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Chapitre 2-B:La femme au poignard

4. Le Commencement du Conte

Jael sentit sa gorge se serrer davantage.

Il avait l’impression qu’à chaque mot prononcé par Velyaeh, la maison se resserrait autour de lui, comme si les murs retenaient leur souffle pour écouter.

Il rassembla le peu de courage qui lui restait.

— Qu’est-ce qui… qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda-t-il d’une voix brisée.

Elle tourna lentement le visage vers lui. Dans le demi-jour, ses traits semblaient sculptés dans une cire pâle. Ses yeux, noirs comme la suie, restaient insondables.

— Pourquoi… pourquoi ton nom était-il inscrit dans ce livre ?

Un long silence tomba.

Elle baissa le menton, comme si elle cherchait ses mots au fond d’un gouffre qu’elle seule pouvait voir.

Puis elle inspira, un geste étrange pour un être qui n’avait plus de souffle.

— Le trente-et-un décembre… mille huit cent dix.

Sa voix, soudain, n’était plus qu’un murmure vibrant.

— Je me souviens de cette journée comme si c’était hier.

Jael sentit un frisson courir dans ses bras. Il n’osait plus bouger.

— C’est le jour où tout a basculé… pour moi… et pour ma famille.

Elle fit un pas en avant. Son ombre s’allongea sur la table, effleurant le bord de l’assiette qu’il venait de vider.

Son corps tout entier se mit à trembler. Ses bras, sa robe, ses cheveux, tout vibrait d’une onde invisible, comme si ces souvenirs ravivaient une douleur qui survivait même à la mort.

— La veille du Nouvel An… reprit-elle, la voix brisée… il neigeait depuis trois jours. La maison était pleine de mes sœurs, de mes frères, de mes parents. Nous pensions célébrer la nouvelle année. Nous ne savions pas… que nous allions devenir des ombres.

Elle releva le visage vers Jael. Deux larmes noires roulaient le long de ses joues, se perdant dans le tissu de sa robe.

— Cette nuit-là… j’ai vu ce que personne n’aurait dû voir. Et j’ai compris que ce manoir ne nous appartenait jamais. Il nous possédait.

Sa main se posa sur le manche du poignard fiché dans sa poitrine. Ses doigts effleurèrent la lame, comme si elle pouvait encore la sentir.

— C’est ici que j’ai perdu tout ce que j’aimais.

Jael resta silencieux. Sa gorge était trop serrée pour prononcer le moindre mot.

Devant lui, Velyaeh Turquoir ressemblait moins à un fantôme qu’à une victime prisonnière d’une histoire qui refusait de mourir.

5. La Nuit qui A Tout Brisé

Velyaeh garda le silence un long moment, comme si chaque mot qu’elle s’apprêtait à dire arrachait une partie de ce qu’il lui restait d’âme.

Son regard se perdit quelque part derrière Jael, comme si elle revivait les images qu’elle décrivait.

— Arriva un moment…

Sa voix vacilla.

— J’étais fatiguée. La journée avait été longue, et la neige nous coupait du monde. Je suis montée dans ma chambre… pour me reposer.

Elle baissa les yeux vers ses mains pâles, jointes sur le tissu noir de sa robe.

— Mes frères… et mes parents… étaient restés au salon. Ils riaient, ils racontaient des histoires anciennes. Je les entendais d’en haut, leurs voix comme un écho joyeux dans la maison.

Une ombre passa sur son visage.

— C’était la dernière fois… que j’ai entendu le rire de ma mère.

Elle inspira, et son corps se mit de nouveau à frémir.

— Je me souviens…

Sa voix n’était plus qu’un souffle.

— Soudain, un tremblement… si fort que je crus que les fondations allaient céder. Les murs vibraient, la fenêtre battait contre son cadre comme un oiseau pris au piège.

Elle ferma les yeux, et une larme noire roula sur sa joue.

— J’avais si peur… que je me suis dit qu’il valait mieux redescendre. Rester près des miens.

Ses mains se serrèrent autour du manche du poignard dans sa poitrine, comme pour se donner du courage.

— Je n’aurais jamais dû… descendre cet escalier.

Elle rouvrit les yeux et planta son regard dans celui de Jael, plus profond que jamais.

— Je ne m’attendais pas… à ce que j’ai vu ce jour-là.

Le silence tomba dans le salon, plus lourd qu’un linceul.

Jael sentit ses doigts se crisper sur le bois de la table.

Il comprit qu’il était sur le point d’entendre quelque chose qui changerait tout.

6. La Rupture

Velyaeh resta immobile, le regard plongé dans un passé que Jael ne pouvait qu’imaginer.

Ses épaules frémissaient d’une peur ancienne, plus glacée que la mort elle-même.

— Je ne m’attendais pas… murmura-t-elle encore, d’une voix qui se brisait,

— …à ce que j’ai vu ce jour-là…

Elle s’interrompit.

Sa bouche s’entrouvrit, comme si elle allait continuer. Mais aucun son ne vint.

Son visage devint livide, plus encore qu’il ne l’était déjà.

Ses pupilles se dilatèrent, avalant presque toute la couleur de ses yeux.

Jael sentit un frisson parcourir sa nuque.

— Velyaeh ? demanda-t-il, d’une voix tremblante.

Elle n’eut pas de réaction.

Son regard fixait un point derrière lui, si vide qu’il en était presque inhumain.

Puis son corps tout entier se mit à trembler plus violemment. Ses bras retombèrent le long de sa robe noire. Ses doigts s’ouvrirent comme s’ils avaient oublié comment se refermer.

Une plainte à peine audible monta de sa gorge, un gémissement d’angoisse pure.

— Non… non… je… je ne peux pas…

Ses traits se contractèrent dans une grimace de douleur profonde, déchirante.

— Je ne… peux… pas…

Jael se redressa, la chaise raclant le parquet dans un bruit strident.

— Qu’est-ce que tu ne peux pas ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Elle tourna son visage vers lui, les larmes noires roulant sur ses joues. Ses lèvres bougèrent sans qu’aucun mot n’en sorte.

Puis, sans prévenir, son corps devint translucide.

La lumière de l’aube passa au travers d’elle comme si elle n’avait jamais été là.

Son image vacilla, palpitant comme une flamme mourante.

— Je… suis… désolée…

Sa silhouette disparut dans un souffle glacé.

Le salon retomba dans un silence de tombeau.

Jael resta seul, debout au milieu de la pièce, le cœur battant à s’en briser.

La table encore tiède de l’assiette qu’elle avait remplie.

Le vide là où elle se tenait.

Et cette certitude affreuse que son histoire ne faisait que commencer.

7. La Solitude Après L’Ombre

Le silence s’abattit sur la pièce avec une violence presque physique.

Il était si dense que Jael en eut la nausée.

Il restait là, debout, le regard fixé sur l’endroit où elle s’était tenue.

Son souffle formait de petites nuées blanches dans l’air glacé.

Elle n’était plus là.

Elle n’avait rien expliqué.

Elle avait juste disparu, emportant avec elle les réponses qu’il ne savait plus s’il voulait vraiment entendre.

Ses jambes cédèrent d’un coup.

Il s’assit lourdement sur la chaise qu’il avait repoussée quelques secondes plus tôt.

Ses mains se crispèrent dans ses cheveux. Il ferma les yeux, tentant de calmer la panique qui revenait en vagues incontrôlables.

Tout son corps tremblait.

Sa gorge était trop sèche pour crier.

Je ne peux pas…

Je suis désolée…

Les dernières paroles de Velyaeh tournaient en boucle dans sa tête, plus glaçantes que le froid qui mordait ses os.

Il avait cru qu’en la forçant à parler, il gagnerait un semblant de pouvoir sur cette histoire.

Mais il n’avait rien gagné.

Rien, sauf une certitude plus terrifiante encore :

Elle était prisonnière.

Et lui aussi.

Il rouvrit les yeux, posant son regard sur l’assiette à moitié vide. La vapeur s’était éteinte, laissant place à une odeur fade.

Tout paraissait irréel.

Comme si la maison s’était jouée de lui, le poussant à franchir un seuil qu’il n’avait plus le droit de reculer.

Il inspira, s’obligeant à regarder autour de lui.

Le manoir semblait observer son désarroi, patient, presque satisfait.

Et pour la première fois, Jael sentit naître en lui un doute plus fort que sa curiosité :

Et si je ne ressortais jamais d'ici ?

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