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Chapitre 004

La voiture démarra dans un silence presque religieux. Lina ne dit rien. Elle fixait ses mains, tremblantes sur ses genoux. Elle avait l’impression que son corps n’était plus le sien, qu’elle l’observait de l’extérieur.

Ezekiel ne la quittait pas des yeux. Elle le sentait. Chaque seconde de ce trajet était un supplice, un poison lent qui l’engourdissait.

Ils roulèrent longtemps. Elle n’aurait pas su dire combien de temps, ni même quelle direction ils prenaient. Les vitres teintées filtraient la lumière du matin. Tout était gris, flou.

Quand la voiture s’arrêta enfin, elle sentit son cœur se contracter. Elle leva les yeux.

Devant elle se dressait une bâtisse ancienne, comme un manoir figé hors du temps. Des façades de pierre, des volets fermés, un portail en fer forgé qui grinçait doucement sous le vent.

— Où sommes-nous ? demanda-t-elle d’une voix rauque.

— Chez moi. Chez nous, si tu l’acceptes.

Elle eut un rire nerveux.

— Jamais.

Il se contenta de la regarder, sans ciller.

Le chauffeur descendit et ouvrit la portière. Le froid de la matinée s’engouffra dans l’habitacle, la faisant frissonner.

Ezekiel ne la força pas à bouger. Il se contenta de tendre la main, comme s’il l’invitait à un dîner mondain.

Elle fixa ses doigts, la peau pâle, les jointures immobiles. Même ce simple geste contenait une violence qu’elle ne pouvait pas ignorer.

— Viens, murmura-t-il.

Elle ne bougea pas.

— Lina. Si tu refuses, je t’emmènerai quand même. Mais je préfère que tu entres en marchant.

Elle serra les dents. Chaque pas qu’elle ferait en direction de cette maison serait une reddition. Une preuve qu’il avait réussi à la briser.

Mais elle n’avait pas la force de se débattre. Pas après tout ce qu’il venait de faire.

Elle posa sa main dans la sienne.

Son étreinte fut étrangement douce. Presque réconfortante, si elle avait eu la folie d’y croire.

Ils franchirent le portail ensemble.

Le gravier crissait sous leurs pas. Elle sentit un vertige la prendre. Le manoir semblait immense, ses fenêtres comme des yeux noirs qui l’observaient.

Quand ils entrèrent, elle crut suffoquer. L’air sentait la cire, le cuir, et quelque chose d’indéfinissable : une odeur d’homme, froide et profonde.

Le hall était vaste, éclairé par un lustre ancien. Des tableaux de maîtres ornaient les murs. Un silence presque solennel régnait.

Ezekiel se tourna vers elle.

— Tu vas rester ici quelque temps.

Elle déglutit.

— Combien de temps ?

— Le temps qu’il faudra.

Elle ferma les yeux.

— Vous n’avez pas le droit.

— Peut-être. Mais j’ai la capacité.

Il posa une main sur sa joue. Elle faillit reculer, mais il la retint, le pouce caressant sa peau comme une promesse et une menace.

— Je t’ai préparé une chambre. Tout ce dont tu pourrais avoir besoin s’y trouve. Tu ne manqueras de rien.

— Sauf de liberté.

Son sourire se fit plus tendre.

— La liberté est une illusion, Lina. Tu le comprendras.

Elle chuchota :

— Vous êtes malade.

— Et toi, tu es à moi.

Il fit un signe à un majordome en retrait. L’homme, grand, vêtu d’un costume sombre, s’inclina sans un mot.

— Conduisez-la.

Elle sentit son estomac se tordre.

— Je peux marcher seule.

Ezekiel hocha la tête.

— Comme tu voudras.

Elle inspira, puis se tourna vers l’escalier monumental. Chaque marche qu’elle montait résonnait dans sa poitrine comme un glas.

Elle sut qu’elle ne reverrait pas son appartement. Ni son bureau. Ni la moindre parcelle de sa vie d’avant.

Quand elle atteignit le palier, le majordome ouvrit une porte.

— Mademoiselle.

La chambre était vaste, décorée avec une élégance presque irréelle : un lit à baldaquin, une coiffeuse ancienne, une armoire sculptée. Tout semblait préparé depuis longtemps.

Elle entra sans un mot. Le majordome referma doucement la porte derrière elle.

Le verrou tourna.

Elle s’approcha de la fenêtre. Les volets étaient clos de l’extérieur. Pas un rai de lumière ne filtrait.

Elle se laissa tomber sur le lit. Ses doigts se refermèrent sur la couverture.

Dans l’air, elle sentait sa présence, comme une caresse invisible.

Il avait gagné.

Pour l’instant.

Mais elle jura, entre deux sanglots, qu’un jour, elle trouverait un moyen de fuir.

Même si cela devait lui coûter la vie.

Elle resta de longues minutes sans bouger. La chambre, pourtant belle, lui paraissait un tombeau. Tout y respirait le luxe froid d’un endroit conçu pour plaire à quelqu’un d’autre qu’elle.

Elle se leva, ouvrit l’armoire. À l’intérieur, des robes, des chemises, des sous-vêtements délicatement pliés. Tout à sa taille. Tout choisi pour elle.

Ses mains tremblaient quand elle toucha la soie d’une nuisette ivoire. Elle la rejeta aussitôt, comme si le tissu brûlait sa peau.

Elle se dirigea vers la porte, laissa sa main sur la poignée. Un instant, elle espéra qu’elle n’était pas vraiment verrouillée. Qu’il lui laissait au moins ce semblant de liberté.

Elle tourna la poignée.

Rien.

Elle frappa du poing contre le bois.

— Ouvrez ! Vous n’avez pas le droit !

Sa voix se brisa dans le silence.

Personne ne répondit.

Elle recula jusqu’au lit et se laissa tomber, la tête entre les mains.

Dans un coin de la chambre, elle remarqua une caméra minuscule, presque invisible, dissimulée dans l’angle du plafond.

Elle sut qu’il la voyait.

Qu’il la regardait à cet instant.

Elle se leva d’un bond, le visage brûlant de rage et d’humiliation.

— Vous êtes un lâche ! hurla-t-elle vers l’objectif. Vous croyez que vous pouvez m’enfermer et… et me posséder comme un objet ?

Elle attendit un signe. Un bruit. Rien.

Son souffle s’accéléra. Ses mains se crispèrent sur les pans de sa jupe.

Puis, dans un léger déclic, une trappe s’ouvrit au bas de la porte.

Une assiette apparut, posée sur un plateau d’argent : du pain frais, un bol de soupe, un verre d’eau.

Elle comprit qu’il n’avait pas l’intention de venir la voir. Pas tout de suite.

Il avait décidé de la briser à distance.

Elle s’approcha du plateau, le fixa avec dégoût.

— Je ne mangerai pas votre nourriture.

Sa voix était plus faible qu’elle ne l’aurait voulu.

Mais l’odeur chaude de la soupe se mêla à sa faim. Elle n’avait rien avalé depuis la veille.

Elle recula, comme si céder aurait été la première victoire de cet homme.

Elle passa des heures à marcher dans la chambre. À sonder chaque centimètre de mur. Chaque plinthe, chaque recoin.

Tout était parfaitement clos.

Elle tenta de pousser l’armoire devant la porte, dans un geste de rébellion dérisoire. Elle y mit toute sa force, mais le meuble était trop lourd.

Elle finit par s’asseoir au sol, les bras autour de ses genoux.

— Je sortirai d’ici, murmura-t-elle. Vous ne me garderez pas éternellement.

Le silence lui répondit.

Elle releva la tête vers la caméra.

— Vous m’entendez, n’est-ce pas ?

Aucune réponse.

Elle éclata en sanglots.

Elle resta ainsi, recroquevillée, jusqu’à ce que la fatigue finisse par l’emporter.

Quand elle ouvrit de nouveau les yeux, la chambre était plongée dans une obscurité totale.

Elle crut d’abord qu’elle rêvait encore. Mais le battement sourd de son cœur, la douleur de ses articulations raidies, lui rappelèrent que c’était bien réel.

Elle s’allongea sur le lit, trop lasse pour pleurer davantage.

Dans l’obscurité, elle sentit son esprit dériver.

Et avant que le sommeil ne l’engloutisse, une dernière pensée lui traversa l’esprit :

Demain, il reviendra.

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