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Chapitre2-A:La femme au poignard

1. La Parole de l’Ombre

Jael resta quelques secondes sans oser bouger. Ses jambes ne le portaient presque plus, et son esprit criait de fuir.

Mais il comprit qu’il ne tiendrait pas debout plus longtemps.

Il recula jusqu’à la chaise qu’il avait déplacée la veille. D’un geste raide, il s’y laissa tomber, le dos plaqué contre le dossier, les mains crispées sur les accoudoirs.

La femme ne le quittait pas des yeux.

Elle finit par incliner légèrement la tête. Quand elle parla, sa voix était grave et curieusement posée :

— Ne crains rien.

Jael sentit sa respiration se bloquer dans sa gorge.

— Je ne suis pas venue pour t’effrayer.

Elle fit un pas, lent et presque solennel. Le poignard resta fiché dans sa poitrine, oscillant à peine.

— C’était… ma façon de t’accueillir.

Son cœur battait si fort qu’il avait l’impression qu’il allait se briser.

— M’accueillir ? répéta-t-il d’une voix éteinte.

— Oui. Tu m’as appelée. Et j’ai entendu.

Elle désigna l’assiette fumante.

— Je t’ai préparé un repas. Mange.

Jael baissa les yeux sur la nourriture. Son estomac se contracta de dégoût, incapable d’accepter l’idée même d’avaler une bouchée.

— Non… je… je ne peux pas.

La femme ne bougea pas. Mais la température de la pièce sembla chuter brutalement.

Ses yeux s’étaient légèrement rétrécis.

— Si tu refuses… murmura-t-elle, sa voix prenant un timbre plus sombre, plus profond…

Elle fit un pas de plus, et Jael crut sentir l’air vibrer contre sa peau.

— …tu vas attiser ma colère sur toi.

Un long silence suivit.

Jael ferma les yeux, tremblant, essayant de rassembler assez de force pour réfléchir.

Quand il les rouvrit, il comprit qu’il n’avait pas le choix.

Il baissa la tête vers l’assiette.

Mais avant de tendre la main, ses lèvres se mirent à bouger toutes seules.

Sa voix, rauque, brisée par la peur, prononça le mot qu’il n’aurait jamais dû dire :

— Vel…aeh…turr.

La femme s’immobilisa.

Le silence, d’un seul coup, devint plus profond que jamais.

2. Le Nom Révélé

Le mot venait de franchir ses lèvres, comme arraché de sa gorge par une force étrangère.

— Vel…aeh…turr.

La femme s’immobilisa net, comme figée.

Pendant un instant, Jael crut qu’elle allait disparaître dans un souffle.

Mais au contraire, elle releva lentement le menton. Ses longs cheveux noirs glissèrent sur sa poitrine, découvrant un visage blême, d’une beauté glacée, presque douloureuse à regarder.

Ses lèvres s’entrouvrirent.

— Enfin… murmura-t-elle.

Sa voix avait perdu toute dureté. Elle vibrait d’une sorte de soulagement obscur.

— Enfin, tu me le demandes.

Jael sentit un frisson remonter sa colonne vertébrale. Il inspira avec peine, ses mains toujours crispées sur les accoudoirs de la chaise.

— Qui… qui es-tu ?

Elle fit un pas de plus, émergeant entièrement de l’ombre. La lame plantée dans sa poitrine brillait faiblement dans la lumière de l’aube.

Son regard, d’un noir sans fond, se planta dans le sien.

— Je m’appelle Velyaeh Turquoir.

Le nom résonna contre les murs nus, plus ancien que la poussière qui recouvrait le manoir.

— Et depuis un bon moment… sa voix trembla légèrement, comme si elle contenait une émotion qu’elle refusait de montrer…

— …je ne cesse de te dire que c’est toi qui m’as appelée.

Jael sentit son estomac se contracter. Il ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit.

Elle inclina la tête, presque avec douceur.

— Maintenant, tu sais qui je suis. Et tu sais pourquoi je suis ici.

Elle désigna à nouveau l’assiette fumante.

— Mange, Jael. C’est le premier pas. Après, nous pourrons parler.

3. La Soumission

Le silence s’était refermé sur eux, épais comme un drap mortuaire.

Velyaeh Turquoir restait debout, immobile, la main tendue vers l’assiette.

Elle ne clignait pas des yeux.

Elle ne respirait même pas.

Jael sentit ses dernières forces l’abandonner. Il n’avait plus la certitude de contrôler quoi que ce soit. Peut-être avait-il cessé d’en avoir envie.

Ses doigts, glacés, se détachèrent lentement de l’accoudoir de la chaise.

Il baissa les yeux vers le ragoût, dont la vapeur montait toujours, presque incongrue dans cette pièce sinistre.

Sa voix sortit, à peine un murmure :

— Très… bien.

Velyaeh baissa doucement le bras. La tension sembla se relâcher, comme si la maison retenait son souffle depuis trop longtemps.

— Sage décision, souffla-t-elle.

Jael se força à inspirer. Il prit la cuillère, la main tremblante au point qu’un peu de sauce coula sur la table. Il hésita encore une seconde, priant pour que ce soit seulement un rêve dont il se réveillerait enfin.

Puis, lentement, il porta la première bouchée à sa bouche.

4. Le Goût de la Peur

Le ragoût était tiède, parfumé d’herbes qu’il ne reconnut pas. Pendant un instant, il crut qu’il allait vomir, tant la nausée et la peur se disputaient son estomac.

Mais il avala, machinalement, sans oser lever les yeux vers elle.

Velyaeh l’observait sans rien dire. Il sentit son regard peser sur lui, lourd et glacé.

Il prit une deuxième bouchée. Puis une troisième.

Peu à peu, une étrange chaleur se répandit dans ses veines. Un engourdissement diffus, pas désagréable mais inquiétant, comme si la nourriture portait en elle une sédation qu’il ne contrôlait pas.

Il reposa la cuillère, la gorge serrée.

La femme inclina légèrement la tête, comme satisfaite.

— Voilà. Ce n’était pas si difficile…

Jael osa enfin relever le regard vers elle.

— Maintenant… murmura-t-il, la voix rauque… qu’est-ce que tu veux de moi ?

Velyaeh ne répondit pas tout de suite. Son regard se fit plus profond, plus ancien que tout ce qu’il avait connu.

Elle avança d’un pas.

— Je vais te le dire, Jael.

Son ombre s’étira sur le parquet jusqu’à toucher ses chaussures.

— Mais tu dois d’abord comprendre… que rien ne t’appartient plus ici.

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