Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

Chapitre 2

LE REVERS DU MIROIR

Chapitre 2:

-Erwin ? Tu es conscient de ce que tu es en train d’avancer là ? Demande mon père, ahuri. Tu nous fais beaucoup de peine tu sais ? Je crois que tu ne penses pas ce que tu dis. Je le redis, tu ne sais pas la chance que tu as, et c’est triste.

A l’annonce de cette nouvelle, mes parents m’ont vraiment pris pour un dément. Ils ont confirmé que je ne vais pas bien depuis la mort de Peter. Ils pensent que je suis atteint de névrose ou de schizophrénie, ce qui sous-entend que je suis en train de perdre tout contact avec la réalité. La mort de Peter m’affecte encore au plus haut point et j’en suis extrêmement troublé, c’est vrai. Ça ne fait que deux mois qu’il est parti et je suis profondément meurtri. J’ai eu un grand choc et une grande douleur lorsque je l’ai vu mettre sous terre, et pour la première fois, je me suis senti vraiment seul. J’ai encore le souvenir de mes mains posées sur sa poitrine lorsque nous l’avons trouvé inanimé dans la villa de mes parents…

J’ai refusé de lâcher prise, mais c’était trop tard. Peter venait de rendre l’âme. A ce moment précis, j’ai senti que c’était aussi la fin pour moi. Je me suis affalé sur son buste et j'ai crié de toutes mes forces. Kingsley et Olawade étaient aussi alarmés que moi, mais ils sentaient que je risquais de commettre une bêtise s’ils ne me retenaient pas. Les filles étaient si terrifiées et n'arrêtaient pas de pleurer. On a fini par me relever, mais avec beaucoup de peine. J’avais l’air perdu, hébété, cherchant à comprendre pourquoi et comment une chose pareille pouvait arriver, au point de m’en prendre à la fille qui dormait aux côtés de Peter. Je me suis dirigé vers elle, je l’ai agressée et je l’ai menacée de dire la vérité.

-C’est toi ! « I go land you slap » (je vais te gifler). Qu’est-ce que tu lui as fait ? Parle! Parle ! Sinon je te fais arrêter !

Je lui ai serré le cou si fort, tandis que tout le reste a tenté de m’apaiser, mais rien n’y fait. Je finis par lâcher prise, mais tout en lui crachant des paroles méchantes et menaçantes. J’ai voulu appeler la police, mais les autres m’en ont dissuadé.

- Ne fais pas ça. Toute l’attention sera portée sur toi, ne l'oublie pas. Me dit Olawade.

Convaincu, je fini par céder. Nous avons essayé de réfléchir sur la manière de gérer cette affaire, moi et mes amis. Le plus dur a été de l’annoncer à la famille de Peter et à la mienne. Après plusieurs heures à chercher une solution, nous n’avons pas arrêté de tergiverser, de nous mordre les doigts et d’appréhender ce qui allait se passer par la suite. Soudain j’ai senti comme un poids lourd m’envahir totalement, et me donner tournis. Les paroles de mon père me sont revenues en mémoire selon lesquelles je n’ai jamais su prendre mes responsabilités alors que je prétends être un homme. Je porte la mort de mon ami sur la conscience et de ce fait je dois agir en conséquence. Aucun de nous trois, ni Kingsley, ni Olawade, n’a eu le courage de contacter la famille de Peter. J’ai pris une profonde inspiration avant de lâcher…

- Je vais le faire. Mais je… je pense qu’on doit appeler la police.

Son corps repose désormais au cimetière ici à Abuja. Je ne m’y suis plus rendu depuis son enterrement, ne serait-ce que pour lui parler. Je sais quand même que là où il est, il veille. J’ai confiance.

J’ai du mal à m’accommoder de son départ brusque, même si certains ne me croient pas et m’accusent directement de l’avoir tué. D’aucun sont allés encore plus loin, qualifiant sa mort de mystique; il parlent de « Juju » comme on l’appelle vulgairement ici, la magie noire, ou l'utilisation des pouvoirs maléfiques pour accomplir quelque chose. En gros, il s’agirait d’un sacrifice consenti par nous, ma famille et moi afin de renforcer notre pouvoir. Ce qui a fini par m’anéantir. Kinglsey et Olawade quant à eux, se sont rangés de l’autre côté, m’accusant indirectement d’être le principal responsable de la mort de mon ami. Je l’ai compris à travers leur attitude.

Malgré mes frasques intempestives, les seuls qui m’ont soutenu et tenu la main ne sont autre que mes parents. J’ai pu trouver en eux un énorme réconfort, et je me suis rendu compte de leur importance. Ils ne se sont pas laissés dominer par ces accusations gratuites selon lesquelles nous étions les meurtriers de mon propre ami.

Mon père a promis à la famille de Peter de tout organiser et de tout régler dans les moindres détails et qu’il ne laisserait personne nous porter un jugement sans preuves. La mort de Peter était d’origine naturelle, et selon les médecins, il souffrait d’un problème respiratoire à cause son poids, il était obèse, et à l’insu de ses parents, il n’avait jamais suivi les recommandations médicales. Entêté dans ce sens, je me souviens encore lorsqu’un jour il était sorti de l’hôpital en me brandissant une longue ordonnance bourrée d’interdits. J’en ris encore, mais avec la larme à l’œil.

- Bro ? Ils veulent me finir avant le temps ? Je ne dois plus me nourrir ? Si je ne le fais pas, à quoi sert la vie ? Huuuummm « I no gree ooooh » (Je ne suis pas d’accord) !

On finissait par en rigoler, même si je passais tout mon temps à l’encourager et à le motiver à suivre toutes ces restrictions médicales.

Mes parents ont reçu la nouvelle en plein fouet sur le visage lorsque que je leur ai fait part de mon intention de partir continuer mes études dans l’un de ces deux pays; mais ce n’est pas le fait de m’en aller qui les a le plus surpris, c’est plutôt le lieu que j’ai choisi qui a fini par assommer mon père et ébranler ma mère.

-Erwin ? À ghotaghim (Je ne comprends pas). S’exclame ma mère. Explique-moi bien. J’ai peut-être mal compris; que tu pars où?

-Maman, tu t’es déjà regardée devant un miroir ? Oui je sais, c’est toujours dans le but de te faire une beauté, mais est-ce que tu t’es déjà vraiment regardée devant un miroir, mais sans te voir ?

-Quoi? Répète !

-C’est simple. Quand on me demande mon nom par exemple et que je réponds, c’est tout le monde qui s’exclame, « C’est le fils de … ». On me voit passer, on s’exclame « C'est le fils de… » ça résume tout.

Les balbutiements de ma mère prouvent encore qu’elle n’y comprend pas grand chose. Elle bégaie un peu et se retourne vers son mari, comme pour chercher son appui.

-Oshi. Je ne sais pas ce qu’il raconte. A maro m (Je ne sais pas) !

-J’en ai marre de cette étiquette qu’on me colle à la peau malgré moi. Je veux devenir quelqu’un d’autre, je veux vivre comme un homme ordinaire, je veux voir et comment ça se passe de ce côté-là, je veux expérimenter une nouvelle vie dans un cadre différent, je veux avoir une vie normale et sans artifices.

Finalement, ma mère finit par me donner l’impression de comprendre ce que je veux dire.

-Erwin, je suis surprise par tant de maturité, mais laisse moi te dire une chose ; ne laisse pas passer les opportunités qui te sont encore offertes, car on ne sait jamais. Ton père et moi avons encore la force de te payer tout ce que tu veux, tout ! Alors je t’en supplie, réfléchis bien. Tu connais le Cameroun ? Non. Et la Côte d’Ivoire ? Encore moins. Je sais que tu aimes être ici, c’est l’Afrique c’est vrai, mais ne laisse pas passer une telle chance.

-Je l’ai déjà, cette opportunité. Mais en ce qui concerne celle d’aller voir au-delà de ce que je ne connais pas, je pense que ma voie se trouve là-bas. J’ai vécu dans la facilité, l’aisance et j’ai toujours fuis mes responsabilités et même les difficultés qui se sont présentées à moi. En France c’était pareil, j’ai merdé. J’essaie de voir et d’imaginer l’autre facette d’une nouvelle vie. Et en me regardant devant le miroir de la salle de bain, j’ai compris qu’au-delà de tout ça, ma place se trouve de l’autre côté. Il y a bien une autre façon de vivre plus simplement, et c’est ça que je veux.

Mon père, resté longtemps assis, a plutôt gardé son calme, il m’a écouté et regardé avec beaucoup d’attention. Ensuite il s’est levé et s’est dirigé dans la salle de bain de ma chambre. Quelques minutes plus tard, il en est ressorti confus et embarrassé, puis apparemment satisfait.

-Ok mon petit. Une chose est sûre, c’est que je suis content que tu sois revenu à la normale; je suis content de ce changement brusque qui s’opère en toi de manière spectaculaire, j’en suis ravi. Tout comme ta maman, nous ne comprenons toujours pas ce que tu as vu derrière ce miroir. Toi seul tu sais. Mais si cela a pu éveiller ta conscience, et si c’est vraiment ce que tu ressens, je ne peux que te soutenir. J’accepte volontiers que tu restes pour continuer tes études, mais au Cameroun, je préfère. C’est le pays voisin et nous t’aurons plus à l’œil. Mary as-tu quelque chose à rajouter ?

-Je prends aussi le risque de dire oui. Rétorque ma mère.

-Pas de problème, je ferai comme vous voudrez, du moment que j’aille là-bas. C’est comme un nouveau départ.

Mon père sourit, secoue la tête en guise d’affirmation, l’air convaincu et satisfait. Il sort son téléphone de sa poche.

-L’indicatif du Cameroun ? C’est bien le 237 ?

C’est effectivement un nouveau départ pour moi; j’ai le cœur battant, mais enjoué de partir à la découverte d’un milieu différent, loin de ma culture, différent de ma nature, loin des miens. Hâte de partir à la rencontre d’un univers qui me donnera peut-être l’occasion de me retrouver moi-même et de savoir si je pourrai relever certains défis. C’est un nouveau challenge. Tout est fin prêt à une semaine de mon départ pour Yaoundé, la capitale. Il me reste une dernière chose à faire, et ça j’y tiens. Mon père m’accompagne mais j’insiste pour qu’il reste dans la voiture ou alors qu’il se tienne à distance. Nous nous sommes rendus au cimetière où repose Peter. J’ai décidé de le faire; j’ai voulu lui parler une dernière fois à Peter, lui dire ce que j’ai l’intention de faire, et je sais qu’il m’aurait donné raison.

-Bro… je tenais à te le dire… j’ai pris cette décision et je dois la tenir. Ton départ… ton départ m’a fait comprendre beaucoup de choses. A quoi sert la vie ? Hein Bro ? Tu me le disais toujours. A quoi sert la vie si on ne donne pas un sens à sa vie ? C’est vrai on s’est beaucoup amusé, on a fait les fous, la fête et tout, C’était ça notre vie. Mais aujourd’hui je n’en ai plus la force tu vois ? J’ai compris. J’ai compris que je dois donner un sens à cette putain de vie, la mienne. Sans toi je … je me sens un peu perdu. Je te l’ai dit la dernière fois, que je le ressentais depuis un moment, mais je ne savais pas exactement ce que c’était. Maintenant je sais ; j’ai décidé de retourner à l’école Bro. Ca vaudrait mieux pour moi, j’ai demandé pardon à mes parents, pour ces deux années passées à ne rien faire, je l’ai fait pour nous deux. J’ai demandé pardon à ta famille… (je baisse la tête, je ne veux pas pleurer, mais là c’est un peu fort) Je leur ai demandé pardon… c’est… tout est de ma faute. Tout est de ma faute. Snif !Snif! Ce jour-là, j’avais insisté, j’avais tellement insisté pour que nous passions du bon temps, le temps d’un week-end au Château à Lekki. Alors que tu m’as dit au fond que tu ne te sentais pas très en forme, mais tu as cédé, pour me faire plaisir. Mon frère… si j’avais su. Aujourd’hui j’ai la nette conviction que tu m’aurais encouragé à partir continuer mes études, toi seul tu savais le faire… Aujourd’hui je me retrouve tout seul, face à moi-même. J’ai pu me regarder devant un miroir, j’ai pu me juger et j’ai pu comprendre… A présent je sais juste que je dois aller de l’avant. Je vais m’en aller… il fallait que tu le saches; c’est n’est qu’un au revoir, je reviendrai … au revoir Peter, au revoir mon frère.

Je pose délicatement ma main tremblante sur sa tombe, ensuite je sors de ma poche un collier, il l’avait toujours sur lui, c’était son porte bonheur me chantait il tout le temps. J’ai eu le temps de le lui ôter rapidement le jour de sa mort. Le collier est toujours dans mes mains; je fini par le déposer sur sa tombe, ensuite je me lève, je décale de quelques pas et je me retourne sans plus me retourner, les larmes aux yeux. A partir de ce moment-là, j’ai eu la nette impression de me sentir libéré, apaisé.

A mon arrivée à Yaoundé, la capitale une semaine après, je suis accueilli par la famille Mfouapon, une des connaissances de mon père. Une connaissance vague je dirai, parce que je n’ai jamais entendu parler d’eux, du moins je n’ai aucun souvenir et encore je dirai que je ne connais pas toutes les relations de monsieur « Oshi ». Lorsqu’il m’a annoncé que je serai hébergé par cette famille, j’ai failli dire non, mais

je me suis ravisé, du moment où ils ont accepté de me laisser partir, c’était ça la condition.

- Les Mfouapon sont une connaissance à moi. M’a dit mon père quelques jours avant mon départ. Ils vont t’accueillir là-bas le temps que tu puisses t’adapter et trouver tes marques. Ihe oma diri ! (Bonne chance). Nous viendrons souvent te voir.

L'accueil réservé par le couple ami à mes parents est si empreint de chaleur, mais j’ai compris l’étrange impression qui se dégage d’eux, la gêne et même certains gestes maladroits qu’ils ont à mon égard. La villa est bien quelconque, bien qu’elle soit assez grande. L’autre chose c’est le branle-bas et les murmures qui se font entendre de l’autre côté de la pièce, je crois que ça vient de la cuisine. J’ai le temps de flairer ce qui se passe, ils parlent de moi et bien évidemment ils sont émerveillés de recevoir le fils d’un magnat du pétrole nigérian. Je suis planté là au beau milieu du salon, mes valises à terre, et l’air un peu sûr de moi.

- Welcome oooh!

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.