TROP PRÈS
C'est drôle quand j'y pense : je connais Brady depuis tellement longtemps qu'il est partout dans ma vie. Au lycée, à l'entraînement, à la cabane... et même chez moi. Enfin, en face de chez moi. Nos chambres donnent l'une sur l'autre, séparées seulement par la petite rue de notre quartier résidentiel. Quand on était gamins, on s'envoyait des signaux avec des lampes de poche. Aujourd'hui, on n'a même plus besoin de ça : un regard par la fenêtre, et je sais ce qu'il pense.
Parfois, je me demande si ce n'est pas dangereux d'être aussi proches.
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La conversation avec Noah
Ce midi-là, Émilie était retenue en cours de sport et Brady avait entraînement. Je me retrouvai donc seule avec Noah à la cafétéria. Il triturait son yaourt sans l'ouvrir, signe qu'il avait quelque chose derrière la tête.
— Bon, dit-il après un long silence, t'attends quoi pour lui dire ?
— Lui dire quoi ? je tente, faussement innocente.
— Solène... arrête.
Je soupire, baisse la tête. Je sais qu'il sait. Tout le monde sait, au fond.
— Tu crois que ça se voit tant que ça ? je murmure.
— Honnêtement ? Ouais. Enfin, pas à tout le monde... mais moi, je vous connais trop bien.
Je relève les yeux vers lui. Il a ce regard sérieux qu'il ne sort qu'aux grands moments.
— Tu l'aimes, hein ?
Je prends une grande inspiration.
— Oui.
Le mot est tombé. Simple, brutal, irréversible. Noah ne sourit pas, il hoche juste la tête.
— Je le savais. Et tu veux que je te dise un truc ? Je pense qu'il ressent pareil.
— Non... sinon, il me l'aurait dit.
— T'es naïve, souffle-t-il en haussant les épaules. Brady... il est courageux sur un terrain de foot. Mais pour les sentiments, c'est un lâche. Il préfère crever que de risquer de se planter.
Ses mots résonnent en moi longtemps après qu'on ait quitté la cafétéria.
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Les fenêtres
Le soir, je suis dans ma chambre, censée travailler sur mon exposé d'histoire. Mais évidemment, je finis par lever les yeux. De l'autre côté de la rue, la lumière de la chambre de Brady est allumée.
Il est assis à son bureau, en tee-shirt, ses écouteurs dans les oreilles. Je le regarde écrire, concentré, et d'un coup il lève la tête. Nos regards se croisent.
Je devrais détourner les yeux, mais je n'y arrive pas. Il sourit, un sourire discret, rien que pour moi. Puis il mime un geste : il montre son cahier et tire une grimace désespérée. Je ris silencieusement et lui montre le mien. On est dans la même galère.
Il prend une feuille, écrit un mot dessus et le colle contre la vitre. T'en es où ?
Je secoue la tête et écris sur un Post-it : À la moitié, je rame.
Il lève le pouce, puis écrit : Tu gères.
Je reste figée un instant, incapable de faire autre chose que de sourire bêtement. Ce n'est rien, juste un mot griffonné sur une feuille. Mais de lui, ça me semble énorme.
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La jalousie
Le lendemain, je passe devant le terrain de foot en rentrant des cours. L'équipe s'entraîne, comme d'habitude. L'un des joueurs, Lucas, me reconnaît et vient vers moi en courant.
— Salut Solène ! Tu pourrais m'aider pour le cours de sciences ? Toi t'as toujours des bonnes notes.
On discute deux minutes, rien de plus. Mais je sens un regard lourd sur moi. Je me retourne : Brady, au loin, arrêté en plein milieu du terrain. Il nous fixe.
Quand je rejoins la sortie, il arrive presque aussitôt, essoufflé.
— Qu'est-ce qu'il voulait ? me lance-t-il.
— Lucas ? Rien, juste des devoirs. Pourquoi ?
Il pince les lèvres, passe une main dans ses cheveux blonds trempés de sueur.
— Fais gaffe avec lui. Il est pas... sérieux.
— Pardon ? je dis, piquée. C'était juste une question de cours, Brady.
— Ouais, mais... je sais pas. J'aime pas quand il tourne autour de toi.
Je le fixe, surprise. Ses yeux verts brillent d'une intensité que je n'ai jamais vue. Il réalise sans doute qu'il en a trop dit, parce qu'il détourne le regard, gêné.
— Laisse tomber, souffle-t-il.
Mais je n'arrive pas à penser à autre chose. Brady, jaloux ?
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Le soir, encore les fenêtres
Cette nuit-là, je m'installe à mon bureau exprès, rideaux ouverts. J'attends. Et, comme toujours, sa lumière finit par s'allumer.
Il est là. Il écrit, puis relève les yeux vers moi. Pendant une seconde, j'ai l'impression que tout est clair, évident. Qu'on pourrait se rejoindre, traverser la rue, s'avouer enfin ce qu'on ressent.
Mais il se contente de lever la main, comme un salut discret. Je l'imite.
Et tout reste suspendu.
