je vais l’appeler, dit sa belle-mère, changeant de ton.
— Très bien, merci, répondit-elle en s’asseyant, son visage se crispant aussitôt.
« De l’eau encore bien visible sur le sol et une pile de vêtements à même le sol. Et cette réaction qu’elle a eue envers moi… Qu’a-t-elle encore bien pu faire à cette enfant, mon Dieu ? » pensait-elle intérieurement, attristée.
En pleurs, Angèle n’entendait pas sa belle-mère. Brusquement, elle ouvrit la porte et la trouva couchée à plat ventre sur le lit, éplorée. Elle s’approcha d’elle et la tapota d’une main ferme.
— Arrête de pleurer et change-toi rapidement. Ta maîtresse vient d’arriver, change-toi rapidement et rejoins-la. Tu n’as pas intérêt à jouer à la malheureuse face à elle. Tu sais ce qui t’attend, menaça-t-elle la petite.
Entendre que sa maîtresse était présente la calma tout doucement. Elle se releva lentement et se dirigea vers son armoire à vêtements. Son institutrice était son seul échappatoire. Grâce à elle, Angèle pouvait rêver d’un avenir meilleur, bien loin de la méchanceté de sa belle-mère. Après le décès de sa mère, Angèle avait du mal à se reconcentrer à l’école. L’idéal pour elle était de faire l’école à domicile, où la maîtresse devait être plus attentive à elle. Mais c’est sans compter sur la présence de cette marâtre qui lui faisait vivre un véritable cauchemar.
Natacha, sa belle-mère, se rendit à l’extérieur, le visage fermé face à son institutrice.
— Vous pouvez vous installer, elle arrive, déclara-t-elle d’une voix froide et distante avant de rentrer dans une autre pièce.
Je partis à la salle de bain et je me versai de l’eau pour retrouver un peu d’énergie. Après m’être changée, je pris mes affaires de l’école et je m’avançai jusqu’à elle. En arrivant face à elle, c’était le même scénario : mon visage s’illuminait de plus en plus.
— Ma petite Angèle, dit-elle toute souriante en me voyant arriver. Je lui souriais en retour, mais mon visage semblait parler plus que moi je ne le pouvais. Son sourire à elle diminuait de plus en plus en me voyant m’avancer.
— Ma petite chérie, que t’arrive-t-il, ma grande ? Tu es toute pâle, constata-t-elle.
Je souriais du mieux que je pouvais pour tout cacher, même jusque-là, ma maîtresse s’inquiétait. Arrivée face à elle, elle me prit dans ses bras et me serra très fort.
— Ma petite chérie… Je ne peux même pas imaginer ce que cette femme peut bien te faire…
Je m’agrippai à elle. J’essayais de retenir mes larmes. Elle était devenue plus qu’une simple institutrice. Elle ressentait ma peine même lorsque je ne lui disais rien.
— Viens là, dit-elle en me faisant asseoir sur ses genoux.
Elle regarda mon corps marqué de coups de fouet, puis elle prit ma main.
— Ma petite Angèle… je… je suis…
Je ne la laissai pas terminer sa phrase que je me retournai face à elle en la regardant droit dans les yeux. Un tout petit sourire se dessinait progressivement sur mon visage.
— Je vais bien, Madame. Ne vous en faites pas pour moi, dis-je.
Elle me regarda, toute triste, mais je ne voulais pas pleurer ni faire remarquer quoi que ce soit. Je voyais la tristesse dans son regard.
« Angèle, je sais que tu ne veux rien me dire. Cette méchante femme… mon Dieu… Ton sourire m’apaise, ton regard me rassure. Tu es bien plus forte que ce que tu crois, ma petite chérie. »
Après un bon moment à regarder Angèle, elle se retourna, essuya ses larmes d’un geste rapide et reprit son sourire affectueux d’habitude.
— J’ai prévu plein de trucs amusants pour le cours d’aujourd’hui. Tu verras, on va bien s’amuser, déclara-t-elle enjouée.
Le cours débuta et, au fur et à mesure, Angèle souriait, cette fois-ci pas pour cacher sa détresse mais tout simplement parce qu’elle se sentait bien. La présence de cette femme gentille suffisait à lui redonner de la joie. La regardant avec des yeux pleins d’espoir.
« Un jour, je deviendrai tout aussi belle et intelligente que vous, Madame. »
Lorsque le cours se termina enfin, Angèle se jeta dans les bras de sa maîtresse, toute souriante.
— Merci, Madame…, murmura-t-elle, très reconnaissante.
— Je t’en prie, ma grande.
Elle me prit tendrement les deux mains.
— Tu es bien plus forte, ma petite. Ne l’oublie pas. Aujourd’hui ne sera pas demain, et ce sourire que je vois ne te quittera jamais. Dans ce petit cœur, il y a tant de bonté et de force. Garde la foi.
Puis elle me prit dans ses bras. Je me sentais tellement bien dans ses bras. Je n’avais qu’une seule envie : ne pas la laisser partir et me retrouver à nouveau seule.
D’un coup, sa belle-mère sortit de la pièce, le visage toujours aussi crispé.
— Si vous avez terminé, il serait mieux de vous en aller. Angèle n’a pas que ça à faire, déclara-t-elle sur un ton mesquin.
Sa seule présence suffit à m’éloigner de la maîtresse. Tout à coup, je perdis de ma joie. La maîtresse rangea ses affaires. S’apprêtant à sortir, elle s’accroupit face à moi et posa sa main sur ma poitrine, ignorant la présence de cette femme à côté.
— Dans ton petit cœur, il y a tellement de force. Ne l’oublie pas. Quand tu seras triste, rappelle-toi en et souris. Pense à tout sauf à la tristesse.
Je hochai doucement la tête, un petit sourire se dessinant à nouveau face à ses paroles.
— Madame, salua-t-elle ma belle-mère avant de sortir. Elle se retourna une dernière fois vers moi. Nos regards se croisèrent ; sans se dire un mot, je comprenais, et elle me comprenait.
À peine avait-elle tourné le dos que j’entendis à nouveau les cris de ma belle-mère.
— Angèle, ces vêtements ne vont pas se plier tout seuls. Dépêche-toi. Sinon, tu me connais.
Je baissai la tête un moment, pensant aux paroles de la maîtresse, puis je la levai à nouveau. Mais cette fois-ci, mon visage ne se referma pas, au contraire, je souriais. Je me dirigeai vers la pile de vêtements et je me mis à les plier.
Et d’un coup, je lui répondis :
— Ne t’en fais pas, tous tes vêtements seront bien pliés, dis-je en la regardant dans les yeux sans exprimer une quelconque colère. Je gardais mon sourire.
