L'ombre du passé
_Partie 6_
Lydia: Bonjour Ya Aïda
Moi: Oh! Bonjour Lydia, ça va aujourd’hui?
Lydia: Oui yaya
Moi : C’est bien
Lydia : Bon, je vais acheter du pain.
Moi : Ok
Je la regarde partir et je vais fermer la porte derrière elle. J’ai à peine le temps de retourner m’asseoir que j’entends quelqu’un qui cogne à la porte.
La peur s’empare de moi à l’instant. Samba est en prison depuis quelques jours mais je ne peux m’empêcher d’avoir peur. Depuis son agression de l’autre fois, des peurs que j’avais réussi à refouler depuis des années ont refait surface et j’ai des crises d’angoisse en permanence.
Moi : Qui c’est ?
-Caleb
Caleb! Je devenais rêveuse quand son prénom apparaissait comme par magie dans mon esprit.
Je vais vers la porte et je lui ouvre. On se salue du bout des lèvres puis je me pousse sur le côté afin qu’il entre.
Une fois à l’intérieur, nous prenons place tous les 2 sur un fauteuil différent. Il me regarde comme pour me sonder. Ce qui fait baisser mes yeux automatiquement.
Moi : Je vais bien.
Il ne dit rien et se contente de continuer de me regarder. En tout cas je peux dire qu’il porte bien le surnom qu’on lui a attribué.
Je dirai 1m90, teint caramel, jolis yeux bien noirs, petite barbe formant un zéro autour de ses jolies lèvres, musclé et surtout «beau comme un diamant » (c’est pas moi qui ai dit, c’est Lydia).
Je comprends pourquoi tout le monde se met au catch pour lui. Mais je n’en fais malheureusement pas partie. Je ne veux pas d’hommes dans ma vie en ce moment. Je ne veux pas qu’à nouveau on me traite comme de la merde. Et une merde, ça ne mérite aucun respect.
Voilà pourquoi Samba est allée jusqu’à vouloir me v…
- Qu’y a-t-il Aïda ?
La voix de Caleb me fit sortir de mes pensées.
Lui : Pourquoi pleurez-vous?
Je passais mes mains sur mon visage pour me rendre compte qu’il était humide. J’essuyais les larmes rebelles qui s’échappaient de mes yeux, mais d’autres vinrent instantanément les remplacer.
Caleb quitta son fauteuil et vint prendre place sur le mien. Il me prit dans ses bras et me serra fort contre sa poitrine.
Lui : Chut ça va aller, ça va aller.
Moi : Sniff non, ça n’ira pas.
Je continuais de pleurer sur sa poitrine. Il me touchait doucement les cheveux en m’exhortant que tout allait bien.
C’est ce que j’avais toujours cru depuis que j’étais toute petite. Que tout irait bien. Quand les échos de rebelles qui avançaient de plus en plus vers notre village se firent entendre, mon père me dit :
- Ne t’inquiètes pas ma fille, tout se passera bien.
Et moi, je l’avais cru. Pour la petite villageoise que j’étais, je savais que mes parents ne mentaient jamais, que tout ce qu’ils disaient était toujours vrai.
Mais un soir, quelque chose vint contredire cela.
Je me souviens de ce jour. J’étais tellement heureuse ce jour-là car j’avais appris que j’avais gagné un concours d’orthographe à l’école et j’étais revenue avec ma récompense à la maison.
Mon père était fier de moi. Et ma mère exécuta même quelques pas de danses malgré son gros ventre qui témoignait bien combien sa grossesse était déjà avancée et presque à terme.
Après avoir bien célébré ma réussite avec mes parents et mes deux grands frères, nous sommes allés nous coucher le cœur en fête. Rien ne laissait présager ce qui se passerait cette nuit-là.
Au milieu de la nuit, alors que tout le village était paisiblement endormi, des grands cris nous réveillèrent.
Nous n’avions même pas eu le temps de nous extirper de nos lits que 3 militaires entrèrent dans notre case après avoir cassé notre porte brutalement.
Je me suis cachée sous mon lit quand j’ai entendu des bruits de pas se diriger vers ma chambre. Nous avions une grande case, donc tout le monde avait sa propre chambre à part mes deux grands frères qui partageaient tous les deux la même chambre.
Cachée sous mon lit, j’ai juste vu des bottes qui se tournaient ça et là dans ma chambre. Ils semblaient chercher quelque chose. Je mis ma main sur ma bouche pour empêcher tout son de sortir. J’étais tétanisée. La peur me paralysait et je n’osais faire le moindre mouvement.
Cela ne servit à rien. Le militaire regarda sous le lit et me trouva. Il me sortit de la chambre en tirant mes cheveux. Je criais à présent car il n’y avait plus aucune raison que je me retienne.
En passant dans le couloir, je découvris avec horreur les corps de mes parents par terre, à l’entrée de la case. Une balle logée au beau milieu du front de chacun d’eux.
Je poussai des grands cris de détresse. Le militaire me tenait toujours fermement par les cheveux, et me jeta au milieu de la cour où d’autres jeunes gens comme moi étaient déjà rassemblés.
Ils mirent le feu à notre village et nous emmenèrent avec eux. Nous étions une bonne quinzaine avec juste 4 filles parmi lesquelles il y avait Safi, la fille du chef du village et Mapendo (amour en Swahili), la fille du maître d’école.
Je vis également mes frères. Ils étaient amochés. Comme s’ils avaient été battus. Nous marchâmes presque toute la nuit avant que les militaires ne décident que nous passions la nuit dans un coin de la forêt.
Après avoir installé leur campement, ils s’endormirent tous à l’exception de ceux qui avaient été désignés pour monter la garde.
Environ 30 minutes après qu’ils se soient endormis, mon frère aîné rampa jusqu’à un militaire couché près de lui. Il réussit à lui dérober son couteau et coupa la corde avec laquelle on l’avait lié plus tôt. D’ailleurs nous étions tous attachés.
Trésor (mon frère) nous détacha tous puis me dit de courir aussi vite que je pouvais et d’aller me cacher. Il dit la même chose aux autres filles. Entre-temps, les autres garçons s’étaient eux aussi emparé des armes des militaires.
Les filles et moi commencames à ramper doucement. Mais un militaire qui semblait nous avoir démasqué ameuta les autres. La pluie de balles commença.
J’étais de nouveau paralysée. J’étais assise par terre, recroquevillée avec les mains sur les oreilles pour empêcher le bruit infernal des tirs de parvenir jusqu’à mon cerveau. Je pleurais et priais au fond de moi pour que tout cela s’arrête.
Je sentis juste une main empoigner mon bras et m’emmener dans un coin avant de sentir qu’on me secouait. Je repris mes esprits et vis que c’était mon second frère, Papy.
Lui : Aïda, vas t’en!
PANNN
Mon frère venait de recevoir une balle dans l’épaule. La vue du sang qui coulait de son épaule me fit horreur mais mon frère eut encore assez de force pour me gifler.
Lui : VAS T’EN J’AI DIT!
J’ai secoué la tête avant de m’enfuir comme si j’avais le diable sur les talons. J’ai couru, couru, couru sans m’arrêter. Quand j’ai estimé que j’étais arrivée suffisamment loin, je me suis assise contre un arbre et j’ai repris mon souffle.
Mais à chaque fois que j’inspirais tout comme que j’expirais, je revoyais en flash tout ce qui venait de m’arriver ces dernières heures. Comment ma vie avait-elle basculé comme ça un clin d’œil?
Mon Dieu! Mes parents! Mes frères! Je n’ai plus personne Seigneur. Me voilà seule, sans personne sur qui compter, et de surcroît dans une forêt avec des rebelles sûrement à ma recherche.
J’avais juste envie de tout laisser tomber et attendre tranquillement la mort sous cet arbre, mais mon frère avait donné sa vie pour que je vive. Je ne pouvais pas rendre son sacrifice vain.
Je me levai donc pour m’en aller mais mes jambes n’avaient plus la force de me porter. Et mon corps avait des courbatures. Puis sans m’en rendre compte, je me suis assoupie sous cet arbre.
C’est la sensation d’être secouée qui m’a réveillée. Une fois mes yeux ouverts, j’ai découvert avec effroi 2 militaires qui se tenaient debout au-dessus de moi.
La peur ne s’était même pas encore emparée de moi, que l’un des militaires me tira jusqu’à lui, puis commença à déchirer ma robe. Je le suppliais d’arrêter mais rien n’y faisait.
Bien qu’une patrouille de l’ONU me sauva ce jour-là, les militaires avaient déjà largement eu le temps d’abuser de moi. Pour la petite fille de 14 ans que j’étais, perdre ma virginité dans ces circonstances n’a pas été facile et surtout ça été très traumatisant…
Moi : … Sniff pendant longtemps les hommes m’ont dégoûtée mais quand j’ai rencontré Samba, même si je me suis mise avec lui parce que j’étais dans le besoin, j’ai décidé de nous accorder une petite chance quand même. Mais hier… sniff hier quand… quand Samba a voulu…
- Caleb, me coupant : N’y penses plus, c’est du passé tout ça. C’est du passé
Je venais de raconter cette partie de ma vie à Caleb. J’étais toujours contre sa poitrine mais je pleurais moins. C’était douloureux de parler de ça car en parler faisait remonter des souvenirs que je m’efforçais d’ enfuir le plus loin possible dans mon esprit.
J’avais tout perdu. Ma famille, mes ami(e)s, mon village. Tout était parti en fumée comme dans un mauvais rêve.
J’ai cru que la vie m’offrait une nouvelle chance quand j’ai connu Samba mais je m’étais complètement trompée. Je me suis « beurrée les yeux » comme dit Amelie Wabehi.
La vie s'annonçait difficile pour moi. Je n'avais plus rien; plus aucun sous,aucun parent sur qui compter, personne vers qui me tourner,...
Mon avenir ne s'annonçait pas rose sans compter que je n'étais plus seule, j'avais un enfant qui allait bientôt venir et je n'avais rien pour me payer même un morceau de pain.
Le bonheur me semblait lointain et une denrée inaccessible pour moi. Comment allais-je faire pour me tirer de ce mauvais pas?
Quand est-ce-que j'aurais enfin un moment de répit?
On m'a dit une fois : "Dans la vie les grandes choses ne s'acquièrent pas toujours dans la facilité", et la vie n'avait pas encore finit de me donner des leçons...
