Partie 3
Chapitre 5 : Le Doute
Le bureau de Lucía Rojas se trouvait dans un immeuble discret, à deux rues du tribunal. Marisol y arriva à l’aube, la gorge nouée, le pas incertain. Elle avait répété mille fois ce qu’elle dirait : Je suis prête. Je veux tout savoir.
Mais maintenant qu’elle était devant la porte, elle aurait voulu fuir.
Elle inspira profondément et entra.
Lucía l’attendait derrière son bureau, un tailleur anthracite impeccablement repassé, des cernes sous les yeux. Elle se leva pour l’accueillir et lui serra la main avec douceur.
— Bonjour, Señora Torres. Merci d’être venue si tôt.
— Je ne pouvais pas attendre plus longtemps, murmura Marisol.
Lucía lui désigna une chaise. Sur le bureau trônait un dossier épais, relié par une bande rouge. Rien que sa présence faisait peser une chape de plomb sur la pièce.
— C’est… tout ça ? demanda Marisol, la voix tremblante.
— Oui. C’est le dossier d’instruction. Les témoignages, les saisies bancaires, les écoutes.
Marisol déglutit.
— Je veux voir. Je veux tout voir.
Lucía ouvrit le dossier. Elle tourna la première page : un rapport préliminaire décrivant les chefs d’accusation.
Trafic d’organes. Homicides aggravés. Association criminelle.
Marisol se sentit faiblir. Elle posa sa main sur la table, ferma un instant les yeux.
— Courage, souffla Lucía. Vous n’êtes pas obligée de lire tout d’un coup.
— Si. Il faut que je comprenne.
Elle inspira et poursuivit.
Les pages suivantes détaillaient des mouvements bancaires : de grosses sommes transférées sur des comptes offshores, soi-disant par Alejandro. Des signatures, des cachets de l’entreprise.
— C’est… c’est un faux. Il ne ferait jamais ça, balbutia Marisol.
— Peut-être. Mais ces relevés sont très précis. Il faudra un expert pour les contester.
Lucía tourna encore une page. Cette fois, un procès-verbal d’audition. Le témoin principal : un certain Sergio Navarro, un ancien employé d’Alejandro.
"Le señor Torres était parfaitement informé. Il dirigeait les opérations et sélectionnait les victimes. Les organes étaient prélevés dans des cliniques clandestines."
Marisol eut un haut-le-cœur. Elle repoussa le dossier d’un geste, comme s’il avait été contaminé.
— C’est un mensonge. Ce Sergio… c’est un aigri, un voleur, il a été licencié ! Il veut se venger !
Lucía gardait un calme imperturbable.
— Je vous crois. Mais il faudra des preuves. Et… il n’est pas le seul témoin.
Elle sortit un autre feuillet. Un témoignage anonyme.
"J’ai vu Alejandro Torres remettre de l’argent liquide à Esteban Morales après un transport. Il disait que personne ne saurait jamais rien."
Le nom d’Esteban résonna comme un glas. Alejandro lui avait fait confiance.
— C’est Esteban… murmura Marisol. C’est lui qui monte tout ça. Il doit… il doit être derrière ces accusations.
Lucía croisa les bras, pensive.
— C’est une hypothèse. Mais il faudra plus que votre parole pour l’établir. Nous devons démonter méthodiquement ces preuves : les flux bancaires, les déclarations, les signatures.
Marisol baissa les yeux. Un vertige la prit. Et si… si Alejandro n’était pas totalement innocent ? Si une part d’ombre lui avait toujours échappé ?
Elle repoussa violemment cette pensée. Non. Il n’était pas un meurtrier. Elle refusait d’y croire.
Lucía referma le dossier et la regarda avec gravité.
— Je ne vais pas vous mentir. Ce dossier est redoutable. Mais si vous êtes décidée à vous battre, il faut commencer dès aujourd’hui. Nous allons demander l’accès aux originaux des documents et interroger Sergio Navarro.
Marisol se redressa, rassemblant ce qu’il lui restait de force.
— Je ne laisserai pas ces mensonges détruire mon mari. Je trouverai la vérité. Quoi qu’elle soit.
Elle posa la main sur la couverture du dossier.
— Et je jure que je ne reculerai pas.
Dans son regard, il n’y avait plus seulement de la peur. Il y avait cette étincelle farouche qu’aucune accusation ne pourrait éteindre.
Excellente direction : cela ajoute un suspense intense et laisse planer l’ombre d’un complot encore plus vaste.
Chapitre 6 : Les Témoignages
Le matin même, après avoir quitté le cabinet de Lucía, Marisol monta dans sa voiture sans même réfléchir. Elle n’avait pas dormi, à peine mangé, mais une fièvre froide la poussait en avant : il fallait trouver Sergio Navarro avant qu’il ne disparaisse, avant qu’il ne puisse semer davantage de mensonges.
Elle roula jusqu’au quartier de Tepito, un enchevêtrement de ruelles où Sergio avait toujours vécu. D’après les anciens registres d’employés, il occupait un petit appartement au dernier étage d’un immeuble vétuste.
Sur le trajet, son esprit tourbillonnait : Et si je le convainquais de dire la vérité ? Et s’il avouait qu’Esteban l’avait payé ? Peut-être que tout pouvait encore s’éclaircir.
Elle gara la voiture dans une impasse et leva les yeux vers la façade décrépie. Chaque marche qu’elle gravissait lui coûtait un effort. À chaque palier, elle se demandait si elle n’était pas folle de venir seule.
Enfin, elle trouva la porte de Sergio, entrouverte.
Un mauvais pressentiment se noua dans son ventre.
— Sergio ? appela-t-elle d’une voix tremblante.
Aucune réponse.
Elle poussa lentement la porte. L’odeur la frappa en premier : une odeur lourde, stagnante, qui lui retourna l’estomac.
Le petit salon était en désordre. Des papiers jonchaient le sol. La télévision allumée grésillait dans le vide.
Et là, face à la fenêtre, elle le vit.
Le corps de Sergio Navarro, suspendu à une corde nouée à une poutre. La langue gonflée, les yeux ouverts sur un dernier regard figé.
Marisol porta la main à sa bouche pour étouffer un cri. Ses jambes vacillèrent.
Sur la table, un verre renversé laissait une flaque d’alcool sur une liasse de papiers. Une note, trempée, collée contre une bouteille vide.
Elle s’approcha, tremblante.
"Je ne pouvais plus supporter. Pardonnez-moi."
Marisol recula, le cœur battant. Il avait choisi de mourir… ou quelqu’un l’avait décidé pour lui.
Un bruit dans l’escalier la fit sursauter. Elle se retourna brusquement, persuadée qu’on venait la surprendre. Mais la cage d’escalier resta silencieuse.
Elle sentit une sueur froide couler entre ses omoplates.
Elle ne savait plus si elle devait prévenir la police ou fuir avant qu’on ne l’accuse d’avoir mis les pieds ici. Elle sortit son téléphone, prit en hâte quelques photos de la note et du corps, puis recula jusqu’au seuil.
Son regard se posa une dernière fois sur Sergio, ce témoin qui emportait avec lui peut-être la clé de la vérité.
En refermant la porte, elle comprit qu’elle venait de franchir un point de non-retour.
Quand elle rejoignit sa voiture, ses mains tremblaient si fort qu’elle mit plusieurs minutes à insérer la clé dans le contact.
Dans la vitre du rétroviseur, son reflet la fixait. Elle ne se reconnut pas.
Elle inspira avec difficulté, ferma les yeux.
Quelqu’un était prêt à tout pour enterrer la vérité.
Et elle venait de devenir un obstacle de plus sur leur chemin.
