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Partie 5

Chapitre 8 : Les Premiers Mensonges

Marisol n’avait pas dormi.

Au petit matin, elle avait préparé du café, plus par habitude que par faim. Les enfants restaient prostrés, silencieux, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.

Elle avait laissé un mot sur la table, écrit d’une écriture tremblante :

Je vais avec Lucía au commissariat. Restez ici. Ne répondez à personne.

Quand elle sortit, l’air froid de l’aube la fit frissonner. Elle croisa le regard d’un voisin qui l’observait depuis le trottoir, comme s’il cherchait à deviner si elle portait un masque d’innocence ou de culpabilité.

Elle se détourna sans un mot.

Lucía l’attendait devant le commissariat, un dossier sous le bras. Son visage fermé trahissait la fatigue.

— Vous êtes sûre d’être prête ? demanda-t-elle dès qu’elle l’aperçut.

— Je n’ai pas le choix, répondit Marisol.

— Nous allons voir le commandant Vargas. Il veut entendre votre version sur la mort de Sergio Navarro.

Marisol inspira profondément.

— Très bien. Allons-y.

Le commissariat sentait l’humidité et le vieux papier. Chaque pas sur le carrelage semblait résonner plus fort qu’il ne l’aurait dû.

Le commandant Vargas les fit entrer dans un bureau spartiate, encombré de dossiers. Il les salua d’un signe bref.

— Señora Torres. Me Rojas. Asseyez-vous.

Marisol s’installa, le dos droit.

— Vous êtes bien allée hier matin chez Sergio Navarro ? demanda Vargas sans préambule.

— Oui, dit-elle en relevant le menton. Je voulais lui parler. Pour comprendre pourquoi il accusait mon mari.

— Et vous affirmez que quand vous êtes arrivée, il était déjà mort ?

— Oui. La porte était entrouverte. Il était pendu.

Vargas prit quelques notes sans lever les yeux.

— Savez-vous qu’il vous a citée plusieurs fois comme témoin à charge potentiel ?

Marisol sentit un frisson glacé lui remonter la nuque.

— Non… Il mentait !

— Peut-être. Ou peut-être qu’il disait la vérité.

Lucía posa la main sur la table, posée mais ferme.

— Commandant, vous n’avez aucune preuve que ma cliente ait eu la moindre implication. Elle s’est présentée volontairement.

Vargas croisa les bras, la regarda longuement.

— Nous vérifierons. En attendant, vous restez à disposition de l’enquête.

Il se pencha alors sur un autre dossier qu’il tira d’un tiroir.

— Il y a autre chose. Une information que vous devriez entendre.

Marisol sentit son estomac se nouer.

— Quoi ?

Vargas ouvrit le dossier et en sortit une feuille jaunie.

— Il y a dix-sept ans, votre mari a fait l’objet d’une plainte pour détournement de fonds et menaces. L’affaire a été classée faute de preuves. Vous le saviez ?

Marisol sentit le sang quitter son visage.

— Non… murmura-t-elle. Jamais il ne m’en a parlé.

— Vous êtes sûre ?

— Oui ! Il ne m’a jamais rien dit !

Elle se tourna vers Lucía, mais l’avocate restait impassible, comme si elle s’y attendait.

— Et vous pensez qu’il n’a jamais rien fait de répréhensible ? insista Vargas.

Marisol baissa les yeux. Elle revoyait Alejandro, toujours impeccable, toujours rassurant. Elle revoyait les yeux vides de Sergio Navarro.

— Je… je ne sais plus… chuchota-t-elle.

Un silence pesant emplit la pièce.

Lucía referma son carnet d’un geste sec.

— Nous avons terminé pour aujourd’hui. Ma cliente est épuisée.

— Très bien, concéda Vargas. Mais je vous préviens : tout ce que vous découvrez devra être communiqué. Si vous cachez des éléments, vous serez poursuivie.

Marisol ne répondit pas. Elle se leva, la tête vide, le cœur lourd.

En sortant, elle sentit la nausée monter. Elle s’appuya contre le mur, ferma les yeux.

Lucía posa la main sur son bras.

— Marisol, il est possible qu’Alejandro ait gardé des secrets. Mais cela ne signifie pas qu’il soit coupable des horreurs qu’on lui reproche aujourd’hui. Vous devez rester lucide.

Elle hocha la tête, incapable de parler.

Elle venait de comprendre une chose : la vérité qu’elle poursuivait risquait de ne pas ressembler à celle qu’elle espérait.

Chapitre 9 : Le Passé

Le soir, Marisol rentra chez elle comme on rentre dans une maison étrangère. Chaque recoin semblait l’observer, comme pour lui rappeler qu’elle vivait peut-être depuis toujours dans un décor qu’on avait construit pour la tromper.

Elle trouva Valeria et Mateo devant la télévision, le son coupé. Leurs regards se posèrent sur elle avec une inquiétude muette qu’elle n’eut pas la force de dissiper.

Elle leur assura qu’elle allait bien, qu’elle avait juste besoin de repos. Mais au fond, une conviction nouvelle se formait : elle devait fouiller plus loin que ce que Lucía ou Vargas pouvaient lui dire.

Cette nuit-là, elle s’enferma dans le bureau d’Alejandro. Elle alluma la lampe de la bibliothèque et tira le grand tiroir de bois verni qu’il verrouillait toujours.

La clé, elle la connaissait : cachée derrière un tableau. Elle hésita un instant, puis la saisit, le geste crispé.

Quand elle tourna la serrure, un grincement emplit la pièce, comme un aveu.

À l’intérieur, elle trouva des liasses de papiers : vieux relevés bancaires, contrats, carnets noircis d’une écriture serrée. Elle commença à les trier, méthodique, les mains glacées.

C’est dans un petit dossier cartonné, jauni par les années, qu’elle trouva la première fracture.

Une plainte officielle, datant de dix-sept ans.

Elle relut la date : elle venait à peine de rencontrer Alejandro.

"Plainte pour détournement de fonds et menaces de représailles si la plainte n’était pas retirée."

Le plaignant : un certain Guillermo Salas, alors comptable dans l’entreprise qu’Alejandro dirigeait à l’époque.

Elle sentit un haut-le-cœur.

Elle feuilleta plus loin. Une lettre manuscrite, repliée dans une enveloppe sans adresse. L’écriture était celle d’Alejandro :

"Marisol, si un jour tu tombes sur ces papiers, sache que je n’étais pas l’homme que tu croyais. J’ai dû faire des choses qui me hantent encore. Mais je n’ai jamais ôté la vie à quiconque. Crois-moi. Pardonne-moi."

Sa main se mit à trembler.

Elle relut la lettre plusieurs fois, chaque mot s’enfonçant un peu plus dans sa chair.

— Non… souffla-t-elle.

Elle ferma les yeux, tentant d’imaginer Alejandro plus jeune, acculé, peut-être déjà empêtré dans des dettes, des alliances douteuses. Mais elle ne parvenait pas à relier cet homme au père attentif qu’elle connaissait.

Elle se força à respirer.

Elle rangea soigneusement les documents dans une chemise qu’elle glissa dans son sac. Elle comprenait maintenant qu’elle ne pourrait plus se contenter d’attendre.

Le lendemain matin, elle retourna voir Lucía. L’avocate releva les yeux, surprise de la voir déjà de retour.

— Vous n’avez pas dormi, constata-t-elle.

— Non. Il faut que vous lisiez ça.

Elle déposa le dossier sur le bureau.

Lucía parcourut les papiers en silence. Son visage impassible se crispa par moments.

— Ça complique les choses. Mais ça ne prouve pas qu’il ait fait ce qu’on lui reproche aujourd’hui.

— Non, murmura Marisol. Mais ça prouve qu’il n’était pas toujours l’homme que je croyais.

Elle ferma les yeux, sentit des larmes monter. Mais elle les retint.

Quand elle rouvrit les paupières, elle savait ce qu’elle devait faire.

— Il faut que je retrouve ce Guillermo Salas. Il était comptable. Il saura peut-être ce qui s’est passé à l’époque. Et pourquoi Alejandro a accepté de porter ce secret.

Lucía hocha la tête.

— D’accord. Je vais me renseigner. Mais soyez prudente. Plus vous creusez, plus vous vous exposez.

Marisol se redressa, le regard brûlant d’une détermination nouvelle.

— Je ne reculerai pas. Si quelqu’un veut m’arrêter, qu’il vienne.

Lucía la regarda en silence.

— Alors, Señora Torres… il faut vous préparer à ce que la vérité ne vous soulage pas.

Marisol inspira profondément.

— Je suis prête.

En sortant du cabinet, elle sentit la fatigue l’assaillir. Mais elle sut qu’elle n’avait plus le droit de s’effondrer.

Elle était désormais prête à plonger dans l’ombre, même si elle devait tout perdre

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