Chapitre 3
LE REVERS DU MIROIR
Chapitre 3 :
Le regard de Célestin a l’air sévère et suspicieux. Surpris et pris de court, je parviens quand même à lui répondre…
-Euh… je … c’était pour aller au petit coin.
-Ok. Je voulais me rassurer que tout va bien. Bonne nuit.
-Bonne nuit.
En retournant me coucher, je me sens bien con, d’avoir pensé que ça pouvait être Irina qui se tenait là, derrière la porte. J’hausse les épaules et je me moque de moi-même. Le lendemain matin à mon réveil, la première chose que je fais c’est d’aller voir Célestin et de lui faire part de mon intention de m’installer au campus, même si nous ne sommes qu’à trois semaines de la reprise des cours.
-Non. C’est hors de question fiston. S’offusque Célestin. Ton père ne sera pas d’accord. Tu iras normalement en cours comme il se doit et tu rentreras normalement ici après les cours, comme il se doit.
Je ne suis pas parvenu à le convaincre de m’en aller, et j’ai du mal à m’y faire. Je réalise en fait que mon propre père m’a piégé en quelque sorte ; il était question que je reste ici provisoirement. Je sens la main mise qu’il a jusqu’ici; il contrôle tous mes moindres faits et gestes. En une semaine j’ai tenu bon et je n’ai pas rechigné le moindre du monde, j’ai tenu à respecter sa parole, malgré tout. Je suis resté zen face à tout cela. Je m’adapte tant bien que mal malgré une certaine nostalgie qui finit par me gagner peu à peu.
Irina est tenue bien à l’écart et reste la plupart du temps enfermée dans sa loge. De temps en temps, il peut arriver qu’on se croise par hasard et qu’elle me balance un bonjour sec et froid, et que le lendemain elle me sourit chaleureusement et qu’on se mette à papoter discrètement avant qu’elle ne s’éclipse rapidement par la suite. Je n’ai pas le courage d’aller vers elle, mais je préfère l’observer à distance, et même fantasmer à distance. Elle ne dîne presque jamais avec nous; j’en déduis qu’elle le fait avant ou juste après. Toujours coquette et bien mise, je me pose toujours la question de savoir pourquoi et pour qui elle le fait, puisqu’elle reste tout le temps cloîtrée dans sa chambre.
J’ai pu faire un petit tour en ville accompagné de Célestin et de sa femme, ce n’est que ça que nous pouvons faire ; je n’ai plus droit aux distractions, bien que ce soit mon choix, et je l’assume malgré tout. Je n’ai pas prévu que ça se passerait ainsi, mais mon père lui, il a prévu tout ça, ce qui me met dans une situation bien embarrassante.
-Ecoute fiston; si cela ne t’arrange pas de rester ici, tu peux contacter directement tes parents . Moi je ne suis que fermement les instructions. Me dit Celestin.
-Non.
-Pourquoi?
-Je ne compte pas le faire; ils n’attendent que ça et ils sont sûrs à 100% que je ne tiendrai pas les 6 premiers mois ici.
-Je vois. Rétorque-t-il dans un faux sourire.
Nous sommes en ville et je me laisse traîner comme un gamin docile ; je les accompagne un peu partout, question aussi pour moi de me familiariser avec le milieu. Nous finissons notre balade en allant faire un tour à la fameuse institution où je ferai mes premiers pas en tant qu’étudiant étranger.
A notre retour, j’aperçois Irina au balcon; elle dodeline de la tête et paraît rêveuse ; ensuite elle se met à danser au son de la musique, les écouteurs suspendus à ses oreilles. Quand elle nous voit, elle s’arrête un instant, surprise de nous voir, ensuite elle fait rapidement demi-tour, comme si on venait de la chasser de là. Le reste des jours, elle est pratiquement invisible. Nous sommes en fin de semaine, vendredi plus précisément, et je m’ennuie à mourir; je ne sais pas quoi faire. J’ai envie de parler, de discuter avec quelqu’un de mon âge. Il est près de 21 heures lorsqu’après plusieurs hésitations, je prends les initiatives; je veux aller lui parler tout simplement, naturellement et surtout sans arrière pensée. Je ne prévois rien. Ses parents sont allés à un enterrement, m’ont-ils signifié plutôt en journée. J’ai le cœur battant lorsque je frappe timidement à sa porte. Elle ouvre aussitôt et m’invite à entrer. Un peu confus, je la trouve en train de se pomponner le visage; bref elle se fait une toilette; elle a tout l’air de quelqu’un qui s’apprête à sortir.
-Mais… Tu ne dors pas ?
-Moi ? Dormir ? À cette heure ? Jamais !
-On dirait que tu t’apprêtes à vouloir sortir.
- Oui !
- Et tu vas où?
- Je vais à une fête et mes amis m’attendent. Et tu viens avec moi. Tu ne vas pas le regretter.
-C’est risqué ! Je veux dire… tes parents t’ont interdit de…
-Ils me saoulent grave. Dit-elle en roulant les yeux. Je sors ! D’ailleurs ils ne savent pas comment fais pour tenir.
-Je ne comprends pas.
- C’est comme ça presque tous les soirs, je sors. Et quand je rentre je dors toute la journée.
-Quoi ?
-Eh oui ! Tout le monde ne voit que du feu. Même toi.
-Donc en fait si je comprends bien tu passes presque toutes les nuits dehors ?
- Yes !
-Je comprends pourquoi ils veulent vraiment t’envoyer si loin, chez ta grand-mère.
Non seulement elle enlève sa robe devant moi, dévoilant un corps presque parfait, je la vois se diriger vers le placard pour en sortir une tenue très chic et l’enfiler aisément devant moi. Elle prend bien soin de tourner ses fesses dont le string ressort bien les courbes devant moi. Elle me nargue proprement et me défie du regard. Je tente de me ressaisir, mais j’essaie par tous les moyens de l’empêcher de sortir. Elle me répond plutôt par une question.
-Erwin ? Et si tu venais avec moi ?
-Et tu penses que c’est une bonne idée ? Et si tes parents rentrent plus tôt ?
- T’en fais pas. Ils ne rentrent que dimanche.
-Et comment tu fais quand ils sont là ? Tu sors comment ?
-Je sors tout simplement quand tout le monde dort et je m’arrange à rentrer avant que tout le monde se réveille.
-C’est risqué !
-Ouais ! Mais je connais le rythme de tout un chacun.
-Je vois.
-Alors ?
-Alors quoi ?
-C’est oui ou pas ? On va bien s’amuser. Je te le garantis.
J’hésite, et je suis en même temps tenté par la tentation. Je suis là depuis plusieurs jours et je moisis comme un cafard mort depuis longtemps et posté au même endroit. Elle me tente grave avec ses airs de petite allumeuse. Elle a un de ces culot, je trouve. J’ai surtout envie de passer du bon temps avec elle, de découvrir son monde à elle, son univers. Elle est restée sur le qui vive, attendant une réponse.
-Ok j’accepte. Mais à une condition.
-Laquelle ?
-Je ne suis personne…
-C'est-à-dire ?
-Je suis juste Erwin, point.
Il s’agit d’une soirée organisée par un de ses amis à l’occasion de rien, rien de particulier ; c’est juste dans le simple but de se retrouver entre amis, de boire, de danser et de se défouler. Elle m’a effectivement présenté à trois d’entre eux, deux garçons apparemment du même âge que moi, André et Serge, et la fille qui se prénomme Odette. Le courant passe très vite entre nous. Irina quant à elle ne me lâche pas d’une semelle. Depuis que nous avons quitté la maison incognito, nous nous tenons docilement la main, et c’est à peine si nous restons séparés l’un de l’autre.
Je cause bien avec tout le monde; nous faisons plus ample connaissance. Irina et Odette font les folles, elles semblent bien s’amuser. Même s’il arrive que je papote avec Odette, Irina fait toujours tout reprendre le dessus de la conversation. Quelques heures plus tard, Irina m’entraîne à l’extérieur; il fait un peu frais, ce qui nous donne l’occasion de nous rapprocher un peu plus et de parler en toute sérénité.
-Alors? La soirée te plait? Demande-t-elle.
-C’est super! Tu avais raison.
-J’ai toujours raison!
-Mine de rien tu es une fille sympa et très gentille.
-Oui. En fait, c’est comme ça que je me défoule quand je peux, j’essaie de d’oublier mes galères. A la maison c’est vraiment difficile.
-Oui je sais. Je te comprends.
Elle ne dit plus rien, moi non plus d’ailleurs, je n’arrête pas de l’observer; elle baisse subitement la tête et me semble tout d’un coup pensive. Consciente du fait que je la regarde avec autant d’intensité, elle relève la tête, me regarde et me sourit un peu avant de reprendre.
-Oui tu me comprends parce que nous avons presque le même âge.
-Est-ce qu’on a le choix? Ils sont comme ça nos parents, ils veulent que nous soyons parfaits à leurs yeux, mais parfois ils ne se mettent pas à notre place. Je pense que le plus simple c’est de dialoguer avec eux.
-Hum! Avec ma qualité de parents ci? C’est … c’est impossible. Avec ce qui c’est passé il y a deux ans, c’est devenu insoutenable. Ils me prennent pour une de ces dépravées. J’en ai marre!
Je sais à quoi elle fait référence, mais je joue les ignorants, ne voulant pas la mettre mal à l’aise ; je le lui demande alors naïvement…
-Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Si ça ne te gêne pas d’en parler.
-Ah! J’ai juste merdé et aujourd’hui ça me suit. Ils passent leur temps à me le rappeler à chaque fois, et ça me rend triste. C’était une erreur, mais ils sont toujours en train de dramatiser.
-Je suis désolé. Tout le monde fait des erreurs, il suffit juste de savoir recommencer à zéro, repartir sur de nouvelles bases.
-Oui. Comme toi. J’imagine que tu n’es pas venu ici pour rien. Il a dû se passer quelque chose de grave de ton côté n’est-ce pas ? Pour que tu te retrouves ici. Attends! Moi ça me dépasse. Avec tout ce que tes parents ont comme…
-Comme quoi ? C’est moi-même qui ai pris cette décision.
-Oui mais… Pourquoi ? Alors que tu pouvais choisir d'aller en Mbeng* (Europe, Occident) et tout ça.
- Mbeng ? Ça veut dire quoi ?
-Je veux dire que tu pouvais choisir d’aller plutôt en Europe, aux States, tiens, un peu comme ton frère James qui a fait ses études au…
-Mon frère ? Tu… tu connais James ?
Elle se ravise un peu avant de reprendre…
-Désolée je … je sais juste que tu as un frère. Mes parents en parlaient l’autre jour lorsqu’ils ont annoncé ta venue. Tu… tu sais qu’ils se connaissent depuis longtemps, ton père et mon père. Papa a connu ton père lorsqu’il était au Nigéria. Il paraît qu’il a vécu là-bas pendant un bon bout, je n’étais pas encore née.
- Je vois.
-Donc, selon moi tu aurais mieux fait de partir de ce côté-là.
-J'ai fait un choix, et j’ai de bonnes raisons.
-Ok. Je comprends aussi. En tout cas, contente de savoir que tu te plaises ici et que tu en profites pour bien t’amuser, à l’insu de monsieur et madame Mfouapon.
Nous finissons par éclater de rire tous les deux avant de se taire subitement, de se regarder, de rapprocher nos visages ; j’ai bien envie de l’embrasser et je n’hésite pas. Sa bouche, ses lèvres me font vibrer; je la sens très réceptrice; le baiser est doux. Nous sommes interrompus par Odette.
-Hé! Les amoureux ! Nous on s’en va ohhh!
Il est minuit passé lorsque nous sommes de retour. On tente de se faire discrets; de toutes les façons, il n'y a pas grand monde à la maison, à part celui qui joue le rôle de gardien que nous trouvons, plus endormi que jamais. C’est lui qui vient nous ouvrir le portail; il nous rassure et nous confirme que les parents ne sont pas rentrés. Les deux oncles et tante qui séjournent là actuellement sont dans le même convoi que celui des parents. Mais Ibrahim le gardien finit quand même par se rappeler que quelqu’un est bien passé.
-Ah oui ! Irina, monsieur X… il est passé; il t’a cherché.
-Quoi ? Qui ?
-Il a juste dit Monsieur X. Et que tu allais comprendre.
-Je ne comprends rien du tout. Et je n’attends la visite de personne, et surtout pas à des heures tardives.
Irina me prend pour un idiot de première. Elle joue les ignorantes sans savoir que je suis bien plus malin que ça. Elle pense me blesser du fait que je découvre peut être qu’elle fréquente quelqu’un d’autre. Je m’en fiche, du moment qu’elle soit là avec moi, au même endroit. C’est normal, elle est pleine de beauté et rien que son regard perçant comme une jeune gazelle peut vous faire tomber à la renverse, et moi en premier. Mais pour sûr, je me suis fait la promesse de rester cool. Je finis par jouer aussi les ignorants et les type s’en fou, pour voir sa réaction, elle mord très bien à l’hameçon.
-Eh ! Tu ne me souhaites pas bonne nuit ? Demande-t-elle en croisant les bras et me minaudant.
-Bonne nuit chérie. J’allais oublier.
-C’est ça !
Je me rapproche, et je l’embrasse avec une telle fougue que je sens l’envie, la fièvre monter ; nous sommes au couloir, à quelques pas de nos chambres respectives, il suffit juste que je la soulève et que je la traîne soit dans la mienne, soit dans la sienne ; il suffit juste que… mais j’interromps l’action, avec beaucoup de peine et de maîtrise de soi.
-Bonne nuit. Je lui dis, encore en feu. Tu… tu ferais mieux d’aller te coucher.
