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L'ombre de ton Destin

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Lukando
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9.0
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Résumé

On croit toujours que la pire prison est celle dont les murs sont visibles. Mais Lina ne savait pas qu’on peut être emprisonnée sans chaînes, sans barreaux, sans cris. Qu’on peut devenir la proie d’un regard qu’on ne voit jamais. Il l’aimait en silence. Il la désirait d’un amour si absolu qu’il avait décidé qu’aucun autre homme n’aurait le droit de la toucher, de la regarder, de prononcer son nom avec tendresse. Dans l’ombre, il avait effacé tous ceux qui s’étaient approchés d’elle. Dans l’ombre, il avait pris possession de sa vie. Et bientôt, il viendrait réclamer ce qu’il considérait comme sien. Au début, elle le détesta. Puis elle comprit que certaines obsessions, quand elles vous engloutissent, peuvent ressembler à de l’amour. Ou à un enfer délicieux.

les contraires s'attirentrelation douteuseBDSMSexematurecontre-attqueindépendantsuspense

Chapitre 001

‎Lina Moreau ne se souvenait plus depuis combien de temps sa vie avait cessé d’être normale. Elle n’aurait pas su dire quand la sensation avait commencé, ce sentiment lancinant d’être observée, suivie, déshabillée du regard par une présence qu’elle n’arrivait jamais à surprendre.

‎Au début, elle s’était dit que c’était la fatigue. Les horaires à rallonge, les manuscrits qu’elle corrigeait jusqu’à l’aube, les allers-retours constants entre son minuscule appartement du quinzième arrondissement et les bureaux de la maison d’édition Delacroix Publications.

‎Elle avait vingt-sept ans et vivait seule, ce qui ne l’avait jamais dérangée. Mais depuis quelques mois, chaque pas qu’elle faisait résonnait comme un écho qu’elle n’avait pas provoqué. Chaque fois qu’elle rentrait chez elle, elle avait l’impression qu’un souffle invisible traversait l’air, comme si quelqu’un venait de s’éclipser à l’instant où elle ouvrait la porte.

‎Elle ne parlait pas de ces impressions. Ses collègues la trouvaient déjà un peu trop réservée. La discrétion était devenue une seconde nature chez elle : elle ne voulait pas qu’on la prenne pour une paranoïaque. Alors elle gardait tout pour elle : l’angoisse nocturne, les frissons sans cause, l’impression d’être prisonnière d’une pièce trop étroite.

‎Ce soir-là, elle quitta le bureau plus tard que d’habitude. La pluie battait le trottoir en longues rafales grises. Le portier du siège, un vieil homme bourru qu’elle connaissait depuis trois ans, leva un sourcil étonné quand il la vit passer.

‎— Vous êtes encore là ? Tout le monde est parti depuis une heure, mademoiselle Moreau.

‎— Oui… Je n’ai pas vu le temps passer, murmura-t-elle en serrant la sangle de son sac contre son épaule.

‎Le portier la suivit du regard tandis qu’elle franchissait la porte vitrée. Elle sentit la brûlure étrange de ce regard sur sa nuque, comme un avertissement silencieux.

‎En sortant, elle faillit glisser sur le marbre détrempé. Son parapluie s’était cassé le matin même. Elle rabattit sa capuche, inspira profondément et se força à marcher. Elle n’avait que dix minutes à faire à pied jusqu’à la station de métro. Dix minutes qu’elle passerait, comme toujours, à lutter contre ses pensées.

‎Elle progressait le long de l’avenue. Les réverbères projetaient des halos tremblotants. Des voitures passaient, éclaboussant ses bottes. Elle entendait le claquement régulier de ses pas… et parfois, un autre bruit, un frottement sur le bitume qui semblait lui répondre.

‎Elle accéléra.

‎Son téléphone vibra dans sa poche. Un SMS, sans nom d’expéditeur :

‎ « Ralentis. La pluie est glaciale, et tu risques de tomber. »

‎‎Elle s’arrêta net.

‎Ses doigts se refermèrent sur l’appareil, son cœur cognant si fort qu’elle crut qu’il allait s’arrêter. Elle relut le message plusieurs fois. Qui…? Comment cette personne pouvait-elle savoir qu’elle marchait trop vite ?

‎Elle pivota, scrutant la rue. Personne derrière elle, personne sur le trottoir d’en face.

‎Elle reprit sa marche, plus lente cette fois, comme paralysée par la peur. Elle sentit sa gorge se serrer, et l’air se charger d’une humidité irrespirable.

‎Quand elle arriva chez elle, elle poussa la porte en tremblant. L’appartement était exactement comme elle l’avait laissé : le plaid jeté sur le canapé, les tasses sales dans l’évier, la lumière du couloir encore allumée.

‎Elle posa son sac, referma les verrous, et s’adossa au battant, le souffle court.

‎— Ce n’est rien, Lina, murmura-t-elle. C’est juste… un fou qui a eu ton numéro. Rien de plus.

‎Mais au fond d’elle, elle savait que c’était faux.

‎‎Elle monta se changer, puis revint au salon. Malgré la fatigue, elle s’obligea à vérifier chaque verrou, chaque fenêtre, même le placard de l’entrée. Tout était normal. Rien ne bougeait. Rien n’avait été dérangé.

‎Pourtant, elle ne parvenait pas à chasser cette conviction lancinante : quelqu’un l’avait vue courir dans la rue, quelqu’un savait qu’elle avait ralenti.

‎Elle s’installa sur le canapé, ses genoux repliés contre sa poitrine, et tenta de lire quelques pages d’un manuscrit qu’elle devait corriger pour le lendemain. Les mots dansaient sous ses yeux. Elle ne comprenait plus rien. Elle se sentait comme un insecte sous une loupe, chauffé par un rayon de lumière qu’elle ne pouvait pas éviter.

‎Son téléphone vrombit à nouveau.

‎Un deuxième SMS, toujours sans expéditeur :

‎ « Tu trembles. Ne t’inquiète pas. Je ne laisserai personne te faire du mal. »

‎‎Elle lâcha le téléphone comme s’il venait de la brûler. Son sang se mit à pulser contre ses tempes.

‎Elle ne put s’empêcher de murmurer :

‎— Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu veux ?

‎Aucune réponse.

‎Elle éteignit le téléphone, comme si ce simple geste pouvait suffire à bannir la menace.

‎Mais même privée d’écran, la sensation persista. Plus oppressante encore.

‎‎Le lendemain matin, la pluie avait cessé. Le ciel était d’un gris métallique, et l’air sentait la terre détrempée.

‎Lina traversa le hall de l’immeuble le regard baissé. Elle croisa Mme Gaillard, sa voisine du cinquième, qui l’arrêta d’un geste.

‎— Ma petite Lina… Ça va ? Vous avez l’air épuisée.

‎Elle voulut sourire, mais ses lèvres restèrent figées.

‎— Oui, tout va bien. Juste… le travail.

‎La vieille dame fronça les sourcils.

‎— Vous savez, hier soir, je suis sortie sur le palier vers minuit… Il y avait un homme dans l’escalier. Grand, avec un manteau sombre. Je lui ai demandé s’il cherchait quelqu’un, mais il n’a pas répondu. Il est parti sans un mot.

‎Lina sentit son estomac se contracter.

‎— Vous êtes sûre ?

‎— Oh oui… Il vous regardait comme… comme si vous lui apparteniez.

‎Ces mots résonnèrent en elle longtemps après avoir quitté l’immeuble.

‎‎Au bureau, elle sentit immédiatement que quelque chose avait changé. Ses collègues l’évitaient. Même Mélissa, sa collègue la plus proche, sembla hésiter avant de lui adresser un signe de tête.

‎Elle posa son sac à son bureau et alluma son ordinateur, tentant d’ignorer la brûlure de tous ces regards fuyants.

‎— Lina ? appela la voix hésitante de Mélissa.

‎Elle se tourna, le cœur battant.

‎— Oui ?

‎Mélissa s’avança, les bras croisés.

‎— Je… je ne sais pas si je devrais te le dire, mais… hier, le directeur a reçu une lettre anonyme. Il y avait… des photos.

‎— Quelles photos ?

‎— De toi. Dans la rue, chez toi, au bureau… Et un mot. “Elle est sous ma protection. Celui qui s’approche subira le même sort.”

‎Le bureau sembla tourner autour d’elle.

‎— Quel sort ? souffla-t-elle.

‎Mélissa baissa les yeux.

‎— Tu te souviens de Julien, le stagiaire qui t’aidait le mois dernier ? Il a été agressé, hier soir. Il est à l’hôpital.

‎Lina crut qu’elle allait vomir. Elle recula d’un pas, le souffle court.

‎— C’est… c’est une blague ?

‎— Je ne crois pas. Le directeur a donné consigne de ne plus interagir avec toi. Pour notre sécurité.

‎Elle aurait voulu crier. Hurler que tout ça était insensé. Mais aucune parole ne franchit ses lèvres.

‎‎Elle passa la journée dans une bulle irréelle. Personne ne l’adressait plus la parole. Son écran d’ordinateur était son seul refuge. Chaque fois qu’elle levait les yeux, elle voyait ses collègues chuchoter, la regarder avec cette pitié teintée de peur.

‎À midi, elle ne put supporter plus longtemps cet isolement. Elle sortit prendre l’air, persuadée qu’elle trouverait peut-être une explication.

‎La rue semblait calme. Trop calme. Elle marcha jusqu’au café où elle allait parfois déjeuner. Quand elle poussa la porte, le serveur lui fit un signe gêné.

‎— Mademoiselle Moreau… Je suis désolé. Je… je ne peux pas vous servir aujourd’hui.

‎— Pourquoi ?

‎Il blêmit.

‎— On m’a… prévenu que si je vous parlais encore, je pourrais avoir… des problèmes.

‎Sa voix se brisa.

‎— Qui ? Qui vous a dit ça ?

‎— Un homme. Grand, costume noir. Il a dit que vous étiez… réservée.

‎Réservée.

‎Comme un objet.

‎Elle sortit du café, le cœur battant si fort qu’elle entendait à peine les bruits de la rue.

‎Elle comprit à cet instant qu’elle n’était plus libre. Qu’elle ne l’avait peut-être jamais été.

‎Et dans un recoin de sa conscience, une voix chuchota qu’elle aurait dû avoir plus peur. Qu’elle aurait dû courir. Mais ses jambes refusaient de bouger.

Quand Lina rentra chez elle ce soir-là, la pluie avait repris. De fines gouttes glacées collaient ses cheveux à sa nuque. Ses pas résonnaient dans le couloir désert. Chaque porte fermée lui donnait l’impression d’être plus seule qu’elle ne l’avait jamais été.

Elle referma la porte de son appartement, vérifia une dernière fois les verrous, puis se laissa glisser le long du battant. Elle n’aurait pas su dire si elle tremblait de froid ou de peur.

Elle resta ainsi un long moment, incapable de trouver le courage de se relever. Elle savait qu’elle ne pourrait pas dormir. Elle savait qu’il attendait qu’elle baisse la garde.

Son téléphone vibra. Elle hésita avant de l’attraper, le regard fixe.

Le même numéro inconnu. Un nouveau message.

« Je ne te veux aucun mal. Je veux seulement que tu comprennes que personne ne peut t’aimer plus que moi. »

Ses doigts se refermèrent si fort sur l’appareil qu’elle sentit ses ongles mordre la paume de sa main.

Elle ferma les yeux, chassant les larmes qui menaçaient de couler. Elle inspira profondément.

— Tu es malade… murmura-t-elle. Tu es fou.

Elle éteignit le téléphone, le posa sur la table basse. Dans un geste presque machinal, elle tira les rideaux, comme si cela pouvait la protéger.

Le silence retomba, lourd, presque palpable.

Elle se força à respirer. Il fallait qu’elle trouve une solution. Qu’elle parle à la police, qu’elle raconte tout.

Mais une autre voix en elle murmurait que cet homme, qui qu’il soit, avait déjà pris le contrôle. Qu’il n’existait plus un seul endroit, plus une seule personne qui n’obéisse pas à son pouvoir.

Elle se dirigea vers sa chambre. La fenêtre donnait sur la rue sombre. Elle voulut se convaincre qu’il n’était pas là, qu’il n’observait pas l’immeuble depuis l’un des toits, qu’il n’allait pas surgir au moment où elle baisserait la tête.

Elle ferma les volets, puis se retourna, les bras serrés autour de son corps.

Elle n’avait jamais eu aussi peur de sa vie.

Elle se laissa tomber sur son lit, toute habillée. Le tissu froid de son manteau s’imprégna dans ses draps.

Son regard se perdit dans l’obscurité du plafond.

Elle savait qu’au fond, cette histoire ne faisait que commencer.

Qu’un jour, il viendrait frapper à sa porte.

Et qu’alors, elle devrait décider si elle avait encore la force de le haïr.