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Partie2

Marisol sortit du commissariat la démarche hésitante. La ville bruissait autour d’elle, indifférente à sa douleur. Elle avait l’impression qu’un voile opaque s’était abattu sur le monde, la séparant du reste des vivants.

Elle monta dans sa voiture, roula sans but à travers les avenues écrasées par la chaleur. Elle ne pouvait pas rentrer tout de suite. Pas maintenant. Pas après avoir vu Alejandro dans cet état.

Au bout d’une demi-heure, elle gara le véhicule près d’un petit bar à l’angle d’une rue populaire. Les volets étaient entrouverts, et une enseigne fatiguée clignotait au-dessus de la porte. Elle entra.

L’air sentait le café brûlé et le désinfectant. Quelques clients murmuraient autour des tables, absorbés par leurs soucis.

Elle commanda un verre de mezcal, qu’elle porta à ses lèvres d’une main tremblante. L’alcool brûla sa gorge, mais n’apaisa pas le nœud qui serrait sa poitrine.

Comment avaient-ils pu l’accuser d’un crime si abject ? Qui pouvait nourrir une haine assez profonde pour inventer un scénario pareil ?

Elle ferma les yeux, cherchant un peu de silence intérieur.

Quand elle les rouvrit, une vieille femme se tenait près de sa table. Son visage était ridé comme un parchemin, ses yeux noirs luisants d’un éclat étrange. Ses vêtements étaient sales, rapiécés, et ses doigts noueux tenaient un vieux sac en plastique.

— Señora… de la pitié… Donnez-moi une pièce… J’ai faim…

La voix rauque la tira de ses pensées. Marisol fouilla dans son sac et en sortit un billet qu’elle tendit d’un geste machinal.

— Tenez… prenez…

La vieille tendit la main. Ses ongles jaunes effleurèrent le billet. Mais au moment de le saisir, elle se figea. Son regard devint vacant, presque épouvanté.

Elle recula brusquement, la bouche entrouverte.

— Non… non… je ne peux pas…

— Quoi ? balbutia Marisol, troublée.

La vieille recula encore, comme si le billet la brûlait. Elle le laissa tomber à ses pieds et leva un doigt tremblant vers elle.

— Votre argent… Il sent…

Elle inspira, et sa voix rauque se brisa dans un cri étrange qui fit se retourner tout le bar.

— Il sent le cadavre !

Puis elle se détourna et s’enfuit en boitant, laissant Marisol pétrifiée, le billet gisant sur le carrelage.

Le silence retomba dans la salle. Les clients reprirent leurs conversations, comme si rien ne s’était passé.

Marisol se pencha lentement, ramassa le billet d’une main glacée. Elle le fixa, le cœur battant.

Elle avait soudain l’impression qu’un gouffre invisible s’était ouvert sous ses pas.

Chapitre 3 : La Prison

La cellule d’Alejandro était à peine plus grande qu’un cagibi. Une couchette métallique, un lavabo écaillé, des murs dont l’odeur d’humidité vous collait à la gorge. Il n’avait jamais cru qu’il connaîtrait un endroit pareil.

Assis sur le lit, il fixait le sol, les coudes posés sur ses genoux, les menottes maintenant attachées à une chaîne fixée au mur. Il avait perdu la notion du temps. Parfois, il lui semblait qu’il venait d’arriver, parfois que des jours s’étaient écoulés.

Il repensait aux paroles de Marisol.

Je vais me battre pour toi. Peu importe le prix.

Ces mots lui donnaient la force de respirer, alors même qu’un doute insidieux commençait à grignoter ses certitudes.

Pourquoi ces accusations ? Qui avait pu dire qu’il dirigeait un trafic d’organes ?

Une voix se fit entendre derrière la porte blindée.

— Torres, lève-toi.

Il obéit sans un mot. On l’escorta jusqu’à une salle d’interrogatoire glaciale, où le commandant Vargas l’attendait, dossier ouvert sur la table.

— Asseyez-vous, dit Vargas en désignant la chaise.

Alejandro croisa ses mains tremblantes, tentant de soutenir son regard.

— Je vous ai déjà dit la vérité, commandant. Je ne suis pas un criminel.

— Nous verrons, répondit Vargas sans émotion.

Il sortit plusieurs photographies qu’il fit glisser devant lui. Alejandro baissa les yeux et sentit son estomac se contracter.

Des images de sacs mortuaires, d’installations clandestines, de registres où son nom apparaissait au bas de factures.

— Nous avons saisi ces documents chez un certain Esteban Morales, votre associé. Votre signature est sur plusieurs transferts de fonds.

Alejandro secoua la tête, le souffle court.

— Ce sont des faux… Jamais je n’ai financé… ça ! Jamais !

— Vous n’êtes pas seulement accusé de financement. Vous êtes accusé de coordination. Des témoins affirment vous avoir vu superviser des prélèvements illégaux.

Son cœur battait si fort qu’il crut qu’il allait s’évanouir.

— C’est impossible. Qui vous raconte ces mensonges ? Qui ?

Vargas referma le dossier.

— C’est à vous de le prouver. Je vous conseille de coopérer. D’avouer ce que vous avez fait. Cela allégera votre peine.

Alejandro sentit un vertige le saisir. Avouer ? Comment avouer des crimes qu’il n’avait pas commis ?

Il inspira profondément.

— Je ne signerai rien. Je n’ai rien fait. Et je le prouverai.

Le commandant le fixa longuement, puis se leva.

— Très bien. Vous retournez en cellule.

Quand on le reconduisit, Alejandro croisa le regard d’un autre détenu, un homme émacié, qui le fixa avec une curiosité mauvaise. Ici, il n’était plus qu’un criminel parmi d’autres.

La porte se referma sur lui.

Il posa le front contre le mur froid.

Marisol… Si tu savais comme j’ai besoin de toi…

Au fond de lui, une question qu’il n’osait formuler grandissait pourtant :

Et si tout cela n’était pas un simple piège ? Et si quelqu’un, quelque part, avait pris soin de mêler son nom à ces horreurs pour mieux le faire tomber ?

Il serra les poings.

Il devait tenir bon. Pour elle. Pour Valeria et Mateo. Et parce qu’il se le devait à lui-même : prouver qu’il n’était pas ce monstre qu’on prétendait.

Chapitre 4 : Le Dossier Noir

Quand Marisol poussa la porte de la maison, la nuit tombait déjà. L’ombre s’étendait sur les murs, comme un écho de l’angoisse qui la rongeait.

Elle trouva Valeria assise dans l’escalier, un plaid sur les épaules, le regard perdu. Mateo dormait dans le salon, une couverture remontée jusqu’au menton.

— Maman… tu as vu papa ? demanda Valeria d’une voix éteinte.

— Oui, murmura Marisol. Il va bien… Enfin, il tient le coup.

Elle posa sa main sur la joue de sa fille, tentant d’y puiser un peu de chaleur. Son esprit, lui, n’était plus que confusion. Elle revoyait la vieille femme, ses yeux fous, sa voix qui résonnait encore.

Il sent le cadavre.

Elle inspira profondément. Elle devait rester forte.

— Il faut que je parle à Lucía. Monte un peu te reposer, ma chérie.

Quand Valeria s’éloigna, Marisol se laissa tomber sur le canapé et attrapa son téléphone. L’avocate répondit presque aussitôt.

— Señora Torres, je viens de recevoir la copie du dossier d’instruction. C’est… lourd. Vous devriez venir le consulter.

— Vous ne pouvez pas me dire ce qu’il contient ? demanda Marisol, la voix étranglée.

Un silence s’installa.

— Mieux vaut que vous le voyiez de vos yeux, dit Lucía d’un ton prudent. Je vous attends à mon cabinet demain matin. Huit heures.

Elle raccrocha. Ses doigts tremblaient si fort qu’elle dut poser le téléphone. Elle resta un long moment immobile, le regard fixé sur le vide.

Tout paraissait irréel : l’arrestation, le commissariat, la vieille femme. Elle se demandait si elle n’allait pas se réveiller dans quelques instants, dans son lit, et retrouver Alejandro qui souriait, un café à la main.

Mais la maison était silencieuse. Trop silencieuse.

Elle se força à se lever, vérifia que Mateo dormait toujours, et monta dans la chambre conjugale. Chaque objet lui paraissait chargé d’un sens nouveau : la montre d’Alejandro sur la table de nuit, sa veste soigneusement pliée, un livre de prières ouvert sur le chevet.

Elle caressa la couverture usée du livre. Elle y trouva un signet qu’elle n’avait jamais remarqué : un petit carton beige, sans inscription. Elle le retourna machinalement.

Au dos, quelqu’un avait griffonné quelques mots à l’encre noire :

“Ce qui est caché finira par sortir.”

Elle sentit sa gorge se serrer. Était-ce une phrase anodine ? Ou un avertissement ?

Elle serra le carton contre elle, puis se laissa tomber sur le lit, le visage enfoui dans l’oreiller.

Cette nuit-là, Marisol dormit à peine.

À l’aube, elle se leva, s’habilla d’un tailleur sombre, et quitta la maison sans un mot.

Elle était prête.

Quelles que soient les horreurs contenues dans ce dossier, elle les affronterait.

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