chapitre 4
Après avoir terminé mon repas, j'allai me coucher. J'avais l'impression d'entendre des coups de fusils partout. Je revoyais ce fouet descendre sur mon dos. Je revivais les scènes comme si elles étaient encore réelles. Je me demandais qui était réellement Abosso. Cet être ne pouvait être humain. Je ne savais pas comment faire pour ne plus le revoir.
Le sommeil avait coupé court à mes pensées. À mon réveil, il était midi. J'avais dormi pendant tellement longtemps. J'avais terriblement faim. C'était l'heure de mon rendez-vous avec Abosso. Je ne comptais pas l'honorer. Je m'étais empressée de me faire à manger. Pendant que je dégustais mon plat, je me mis à penser à lui. Je lui devais au moins de la gratitude pour m'avoir sauvé la vie.
Je m'étais mise dans un pantalon jeans bleue. Mon t-shirt blanc était assorti à ma paire de baskets. Bizarrement, je m'habillais en pensant à lui. Je voulais recouvrir tout mon corps pour lui. J'avais pourtant l'habitude de mettre ce pantalon avec un soutien et un haut grillage noir pour continuer de faire ma publicité même en journée.
Devant le miroir, je voulais répéter mon Hymne de toujours. Mais je ne pus. Aucun mot ne sortit de ma bouche. Quelque chose changeait en moi mais je ne m'en rendais pas encore compte. Je m'étais juste dis que je revivais le traumatisme de la veille.
Ma sacoche accrochée au cou, je m'étais mise en route. Le marché n'était qu'à une demi dizaine de minutes de chez moi. Une fois au lieu de rendez-vous, je ne vis personne. C'est vrai que j'avais déjà deux heures de retard. J'avais tout mon temps. Les mamans du marché ne m'adressaient pas la parole et interdisaient à leur fille de m'approcher. J'étais leur bête noire. Au moins une fois, je m'étais tapé leur mari ou leur fils.
Ce n'était guère une préoccupation pour moi. Je me foutais de tout jugement. C'était mon métier. Je n'en étais pas très fière mais pour moi c'était tout à fait normal. Aucune des femmes de ce secteur n'acceptait de me vendre quoi que ce soit. J'aurais payé tout l'argent du monde, ça n'aurait pas eu de valeur à leurs yeux. J'avais pourtant très envie de manger de ce pain tartiné au chocolat que vendait la femme d'en face. Ou encore ces brochettes de poulet à l'autre bout de la rue.
Je salivais comme si je n'avais rien avalé depuis le matin. Au bout d'une heure de temps à attendre, j'eus sommeil. Je me levai pour partir. C'est là qu'Abosso arriva, avec un sac rempli de vêtements.
Abosso : mon bébé, tu es là depuis ? Je t'ai acheté des vêtements.
Toutes les femmes du marché se mirent à nous regarder. Elles ne comprenaient pas ce que je pouvais bien gérer avec un malade mental. Les rumeurs commencèrent à se former en boule de neige, de bouche à oreille. Selon les dires, j'étais déjà dans une secte.
N'en pouvant plus de ces regards sur moi, j'avais laissé Abosso sur place et couru vers le quartier. Je l'entendais crier contre ces femmes.
Abosso : moi qui vous aide à vider vos poubelles, c'est comme ça que vous me remerciez. Je trouve ma Pointure, vous venez gâter. On va voir qui va encore vous aider.
Il se mit à me courir après, sous les rires moqueurs de la population.
Abosso : bébé ne pars pas sans moi, tu n'as même pas mesuré tes habits.
Une fois dans le quartier, je lui donnai un dernier avertissement.
Ava : je suis venue au marché uniquement pour te remercier de ce que tu as fait pour moi hier soir. Je reconnais que je te dois la vie. Je ne sais pas d'où tu viens, ni même ce que tu es mais je ne veux plus jamais te revoir. Laisse-moi en paix, il ne peut rien y avoir entre toi et moi. Laisse-moi tranquille...
Abosso : bon, si notre relation doit se terminer ici, prends au moins les habits que j'ai achetés pour toi. C'est avec ton argent que j'ai acheté. Je savais que si te remets ça, tu vas seulement aller boire avec. J'ai aussi acheté les chaussures et le caleçon. J'ai même fait les Complet-complet.
Pour me débarrasser de lui, je pris le sac. Pendant que je partais, ses dernières paroles me firent m'arrêter.
Abosso : bon, je m'excuse de t'avoir dérangé. Je vais un peu aller fouiller les poubelles. Peut-être que je vais trouver à manger. Après je pars au marigot me laver. Sûrement c'est parce-que je ne suis pas propre que tu ne veux pas m'aimer.
S'il m'avait sauvé la vie, je pouvais au moins lui offrir un repas et des vêtements. J'en avais à sa taille dans ma garde-robe. Les vêtements que je dérobais à mes clients pouvaient lui aller.
Ava : tu viens avec moi. Je te donne à manger, tu prends une douche et je te donne des vêtements. Après ça, tu pars et je ne te revois plus jamais. Est-ce qu'on est d'accord ?
Abosso : j'accepte, bébé.
Ava : si tu m'appelles encore bébé une seule fois, je change d'avis. En fait, ne parle même plus. Et sache que peu importe le genre de sorcier que tu es, je n'ai pas peur de toi.
Abosso : je suis même très étonnée que tu sois venue au rendez-vous. Je ne m'attendais pas à te voir. Normalement tu devais avoir très peur de moi.
Ava : je suis comme ça. Plus rien ne me surprend dans la vie.
Abosso : si jeune et tu as déjà perdu goût à la vie. J'espère que j'aurai la chance d'écouter ton histoire. Il doit y avoir une histoire derrière tout ça.
Ava : tu as bien dit une histoire. Ce qui signifie que c'est déjà passé et qu'on ne peut plus rien faire. Allons à la maison.
Pendant qu'on marchait, il ne cessait de parler. Et moi qui n'était pas très bavarde, je me retrouvais en train de lui répondre.
Abosso : tu n'as pas peur que les gens me voient entrer chez toi ?
Ava : je ne me suis jamais fiée au jugement des gens. Nous avons tous nos démons cachés. Ce qu'ils me reprochent de faire en public, ils le font sûrement tapis dans l'ombre.
Une fois à la maison, je lui avais montré mes petites toilettes. Il était étonné de me voir vivre dans cette petite cabane.
Abosso : avec tout ce que tu gagnes chaque jour, c'est ici que tu habites ?
Ava : c'est chez mes parents. C'est mon héritage. Je ne peux pas aller ailleurs. D'ailleurs, est-ce que c'est ton problème ? Contente toi d'aller te laver et de mettre ces vêtements. Moi, je vais apprêter ce que tu vas manger.
Abosso : heyyy seigneur ! Donc je vais aussi vivre ça ? Je n'ai même pas cinq minutes pour me laver. J'arrive.
Ava : si tu ne te laves pas bien, je te chasse.
Abosso : euillll bébé, j'ai vingt minutes à la douche. Je dois bien me laver.
Malgré son état de démence auquel je doutais fortement, il se lavait en chantant. J'avais l'impression qu'il dansait aussi. Il semblait être heureux. Sa joie me contaminait. En même temps, j'en étais jalouse. Je ne vivais jamais de tels instant de bonheur.
J'étais assise au salon. Je ne l'avais pas attendu pour manger. J'avais déjà terminé mon plat. Il avait mis près d'une heure pour finir sa toilette jusqu'à l'habillement. Je lui avais laissé un costume complet sur le lit. Me souciant de comment il allait faire pour s'habiller tout seul, je l'avais rejoint dans la chambre pour l'aider. À mon arrivé, il faisait tout de travers. Il essayait de porter la chemise sur la veste.
Ava : mais... Mais... Hahaha... Mais qu'est-ce que tu fais ?
Abosso : tu ne pouvais pas me laisser un bas et un haut normalement ? Je porte tout ceci comment ?
Ava : bon, enlève tout et remet le peignoir sur toi. Je fais un tour à la boutique pour te prendre un rasoir. On va tout commencer depuis la base. J'ai laissé ton repas sur la table. Mange en attendant.
Abosso : bébé on est déjà marié comme ça ?
Ava : MOUF...
Je ne me reconnaissais pas. C'était sûrement une autre Ava. Ce n'était pas moi en tout cas. À mon retour de la boutique, il terminait la viande du plat. Il sourit en me voyant. Je ne pus m'empêcher de répondre à son sourire.
J'avais une tondeuse. Je savais coiffer. Je lui fis une coupe de cheveux à mon goût. Avec le rasoir, je lui nettoyai la barbe. Je l'aidai à s'habiller. Le rendu était magnifique. Il était tellement élégant. Tout à coup, je le voyais sous un autre œil. Placé devant le miroir, il semblait ne pas être surpris par sa nouvelle apparence. Il était plutôt un peu pâle. J'étais juste derrière lui. Je voyais les traits de son visage dans la glace.
Ava : je m'attendais à ce que tu sautes de joie.
Abosso : il fut un temps j'étais comme ça. Tout propre, tout beau.
Ava : pourquoi est-ce que tu fais semblant d'avoir perdu la tête ? Parce que c'est une simulation, n'est-ce pas ? Même si on me dit quoi, tu n'es pas fou.
Abosso : est-ce que j'avais d'abord dit que je suis fou ? Je suis très normal. Mais bon, pour ton bien, tu n'as pas à connaître certaines choses.
Ava : comme tu voudras. Maintenant, tu peux partir. Je t'ai laissé un sac de vêtements devant la porte. J'espère que tu habites dans un endroit où tu pourras bien garder tout ça.
Abosso : en réalité je n'ai pas de maison. Là où la nuit me trouve, je dors seulement. Merci pour tout mon bébé. Tu n'es pas comme les gens te décrivent.
Ava : je ne suis pas ton bébé non plus. Je veux que tu comprennes qu'il n'y aura jamais rien entre toi et moi. Tu es gros, court, bizarre et sûrement un sorcier. Ma vie est déjà assez tordue.
Abosso : moi je garde espoir hein. Les humains disent souvent qu'on ne connait pas le caillou qui tue l'oiseau.
Ava : les humains ? Tu n'es pas humain ? En tout cas, tu n'en as même pas l'air. Comme tu n'as pas de maison, tu peux dormir sur le canapé au salon. Rien que pour cette nuit. Demain matin, tu pars. Moi je vais aller au travail. Bientôt c'est mon heure.
Abosso leva violemment son regard vers moi. Il semblait être déçu d'entendre ça.
Abosso : donc, ce qui s'est passé hier soir ne t'a rien dit ? C'est quand tu vas mourir que tu vas comprendre ? Ou bien tu penses que tu auras toujours la chance et en sortir ?
Ava : tu n'es personne pour me dire ce que je dois faire ou pas. À l'avenir, évite de me parler sur ce tong.
Abosso : orrr... Moi quoi ? Pars nor. Je vais rester regarder la télévision. Un jour tu vas rentrer qu'on a coupé tes seins pour aller vendre.
Ava : ce sont tes seins ?
Abosso : tu crois que je vais épouser une sans seins ? moi ? Jamais ! Au lieu de...
Sa phase fut abrégée par un coup de feu qui venait droit vers moi. Abosso arrêta la balle avec deux doigts. Avant de sauter sur moi pour me couvrir. Ça fusillait de partout.
Abosso : ils m'ont retrouvé... On ne peut même pas vivre en paix. Il n'y a pas une sortie de secours ? On doit partir.
Ava : la porte de derrière donne au champ.
On sortit par là. On marqua à peine deux pas qu'on fût complètement encerclé par des hommes de l'armée. Ils étaient tellement armés et protégé qu'on aurait dit qu'ils traquaient tout un gang. Le chef de troupe parla dans son haut-parleur.
-Abosso, cette fois on te tient. Laisse cette femme tranquille et rend toi.
Abosso : c'est pour ça que tu veux casser nos tympans ? Si tu parles sans ta boîte là, on ne va pas suivre ? J'ai même d'abord fait quoi ? Si on vous demande, vous allez dire que vous me cherchez pourquoi ?
Au même moment, un hélicoptère arriva et brandit les lumières sur nous.
Ava : MAIS QUI ES-TU AU JUSTE ? POURQUOI EST-CE QUE TU ES RECHERCHÉ PAR CES GENS ? TU AS TUÉ QUI ?
Abosso : bébé, est-ce que je peux même tuer la mouche. ? C'est comme ça quand on n'aime pas quelqu'un nor. On veut sa chute. Sinon j'ai fait quoi ? Rien ohhh !
Ava : je ne veux pas aller en prison à cause de toi.
Il me tint par la main et me regarda droit dans les yeux.
Abosso : fais-moi confiance et ferme un peu les yeux. On doit fuir.
Ava : si on bouge, ils vont nous tuer.
Abosso : j'ai dit de bouger ? Ferme seulement les yeux.
Je fermai les yeux. Je ressentis juste comme un éclair.
Abosso : c'est bon, tu peux ouvrir tes yeux.
Lorsque j'ouvris les yeux, j'étais stupéfaite. Je vis une fourmille passer devant moi. Elle avait deux fois ma taille. La feuille d'arbre était comme un monument devant moi. Les hommes en tenue semblaient être des géants. Je les entendais crier ''ils ont disparus''. J'étais tétanisé sur place. Abosso nous avait rendu plus minuscule qu'un insecte.
