05
Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis la célébration du Baccalauréat de Soledad. Un soir,
dans le silence profond de la nuit, papa Massayo fut assailli par l'insomnie. Se levant doucement
de son lit, il laissa sa deuxième épouse, Margueritte, endormie et nue à ses côtés. Le frisson nocturne caressa sa peau alors qu'il s'extirpa de sa cabane, avide d'un peu de clarté.
S'approchant du seuil de sa cabane, son regard se posa sur sa première épouse, assise seule dans l'obscurité. Elle était enveloppée d'un châle léger, les traits de son visage éclairés par la
lueur de la lune. Il s'approcha d'elle.
Maman Anny, apercevant son époux s'approcher, se leva promptement :
- Bonjour mon mari, salua-t-elle d'une voix douce.
- Bonjour. Répondit papa Massayo.
Mama Anny s'éclipsa pour chercher un tabouret, puis ils s installèrent près l'un de l'autre.
- Si tu tiens debout à cette heure, cela signifie qu'il y a quelque chose qui te tourmente,
mon mari. Lança maman Anny d'une voix empreint de sollicitude.
- J’ai simplement ressenti le besoin de prendre de l'air. Répliqua papa Massayo.
- Mon mari, j'ai partagé tant de moment avec toi, et je te connais mieux que quiconque
endormi dans cette concession, poursuivit maman Anny, ses yeux pétillant d'une lueur
d'intimité partagée.
Un sourire subtil se dessina sur les lèvres de papa Massayo, tandis qu'il contemplait la lune,
fièrement suspendue à demi dans le ciel étoilé.
- Puis-je te poser une question ? S'enquit maman Anny.
- Vas-y. Consent papa Massayo avec une pointe de curiosité.
-Quel avenir envisages-tu pour notre fille ?
Interrogea-t-elle, ses mots flottant dans l'air
nocturne.
- Laquelle ?, rétorqua papa Massayo.
- Soledad, prononça-t-elle, laissant le nom de leur fille danser sur ses lèvres.
Un silence empreint de réflexion plana brièvement avant que papa Massayo ne reprenne la
parole:
- Elle ira en mariage. Elle a vingt-ans, et à mesure qu'elle avance en âge, ses chances
s'amenuisent. Déclara-t-il.
Mama Anny écouta attentivement les paroles de son époux, son visage révélait une légère
expression de désaccord. Bien qu'elle gardât le silence, ses traits témoignaient d'une certaine
perplexité, ses sourcils se fronçant légèrement tandis que ses lèvres se pincèrent doucement.
- Elle a le baccalauréat, c'est le meilleur moment de l'envoyer en mariage, car le prix de
sa dot est inimaginable. Je suis sûr que d'ici là, les hommes les plus fortunés de ce village viendront toquer à cette porte. Pensait-il.
Un silence gênant s'installa entre eux, tandis que les gestes maladroits de maman Anny
trahissaient sa réflexion sur la façon de faire part de ses préoccupations à son époux. Finalement,
elle prit son courage à deux mains et s'adressa à lui :
- Puis-je te donner mon point de vue, mon cher époux, sans t'offenser ? Je suis consciente
que mon avis compte peu, surtout lorsque tu as déjà pris une décision. Cependant, ne
penses-tu pas qu'il serait préférable d'envoyer notre fille en ville, afin qu'elle puisse
poursuivre ses études ? Elle rêve de devenir médecin, et elle possède l'intelligence et la
motivation nécessaire pour réaliser ce rêve. Ne serais-tu pas heureux, un jour, de pouvoir
compter sur elle en cas de maladie ? Imagines-tu le sentiment de fierté de pouvoir dire
que notre fille est le seule médecin que Ndang n'ait jamais connu ?
Un ricanement ironique s'échappa des lèvres de papa Massayo, comme s'il trouvait les
paroles de maman Anny ridicules et dénuées de sens. Son rire résonna dans l'air, empreint de
moquerie et de désapprobation. Il reléguait ainsi les pensées et les sentiments de maman Anny
au rang de simples rèveries insignifiantes. Le visage de maman Anny se teinta s'une tristesse
mêlée de frustration. Ses yeux s'emplirent de déception, et ses épaules s'affaissèrent
légèrement face à cette réaction de son époux.
- Peut-être que si tu m'avais donné un garçon, un seul ! Alors, ces rêveries qui sortent de
ta bouche pourraient être considérées comme réalisable. Penses-tu sincèrement
qu'un homme de ce village voudrait épouser une femme ayant fait des longues études ?
Avec le simple Baccalauréat qu'a ta fille, elle ose déjà de me tenir tête, à moi, son
père. Imagine un instant si elle avait une licence ! Ce que tu souhaites tant, c'est le rôle
d'un homme, et non celui d'une femme !
- Pourquoi ? Répliqua maman Anny d'une voix empreinte d'émotion, les larmes dans les
yeux.
- Parce que c'est une femme ! Rétorqua papa Massayo d'un ton définitif.
- Est-ce une raison valable, mon cher époux ? Lança maman Anny d'une voix tremblante.
- Comment oses-tu me questionner, Kengne ? Répliqua papa Massayo, rempli de colère.
- Je m'excuse, mon époux. Murmura maman Anny humblement.
- Je ne sais pas pourquoi je me suis laissé entraîner dans cette discussion avec toi. Retourne te coucher. Rétorqua papa Massayo d'un ton sec.
Mama Anny se leva et se dirigea vers sa cabane, mais se ravisa soudain. Elle fit volte-face:
- Maman souhaiterait te parler demain. annonça-t-elle.
- Il y a encore quel problème ? Soupira papa Massayo.
- Je ne sais pas, mon époux.
Papa Massayo ne répondit pas. Maman Anny retourna se coucher, le cœur lourd, tandis que les
échos de leur discussion résonnaient encore dans la nuit.
Le jour suivant, le soleil se leva timidement, jetant ses premiers rayons dorés dans la concession de grand-mère Abigail. Papa Massayo se tenait déjà devant la porte d'entrée en bois de celle-ci, sa belle-mère. Il frappa à la porte et attendit avec patience. Un instant d'attente se prolongea, bercé par le doux murmure des feuilles dans le vent. Puis, une symphonie de joie,
des aboiements éclatèrent, rompant le silence avec allégresse. La porte s'ouvrit doucement, et
Pitou apparut, la queue frétillante, prêt à accueillir papa Massayo avec enthousiasme.
Pitou sautait autour de lui, montrant clairement sa joie de le voir. Papa Massayo, bien que réticent
envers le chiens, ne put s'empêcher de sourire devant l'excitation de Pitou. Il se baissa et caressa
doucement sa tête.
« Les animaux ne savent pas faire semblant comme les hommes, soit ils vous aiment, soit ils
vous détestent », lança grand-mère Abigail depuis l'ombre, avant de rejoindre papa Massayo.
Elle invita papa Massayo à s'asseoir sur le seul tabouret disponible à l'extérieure. Une fois
confortablement installé, grand-mère Abigail entra à nouveau dans sa cabane et en ressortit
avec un deuxième tabouret qu'elle plaça à côté de papa Massayo. Elle se dirigea ensuite vers la
cuisine. Là-bas, elle récupéra les prunes qu'elle avait préalablement enfouies dans la cendre
brûlante pour faire cuire, sachant que son beau-fils les appréciait. Il commença à les déguster
avec appétit.
- Comment te portes-tu, mon père ? Demanda-t-elle avec un sourire bienveillant.
