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-C’est toi l’avocat ici. A toi de me dire, railla Béryl.
Sa bouche prit un pli dur et son regard se durcit. Elle avait changé. La femme que j’ai en face de moi n’est plus celle que j’avais connue. La joie de vivre qui brillait autrefois dans ses beaux yeux a complètement disparu.
-Je ne dispose pas des faits. Donc je ne peux pas apporter mon avis.
-…
-J’attends une réponse.
-Tu ne l’auras pas, Mauricio. Je n’ai pas l’intention de te mêler à tout ceci. Je veux juste rencontrer ce journaliste et avancer. Je ne suis que de passage par ici. Je connais mon avenir et crois-moi, il n’est pas rose.
Elle avait parlé avec une voix emplie d’une indéniable
tristesse. Je la jaugeai du regard.
-Je peux te défendre si tu veux…Mes honoraires sont assez chers mais pour toi, je peux fermer les yeux. Il suffit que tu me racontes ton histoire. Pourquoi cherches-tu à rencontrer un journaliste, Béryl ?
Elle plongea son regard dans le mien. Le sien semblait vide, dénué de toute émotion. Même son visage était peu expressif.
-Je n’ai pas besoin d’un avocat. Merci néanmoins…Je constate que tu es resté égal à toi-même. Cela ne m’étonnerait pas que tu aies prié pour que je sois en vie depuis ma disparition. Même après ce que je t’ai fait…
Béryl me connait très bien. Elle est vraiment la seule femme à qui je me suis montré tel que j’étais. Avec Anna, j’ai essayé de mettre des barrières…La peur d’une autre déception ne m’avait pas aidé à me lâcher. Ne voulant pas aborder le sujet de notre rupture, je gardai le silence. Elle relança la conversation.
-Anna a dit hier que tu es son fiancé. Mais vous vivez ensemble. Si mes souvenirs sont bons, tu n’aimais pas l’idée que deux personnes non mariées vivent ensemble. Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Ma vie privée ne te regarde pas, répondis-je sur un ton agressif.
-Je faisais juste la conversation, lâcha-elle sur un ton calme.
Je me sentis idiot. Je suis connu pour ma mansuétude. Béryl a toujours eu le don de me sortir de mes gonds. Je pris une profonde inspiration.
-J’ai choisi Anna pour être mon épouse. Je l’aime et l’épouser est la prochaine étape.
-On dirait que tu essaies de t’en convaincre, fit remarquer
Béryl.
-Ce n’est pas le cas.
-Si tu le dis, fit-elle sur un ton sceptique. Je n’ai pas vu des enfants…Pourtant, je suis tombée sur un berceau dans le salon.
Elle a le don d’appuyer là où ça fait très mal, pensai-je en détournant le regard. Je n’avais pas envie d’aborder ce sujet douloureux. La plupart des personnes qui apprenaient le drame qu’Anna et moi avions traversé essayaient de nous remonter le moral sans vraiment comprendre notre réalité. Béryl par contre avait vécu le même drame que nous. Elle comprendra.
-Nous n’en avons pas.
***Béryl KPOMAHOUN***
Mauricio a tressailli quand j’ai abordé le sujet des enfants. J’ai compris qu’il y avait un problème. Après un moment d’indécision, il se décida à poursuivre :
-Nous avons…Anna a porté deux grossesses. La première s’est arrêtée à huit mois quelques jours. Elle a été obligée d’accoucher par voie basse mais contrairement aux mères qui mettent au monde des bébés en bonne santé, elle a dû faire sortir un mort-né. La seconde grossesse est parvenue à terme…Elle avait mis au monde une petite fille…mais celle-ci est décédée deux jours après sa naissance. Cela fait six mois déjà.
Sa déclaration me laissa toute pantoise dans un premier temps. Puis un sentiment de panique s’empara de moi. Mauricio s’était exprimé sur un ton neutre dénué de toute émotion. Mais je suis très bien placée pour savoir que ce sont souvent les personnes qui cachent mieux leurs émotions qui sont celles qui souffrent encore plus. Tout comme Anna, j’ai perdu des enfants. Cette douleur qu’on
ressent après la perte d’un enfant est tellement atroce. Je ne
la souhaiterai même pas à mon pire ennemi.
-Je suis désolée, murmurai-je doucement. Je n’aurais jamais abordé le sujet si j’avais su…
-Ce n’est rien. J’en ai parlé parce que je sais que tu as
également traversé ce drame avec la perte de tes enfants.
-…
-Mais si mes souvenirs sont bons, il doit rester un n’est-ce pas ? Où se trouve-t-il ? demanda-t-il sans prendre de gants.
La chape de peur qui menaçait de me faire péter un câble
depuis peu s’empara totalement de moi. Je me mis à
trembler. La gorge nouée, j’essayai de lutter contre les
larmes qui menaçaient de prendre d’assaut mon visage.
-Il n’est plus. Il est mort il y a quelques mois.
-Quoi ? rétorqua Mauricio dont les yeux s’écarquillèrent à la manière d’une soucoupe volante. Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Je n’ai pas envie d’en parler, murmurai-je en essayant furtivement les larmes qui avaient réussi à traverser la barrière que j’avais essayé de mettre en place.
-Béryl…
-Ne dis rien s’il te plaît.
-Je ne connais pas les circonstances du décès, Béryl mais est-ce que as-tu pensé à ce qui se passera quand le ministre apprendra que son fils est mort ?
-…
