LES NON-DITS
Au lycée, Brady est un peu... le gars. Celui que tout le monde connaît, celui que les filles dévorent des yeux quand il traverse le couloir. Il est capitaine de l'équipe de foot, blond, yeux verts qui semblent briller même sous les néons pourris du bâtiment, et des épaules larges qui font passer nos sacs de cours pour des jouets. Bref, le cliché du garçon parfait.
Sauf qu'avec moi, il n'est pas le capitaine. Il est juste Brady. Celui qui sait exactement comment je prends mon chocolat chaud, celui qui se souvient encore de la couleur des pansements Pokémon que j'avais dans ma trousse en primaire.
Et c'est ça le problème : je l'aime trop pour risquer de tout gâcher.
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La cafétéria
À midi, on s'installe à notre table habituelle. Émilie discute avec Noah d'un exposé à rendre, mais moi je suis distraite. Parce que deux tables plus loin, je surprends une bande de filles qui gloussent en fixant Brady. L'une d'elles, Clara, la plus populaire de notre promo, se lève carrément pour venir vers nous.
— Salut Brady, dit-elle avec son sourire de pub pour dentifrice. On a pensé à organiser une fête samedi. Tu viens, non ?
Brady relève la tête, surpris. Il jette un regard rapide vers moi avant de répondre :
— Je sais pas, faut que je voie avec les autres.
Elle insiste, sa main posée trop longtemps sur son bras. Moi, je baisse les yeux sur mon assiette, la mâchoire serrée. Quand Clara finit par repartir, Émilie me donne un coup de pied discret sous la table.
— Tu vas exploser, murmure-t-elle. Avoue-le, tu meurs de jalousie.
— Pas du tout, je souffle en évitant le regard de Brady.
— Mais bien sûr, dit-elle avec un sourire malicieux.
Je sens les yeux verts de Brady sur moi, comme s'il voulait vérifier ma réaction. Mais je garde le nez plongé dans mes pâtes, de peur que tout se lise sur mon visage.
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Après les cours
En sortant du lycée, Brady m'attend près de la grille. Ses cheveux blonds brillent sous le soleil, il a encore son sac de sport à l'épaule.
— Tu viens voir l'entraînement ? demande-t-il.
— Moi ?
— Ouais. C'est chiant sans toi.
Je rougis. Il ne le dit pas méchamment, mais il n'a pas idée de l'effet que ça me fait.
Alors je le suis jusqu'au terrain. Assise dans les gradins presque vides, je le regarde s'échauffer. Chaque mouvement est précis, puissant. Les autres garçons le suivent naturellement, parce qu'il est leur capitaine. Les filles au bord du terrain gloussent encore, et je sens un pincement dans ma poitrine. Mais malgré tout, à chaque pause, son regard revient vers moi. Comme si j'étais la seule qui comptait.
À la fin de l'entraînement, il me rejoint, essoufflé, trempé de sueur.
— Alors ? T'en penses quoi ?
— Pas mal, je dis en souriant.
— Juste "pas mal" ? Tu sais que tu viens de casser mon ego de capitaine ?
Il rit, et sans prévenir, attrape ma main pour m'aider à descendre des gradins. Sa paume est chaude, ferme, et je me surprends à ne pas vouloir la lâcher. Mais dès que Noah et Émilie apparaissent au loin, je retire vite mes doigts, comme si on venait de me surprendre en faute.
Brady ne dit rien. Mais je vois bien dans son regard qu'il l'a remarqué.
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Le soir, dans la cabane
On se retrouve tous les quatre, comme souvent. Noah blague, Émilie parle trop, et moi je n'écoute qu'à moitié. Parce que Brady est assis près de moi, son genou contre le mien. Il ne bouge pas. Et moi non plus.
À un moment, Émilie m'attire un peu à l'écart, sous prétexte d'aller chercher une lampe de poche.
— Solène, tu dois lui dire, murmure-t-elle.
— Lui dire quoi ?
— Arrête. Ça crève les yeux que t'es amoureuse de lui. Et franchement, je crois pas que ce soit à sens unique.
— Tu crois pas ?
— Regarde-le. Il est toujours collé à toi. Quand il parle, il te regarde, toi, pas les autres. Et t'as vu comment il a envoyé balader Clara à la cafétéria ?
Je baisse la tête, nerveuse.
— Si je me trompe... je détruis tout. Notre amitié, la cabane, tout.
— Ou tu construis autre chose, souffle-t-elle en me serrant la main.
Je ne réponds pas. Parce que j'ai peur. Peur qu'elle ait raison, peur qu'elle ait tort. Peur de perdre Brady d'une manière ou d'une autre.
Quand on revient, il me jette un coup d'œil, un peu inquiet. Comme s'il sentait que quelque chose s'était dit.
Et ce soir-là, en rentrant chez moi, je me répète les mots d'Émilie. Tu dois lui dire. Mais je sais que je n'en ai pas encore la force.
