Chapitre 2: Elle n'est pas ma mère !
J'avançais vers le puits, à pas lents, mais j’avançais. Malgré la file, j’attendis dans un coin. Les yeux fermés, les paroles de maman retentissaient, sa voix me rassurait, son sourire me faisait sourire à mon tour. Lorsque mon tour arriva enfin, je ne m’en rendis pas compte. La fatigue avait eu raison de moi. Je m'endormis contre le mur.
— Ma petite, ma petite, tenta le propriétaire de la réveiller.
Il insista à nouveau avec de légères tapettes.
— Ma petite, réveille-toi ! insista-t-il à nouveau.
Angèle se réveilla enfin, se frottant les yeux. Il l’aida à se relever, l’aidant aussi à nettoyer ses cheveux pleins de sable. Ses yeux légèrement écarquillés et les sourcils froncés, le propriétaire s’étonnait de la voir à nouveau au puits. Angèle regardait autour d’elle, son visage devenant de plus en plus effrayé.
— Où est ? Où est mon seau ? s’exclama-t-elle, sa voix trahissant sa peur.
« Elle ne me le pardonnera pas... » pensa-t-elle tristement, marchant dans tous les sens cherchant son seau.
— Ma petite, que t’arrive-t-il ? demanda le monsieur.
— Mon seau, je risque de me faire fouetter si je ne le trouve pas, répondit Angèle, les pleurs se sentant déjà dans sa voix.
Le monsieur la retourna face à lui.
— Ce seau ? demanda-t-il en pointant un seau d’eau rempli à côté du puits.
Angèle courut vers le seau, son regard plongé sur le récipient. D’un coup, elle tourna sa tête vers le monsieur, ses yeux brillants.
— Oui, oui ! Monsieur, c’est mon seau, s’exclama-t-elle. Un sourire léger de soulagement se fit voir sur son visage.
Elle revint vers lui, les mains jointes, ses petits yeux tout mouillés fixés sur le monsieur.
— Merci de m’avoir aidée, remercia Angèle.
Le monsieur lui sourit tendrement.
— Ce n’est pas moi, ma petite. Ça doit être un autre enfant qui a dû le faire pour toi. Quoiqu’il en soit, tu devrais rentrer, tu m’as l’air très fatiguée et ta maman doit sûrement te chercher, déclara-t-il.
À peine eut-il fini de parler qu’Angèle serra son visage. Tout à coup, sans qu’il ne s’y attende :
— Cette femme n’est pas mère, hurla Angèle.
Elle s’empressa immédiatement vers le seau et, tout à coup, prenant sur elle, elle concentra sa dernière énergie et cette rage qu’elle ressentait, puis posa le seau d’eau sur sa tête et commença à marcher. Le monsieur, surpris par son attitude brusque, porta ses mains à ses hanches, dépassé par ce qu’il venait de voir.
— Incroyable ! s’exclama-t-il.
Il la regardait partir, dandinant par manque d’énergie, mais elle tenait, elle avançait.
— Cette petite doit sûrement vivre un calvaire pour réagir de la sorte… Et cette force qu’elle a, c’est incroyable, et dire qu’il y a quelques minutes, elle somnolait… Et d’un coup… Pauvre petite, murmura-t-il admiratif.
Ce monsieur venait d’appeler cette femme ma mère. Je sentis mon cœur battre à vive allure. Sans comprendre comment, j’avais trouvé la force de marcher plus vite qu’à l’aller. Appeler cette femme ma mère me faisait mal, très mal. Aucune femme n’est une mère si elle traite mal son enfant. Ma belle-mère ne m’aimait pas. Elle le montrait. Je n’étais pas sa fille, et elle n’était pas mère.
À peine rentrée, que sa belle-mère l’attendait déjà à la véranda.
Sans trop comprendre ce qui m’arrivait, je restai immobile face à elle. Mon regard endurci posé sur elle. Mon seau d’eau sur la tête, je le déposai tout doucement, sans détourner mon regard du sien.
— Angèle, depuis que tu es partie, c’est à cette heure-ci que tu rentres ? s’exclama-t-elle.
Je ne bougeai pas, je restai face à elle sans dire un mot.
— Ce n’est pas à toi que je m’adresse, petite idiote ? insista-t-elle.
Je ne répondis pas.
— Non seulement je parle seule, mais Madame me regarde droit dans les yeux. Elle me défie ? Attends-moi là, dit-elle souriante, d’un sourire aussi méprisant qu’elle-même.
J’avais peur, très peur, et en même temps j’avais mal. Mais je n’en pouvais plus. Brusquement, elle ressortit avec une ceinture à la main. Mon corps commença à trembler, mais je restai immobile. Mes yeux braqués sur cette ceinture dont je connaissais déjà très bien les coups. Mon regard se dirigea à présent sur mon corps, marqué par les coups. Un coup de plus, un coup de moins. Ma belle-mère ne s’arrêterait pas de me faire mal. À quoi bon avoir peur de cet objet, qui ne répond qu’à la violence de la personne qui l’utilise ?
D’un coup, elle se rapprocha de moi.
— Tu veux me défier, c’est ça ? me dit-elle.
Je restai toujours silencieuse, mon regard fixé sur elle.
Tout à coup, elle me tira par le bras. Elle m’administra des coups de ceinture avec toute sa force. Les insultes et les cris ne manquaient pas. Je serrai le cœur pour m’empêcher de pleurer. J’avais mal, mais je ne voulais plus pleurer.
— Je m’adresse à toi, tu ne réponds pas ? Ça te plaît de me manquer de respect ? Tu verras donc ! hurla-t-elle.
Je résistais du mieux que je pouvais ; les coups devenaient de plus en plus forts, je m’efforçais de ne pas pleurer, mais ça me faisait mal. Et pour finir, je baissai les bras, m’agenouillant, les larmes coulant énormément sur mes joues. La voix à peine audible, je me suis mise à la supplier, à l’implorer d’arrêter avec les coups.
— Pardon maman. Je ne vais plus recommencer. Pardon, supplia-t-elle, pleurant à chaudes larmes, agenouillée, les mains jointes.
— Tu as intérêt à ce que ça ne se reproduise plus. Si c’est de cette façon que tu traitais ta pauvre mère, je suis désolée pour elle, s’exclama-t-elle en arrêtant.
Soudainement, elle se dirigea vers le seau d’eau. Elle le porta et, d’un geste rapide, elle le versa sur moi.
Angèle se releva aussitôt, suffocante. Sa belle-mère revint vers elle et la retourna avec brutalité.
— Tu as intérêt à ce que le sol de cette véranda soit bien propre et bien sec. Sinon, tu dormiras cette nuit sans manger. Espèce d’idiote. Dépêche-toi, avant que cette maîtresse pathétique n’arrive ici pour me donner des leçons, s’exclama-t-elle en entrant. Puis elle ressortit avec une raclette et une serpillière qu’elle lui jeta en pleine face.
— Ramasse-la vite et gare à toi si je reviens ici et que tu n’as pas terminé, menaça-t-elle la pauvre petite dont le corps marqué de tous les coups de fouet tremblait.
D’un coup, la voix de son père retentit :
— Natacha ! Où est Angèle ? Où est Angèle, ma fille ? dit-il en se rapprochant.
Face à moi, ma belle-mère me menaça.
— Stéphane, elle est là, à faire des bêtises comme toujours, mon chéri, répondit-elle.
Son père sortit et la trouva toute trempée.
— Que s’est-il passé ici ? Angèle, pourquoi es-tu mouillée de la sorte ? demanda-t-il.
Angèle sentait le regard menaçant de sa belle-mère. Mais elle voulait tout dire à son père…
— Pa...
À peine ouvrit-elle la bouche que sa belle-mère s’interposa.
— En revenant du puits, elle a perdu l’équilibre et l’eau s’est renversée. Stéphane, ne t’en fais pas. Elle termine de nettoyer tout ceci, elle ira se changer. Viens, mon chéri, rentrons, le temps qu’elle termine. Tu devrais te reposer, c’est ce que le médecin t’a conseillé.
— Angèle, termine et va t’échanger, tu risques d’attraper froid. Natacha, veille à ce qu’elle se change, dit-il en rentrant à l’intérieur.
— Oui Stéphane, entrons. Tu vas aller te reposer, répondit-elle en le poussant doucement à entrer.
Papa ne se rendit pas compte de son cinéma. Trempée et tremblante, tout ce que je voulais, c’était me reposer, dormir sous ma couette. Mais je devais terminer, sinon elle reviendrait, et personne ne me défendrait.
