
Résumé
On raconte qu’aucune des familles qui ont franchi le seuil du manoir Julio n’en est jamais ressortie. Depuis deux siècles, la maison dévore les vivants et conserve leurs ombres, tissant sa légende dans le silence et la poussière. Jael, expert en phénomènes paranormaux, n’a jamais cru aux histoires qu’on se murmure à la nuit tombée. Jusqu’au jour où il a voulu percer le secret du manoir. Jusqu’à l’instant où il a prononcé le mot interdit. Maintenant, il n’est plus un simple visiteur. Il est celui qui a réveillé les ombres endormie. Et la maison n’a pas fini de réclamer ce qu’ils attendent depuis trop longtemps. -
Chapitre 1-A:La Maison du Silence
1. Les Nouvelles qui Réveillent les Ombres
On dit que certaines demeures respirent encore après la mort de ceux qui les ont bâties. Ce matin-là, Jael comprit que la Maison Julio n'avait jamais cessé de respirer. Elle attendait.
Le journal du jour trônait sur la table basse, l'encre encore fraîche. Jael ne lisait plus les rubriques mondaines depuis longtemps, mais ce titre-là, en caractères noirs et gras, lui coupa le souffle :
> « La Julio familia se sépare de son manoir ancestral après deux siècles d'histoire. »
Un simple encart, coincé entre la chronique économique et un fait divers, mais qui sonnait comme l'ouverture d'un cercueil trop longtemps scellé.
2. La Curiosité du Chasseur
Jael repoussa sa tasse de café et approcha son visage du papier. Il parcourut les lignes avec une fascination qu'il n'éprouvait plus depuis des années :
> « Considéré comme le plus ancien manoir de la région d'Anger, la Maison Julio n'a plus accueilli de propriétaires depuis cinquante ans. Les rumeurs affirment qu'elle est hantée par les âmes de milliers de disparus. La Julio familia n'a pas souhaité commenter. »
Des milliers de disparus.
Cinq mille, disaient certaines histoires.
Une maison qui engloutissait ceux qui y vivaient.
Personne n'avait jamais pris la peine de vérifier.
Il sentit l'adrénaline remonter le long de son échine. Pour d'autres, c'était une folie. Pour lui, c'était une invitation.
3. L'Appel du Vide
Il sortit un carnet relié de cuir, celui où il consignait tous les lieux maudits qu'il rêvait d'explorer. La Maison Julio figurait sur cette liste depuis ses vingt ans.
Son mentor disait :
> « Il existe des lieux dont la faim n'est jamais rassasiée. »
Jael avait passé des années à chercher ce genre de lieux : des cryptes oubliées, des maisons que plus personne n'osait nommer. Mais il savait que rien ne ressemblait à ce manoir.
Il ferma les yeux et sentit battre son cœur contre sa poitrine.
C'était le moment.
Il devait savoir.
4. L'Achat de la Malédiction
Quelques heures plus tard, il se retrouva devant l'étude notariale. La secrétaire, une femme fluette aux mains tremblantes, évitait son regard.
- Vous êtes sûr ? demanda-t-elle en tendant le contrat de vente.
- Certain, répondit-il.
Elle pinça les lèvres, comme si elle s'attendait à ce qu'il se rétracte. Mais Jael posa sa signature avec une lenteur presque cérémonielle.
Il venait d'acheter la maison la plus redoutée du pays.
Quand il ressortit, un vent glacé traversa la rue. Il leva les yeux : les nuages semblaient se rassembler au-dessus du toit noir, bien qu'il soit encore loin.
Il eut la certitude que la maison savait déjà qu'il arrivait.
5. Le Départ
Il passa la nuit à empaqueter ses affaires. Pas grand-chose : quelques vêtements, ses instruments de mesure de l'activité paranormale, et ce carnet qu'il ne quittait jamais.
Dans un tiroir, il trouva un polaroïd abîmé représentant la façade du manoir. Une photo prise quinze ans plus tôt, lors de sa première tentative d'approche.
Le porche semblait bâiller comme une gueule.
Il se demanda combien de familles avaient franchi cette porte sans jamais reparaitre.
À l'aube, il mit le contact de sa vieille voiture. Les phares éclairèrent la route encore endormie. Il inspira profondément.
C'était la première fois qu'il se sentait à la fois si vivant et si proche de la mort.
6. La Maison Déchue
Le trajet avait paru interminable, comme si chaque kilomètre l'éloignait du monde des vivants. Quand Jael se gara enfin devant le portail rouillé, il sentit le poids du silence peser sur ses épaules.
Le manoir s'élevait, colossal et noirci par le temps. Les volets, arrachés par les tempêtes, pendaient comme des lambeaux de peau morte. La porte d'entrée grinça quand il la poussa.
Un souffle froid l'accueillit.
Il n'avait jamais connu une odeur pareille : un mélange de terre humide, de bois pourri et de poussière centenaire. À la lueur de sa lampe, Jael avança lentement. Ses pas dérangeaient des armées invisibles.
Les souris détalaient entre ses chaussures. Des toiles d'araignées épaisses comme des rideaux pendaient du plafond. Il entendit un battement d'ailes : une chauve-souris surgit d'une poutre et disparut dans un escalier obscur.
Le parquet gémissait sous son poids, comme s'il s'indignait de sa présence. Les portraits accrochés au mur semblaient observer son avancée avec un dégoût muet. Ici, le temps avait cessé de s'écouler. Il s'était transformé en poussière, en moisissure et en silence.
Jael inspira lentement. Ce lieu était un tombeau.
Mais c'était son tombeau désormais.
7. La Volonté de Recommencer
Il fit le tour du rez-de-chaussée, prenant des notes mentales :
La cuisine, éventrée par les infiltrations.
Le grand salon, envahi par les souris.
La bibliothèque, dont les rayonnages menaçaient de s'effondrer.
Il passa une main sur la rampe de l'escalier monumental : la poussière recouvrit ses doigts d'un manteau gris.
Une chauve-souris passa à nouveau dans un froissement nerveux.
- Il va falloir tout nettoyer, murmura-t-il.
Il y avait quelque chose d'étrangement apaisant dans cette idée. Comme s'il fallait débarrasser les lieux de leur crasse pour qu'ils acceptent de lui révéler leurs secrets.
Il alluma le vieux poêle au gaz qu'il avait apporté, se prépara un café brûlant, puis se mit à l'ouvrage.
8. Le Rituel du Nettoyage
Il commença par ouvrir les fenêtres, une à une. L'air glacé de l'extérieur s'engouffra, chassant une partie de l'odeur stagnante. Avec un balai, il écarta les toiles d'araignées, découvrant des murs fissurés.
Dans chaque pièce, il ramassait des ossements minuscules, des nids abandonnés, des restes de vie qui n'étaient plus que poussière.
Il trouva un vieux tapis rongé par les mites et le roula dehors.
Il gratta les vitres pour faire passer un peu de lumière.
Des heures passèrent. Les muscles de ses bras brûlaient, ses mains étaient couvertes de coupures, mais il sentait naître en lui une détermination froide : il voulait que la maison le reconnaisse. Qu'elle sache qu'il n'était pas un visiteur, mais un occupant.
Le soleil déclinait quand il s'attaqua à la bibliothèque. Il enleva des piles de livres gonflés d'humidité et découvrit un mur recouvert de symboles gravés dans la pierre. Il s'arrêta, le cœur battant.
Il sut, à cet instant, qu'il avait bien fait de venir.
Ici, rien n'avait été laissé au hasard.
9. Les Marques Inconnues
Jael passa sa lampe sur les symboles gravés dans la pierre. Des traits entremêlés, des cercles brisés, des caractères qu'il n'avait jamais rencontrés dans ses recherches. La poussière avait colmaté certains creux ; il passa le doigt sur les rainures, sentant un frisson glacé remonter son bras.
Il sortit son carnet de cuir, celui qu'il utilisait depuis des années pour documenter ses expéditions. Il se mit à retranscrire les formes, en essayant de les reproduire aussi fidèlement que possible :
Trois cercles concentriques, reliés par un X barbelé.
Une ligne sinueuse, presque serpentine, qui traversait le bas du mur.
Une série de petites marques alignées comme des chiffres.
Chaque signe semblait plus ancien que les autres. Comme si plusieurs mains, à des époques différentes, avaient participé à ce dessin collectif.
Quand il eut terminé son croquis, il referma le carnet, inspira longuement et reprit son travail.
10. La Poussière des Siècles
Les planches de la bibliothèque menaçaient toujours de céder sous le poids des livres. Il entreprit de dégager les étagères les plus basses : volumes boursouflés d'humidité, atlas décousus, registres illisibles.
Il avançait avec lenteur, posant chaque ouvrage à même le sol avant de les essuyer un à un. Certains dataient du début du siècle dernier, d'autres portaient des cachets de la Julio familia.
Il se surprit à s'imaginer ces propriétaires disparus, debout à la même place que lui, lisant à la lueur d'une bougie.
Peut-être que leurs mains avaient tracé ces symboles.
Peut-être qu'ils avaient eux aussi cru pouvoir comprendre.
11. Le Livre au Signe Maudit
Quand il atteignit la dernière étagère, Jael tira un gros registre relié en cuir noir. Aussitôt, une gerbe de poussière s'envola, le faisant tousser. Le livre glissa et tomba à ses pieds dans un bruit mat.
Il le ramassa et sentit son cœur ralentir.
Sur la couverture, gravé au fer, il reconnut le symbole qu'il venait de dessiner : le cercle triple traversé par le X barbelé.
Le même. Exactement le même.
Ses doigts tremblaient un peu quand il caressa le cuir craquelé. Aucune inscription de titre. Aucune indication d'auteur. Il eut la sensation étrange que le livre attendait qu'il l'ouvre. Qu'il l'avait attendu pendant un siècle.
Jael serra le volume contre lui. Le reste du nettoyage pouvait attendre.
12. L'Encre de Sang
Jael se laissa tomber sur une vieille chaise de lecture, le livre serré contre ses genoux. Il inspira, puis tourna la couverture rigide dans un grincement presque douloureux.
Les premières pages étaient vierges, jaunies par l'humidité. Puis, plus loin, apparut enfin l'écriture : une succession de lignes manuscrites, tracées dans une encre sombre.
Il pencha la lampe au plus près.
L'encre n'était pas noire.
Elle était rouge brun, comme de l'ancien sang séché.
Il passa un doigt tremblant sur la marge : la couleur n'avait pas pâli malgré les décennies. L'odeur légèrement métallique qui s'en dégageait confirma son intuition.
Ce n'était pas une simple légende.
Quelqu'un avait réellement écrit ce livre avec quelque chose d'humain.
13. L'Énigme Incompréhensible
Jael commença à lire la première ligne, plissant les yeux pour décrypter les caractères. Mais à mesure qu'il avançait, son incompréhension grandissait.
Les lettres ressemblaient à un mélange d'alphabet latin et de signes inconnus. Parfois, elles semblaient presque bouger sous sa lampe, comme si elles refusaient d'être lues.
Il tourna deux pages, trois, dix : chaque paragraphe était plus illisible que le précédent. Il eut la désagréable impression que la langue se modifiait d'un feuillet à l'autre.
Il tenta à nouveau de prononcer à voix haute une ligne entière :
- Vel...aeh... turr...
Sa voix s'éteignit, le laissant soudain vidé de toute chaleur. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale.
Il comprit que ces mots n'étaient pas faits pour être lus.
Il reposa le livre sur ses genoux. Ses doigts étaient engourdis, comme s'ils venaient de toucher de la glace.
Il n'avait jamais vu un texte pareil. Ni dans ses études, ni dans les ouvrages occultes qu'il avait collectionnés.
14. La Peur Silencieuse
Pendant un instant, il eut l'idée de refermer le livre et de le brûler sur-le-champ.
Mais il se força à respirer profondément.
La curiosité était plus forte.
Elle avait toujours été plus forte.
Jael ferma les yeux et se concentra. Il savait qu'il devrait trouver un moyen de traduire ces pages. Peut-être qu'elles contenaient l'histoire du manoir. Peut-être qu'elles expliquaient pourquoi tant de vies s'y étaient perdues.
Quand il rouvrit les paupières, il jeta un dernier regard sur les lignes. Elles semblaient presque palpiter, comme des blessures ouvertes.
Il referma doucement le livre, conscient qu'il venait d'ouvrir une porte qu'il ne pourrait plus jamais refermer.
15. Le Ragoût du Crépuscule
La nuit était tombée sans qu'il s'en rende compte. Les fenêtres, enfin nettoyées, laissaient entrer une pâle lumière lunaire qui se posait sur les murs fissurés.
Jael sentit la fatigue peser sur ses épaules. Ses bras le lançaient, sa nuque était raide à force de se pencher sur les étagères. Il rangea le livre à l'écart, dans une mallette qu'il ferma soigneusement.
Pour la première fois depuis son arrivée, il réalisa qu'il avait faim.
Il se dirigea vers la petite cuisinière à gaz qu'il avait installée dans un coin plus sec du salon. Dans une vieille casserole cabossée, il fit chauffer un ragoût épicé, simple et réconfortant.
Pendant que le bouillon frémissait, il s'obligea à penser à des choses ordinaires : la liste de ses prochaines investigations, la réparation de sa voiture, la facture du notaire.
Tout sauf ces pages impossibles.
Quand l'odeur du ragoût emplissait la pièce, il se sentit enfin un peu plus humain.
16. La Table qui Attend
Il posa un vieux drap propre sur une table d'appoint qu'il venait de débarrasser des détritus. Il plaça une assiette émaillée, une cuillère, un verre d'eau.
Ce geste banal, presque domestique, lui donna le sentiment illusoire d'être chez lui.
Il retourna à la casserole, remua le ragoût une dernière fois, puis le servit avec soin. Il inspira, se réjouissant d'avance de ce premier repas dans la maison maudite.
Quand il se tourna pour poser la louche, son regard se porta machinalement sur l'assiette.
Et son cœur manqua un battement.
17. Le Mot qui N'existe Pas
Là, au fond de l'assiette, était écrit le mot qu'il avait tenté de prononcer quelques heures plus tôt.
Vel...aeh...turr.
Les lettres, tracées dans une teinte sombre et humide, luisaient sous la lampe. Comme si elles venaient d'être écrites à l'instant.
Jael recula d'un pas, la louche toujours dans sa main tremblante.
Il chercha une explication rationnelle : une illusion d'optique, un reflet.
Mais non. Les lettres étaient bien là, parfaitement dessinées.
Le silence se fit plus profond, plus épais, comme si la maison retenait son souffle.
Il ne comprenait pas ce que ce mot signifiait. Mais il savait une chose :
la maison l'avait entendu.
Et désormais, elle lui répondait.
18. La Peur qui Reste
Jael restait immobile devant l'assiette. Ses pensées tournaient en boucle :
Ce n'est pas possible. Ce n'est qu'une coïncidence. Peut-être que c'était déjà inscrit. Peut-être...
Mais il savait qu'il se mentait.
La maison avait attendu qu'il prononce ce mot. Et maintenant, elle le lui offrait, gravé sous ses yeux.
Il prit une longue inspiration et ferma les paupières. Il avait exploré tant d'endroits hantés qu'il croyait ne plus pouvoir être surpris. Il se trompait.
Il rouvrit les yeux, décidant de ne pas fuir tout de suite. Il effaça le mot de l'assiette avec un vieux chiffon, le geste ferme pour se prouver qu'il contrôlait encore quelque chose.
Puis, lentement, il reprit sa cuillère.
Le silence s'était refermé sur lui comme une chape.
19. Le Fracas
Une minute.
Il n'eut que ce bref répit.
Une minute où il crut que le calme reviendrait, que cette nuit serait seulement peuplée de souvenirs dérangeants.
Puis un bruit sec, brutal, retentit dehors.
Suivi d'un second.
Un fracas aigu, comme un éclat de verre qu'on piétine.
Jael sentit le sang refluer de son visage. Il posa la cuillère, son cœur cognant dans sa poitrine. Il attrapa sa lampe et courut jusqu'à la porte d'entrée qu'il ouvrit d'un coup.
La lumière du porche dévoila sa voiture.
Ou plutôt, ce qu'il en restait.
Les vitres avaient volé en éclats. Le pare-brise était criblé de fissures en toile d'araignée. Les pneus, éventrés, pendaient lamentablement, comme dégonflés d'un seul coup.
Il s'approcha, abasourdi, le souffle court. Il passa une main sur le capot cabossé.
Le métal était glacé. Il n'y avait aucune trace de pas dans la terre humide autour du véhicule.
Rien.
Aucun signe d'un agresseur humain.
20. La Certitude
Un vertige le prit. Il se retourna vers la façade du manoir.
Dans l'encadrement noir d'une des fenêtres de l'étage, il crut voir un mouvement. Une silhouette indistincte qui le regardait.
Ses doigts se refermèrent sur la lampe d'une poigne convulsive.
La maison venait de signer son message.
Elle ne le laisserait pas partir.
21. La Retraite Inutile
Jael recula lentement, le regard encore rivé à la carcasse éventrée de sa voiture. Son souffle s'accélérait, trop rapide, trop court. Il sentait ses tempes battre comme un tambour.
Rentre. Calme-toi. Rentre.
Il se força à tourner le dos au jardin. Il referma la porte d'entrée d'un geste brusque, la verrouilla par réflexe, bien qu'il sut que cela ne servirait à rien.
Il posa sa lampe sur la console et s'adossa au mur, essayant de reprendre contenance. Ses mains tremblaient si fort qu'il les croisa contre sa poitrine pour les immobiliser.
Dans sa poitrine, son cœur battait toujours la chamade, répercutant une certitude terrifiante :
Il ne sortirait pas vivant d'ici si la maison le décidait.
Il inspira une goulée d'air humide et se força à marcher vers le salon. Il devait réfléchir. Il devait rester lucide.
22. Le Brouillard
En approchant, il remarqua d'abord le froid.
Un froid anormal, qui n'avait rien à voir avec la nuit.
Puis il vit la brume.
Une vapeur blanchâtre rampait au ras du parquet, s'enroulant autour des meubles, escaladant peu à peu les murs. Elle semblait naître de la cheminée, comme si le manoir expirait ses poumons gelés.
La lampe halogène qu'il avait laissée sur la table projetait un halo trouble. Les contours des fauteuils se dissolvaient dans le brouillard, et chaque pas qu'il faisait semblait l'enfoncer un peu plus dans cette ouate glaciale.
Jael s'arrêta, un frisson affreux courant sous sa peau. Il voulut reculer, mais une lassitude inouïe lui coupa les jambes.
Ses paupières devinrent lourdes.
Un voile noir descendit sur sa conscience.
- Non... murmura-t-il en tentant de se retenir au dossier d'un fauteuil.
Mais ses doigts se refermèrent sur le vide.
23. L'Endormissement Forcé
Sa tête bascula en avant.
Ses pensées s'éparpillèrent comme des cendres.
Avant que ses yeux ne se ferment pour de bon, il crut distinguer une silhouette immobile au milieu de la pièce. Une forme plus sombre que la brume. Sans visage.
Puis tout s'effaça.
Le manoir avait décidé qu'il dormirait.
24. La Vision
Le noir l'avait englouti.
Il n'y avait plus ni sol ni plafond. Seulement ce silence épais qui pesait sur ses tempes. Puis, peu à peu, un point plus obscur encore se forma devant lui.
L'ombre qu'il avait entrevue avant de s'effondrer.
Elle se tenait là, à quelques mètres de lui. D'abord informe, puis lentement plus précise. Elle avançait sans bruit, comme glissée par une force invisible.
Jael sentit sa gorge se contracter. Son instinct hurlait de fuir, mais son corps restait immobile, comme pris dans un étau.
L'ombre se rapprocha encore, jusqu'à ce qu'il distingue un ovale pâle : un visage sans traits, sans yeux, qui se devinait plus qu'il ne se voyait.
Il rassembla le peu de courage qu'il lui restait et demanda d'une voix étranglée :
- Qui... qui es-tu ?
Un silence. Puis l'ombre sembla frémir, comme surprise.
- Comment ça... qui je suis ?
Sa voix résonna partout et nulle part à la fois, un murmure glacé qui entrait directement dans son crâne.
- C'est toi qui m'as invoquée. Tu devrais savoir qui je suis... non ?
Jael essaya de répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche.
L'ombre continua d'avancer. La brume se déchira, laissant apparaître la forme d'une femme :
Elle portait une robe noire, souillée d'une traînée sombre. Ses cheveux longs et collés à son visage cachaient presque ses traits. Mais ce fut son torse qui glaça Jael :
Un long poignard y était planté, fiché jusqu'à la garde, figé dans une blessure béante dont le sang avait séché en une croûte noire.
La femme tourna lentement le visage vers lui. Ses lèvres s'entrouvrirent sur un sourire sans chaleur.
- Tu m'as appelée, Jael. Maintenant, regarde-moi.
25. Le Réveil en Sursaut
Il ouvrit les yeux d'un coup.
Sa respiration se fit rauque. Il était à nouveau dans le salon, allongé sur le vieux tapis qu'il avait nettoyé quelques heures plus tôt.
Son cœur battait à coups sourds dans sa poitrine. Il porta la main à son visage : sa peau était glacée, couverte de sueur.
Il se redressa, le regard fou, cherchant la moindre trace de la silhouette. Mais il n'y avait plus rien.
La brume avait disparu.
Le silence était revenu.
Comme si la maison se moquait de lui, savourant la peur qu'elle avait semée.
Jael ferma les yeux quelques secondes, luttant pour retrouver son souffle. Il comprit qu'il avait franchi une limite.
Et qu'il n'était plus seulement un visiteur
