Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

#chapitre3️⃣

Pdv de Laurine

Je n'aime pas les tomates mais je les mange quand même. Avec difficulté, mais je les avale. Cela semble satisfaire grandement Nathalie puisqu'elle m'offre un sourire radieux avant de se tourner dos à moi pour faire la vaisselle. Je l'entends ensuite chantonner très légèrement mais je perçois un sentiment de joie dans sa voix. Je comprends alors que cette femme est heureuse de m'avoir accueillie, et c'est pour cette raison que j'ai décidé que je terminerai mon assiette.

Ça ne fait que très peu de temps que je remange à peu près normalement. Les médecins m'avaient dit, quelques semaines plus tôt, que j'étais restée « absente » en quelques sortes pendant plusieurs jours. Que je ne réagissais à rien et que je ne ressentais rien. C'est faux. J'avais mal. Chaque jour, chaque heure, chaque seconde depuis ce soir-là, mon cœur se désintègre et mon esprit revit cet instant. Le pire moment de toute ma vie. Celui où mon monde s'est écroulé, où ma vie s'est subitement arrêtée.

J'ai voulu rejoindre mes parents, mon frère et mes sœurs, mais une infirmière m'en a empêchée et on m'a internée dans cet asile de fou. Je ne suis pas folle, je veux seulement retrouver ma famille.

Et il n'y a qu'un seul moyen de la retrouver. Elle me manque tellement.

Je la revois chaque nuit, mais jamais de la façon dont je l'aimerais. Cette soirée repasse en boucle chaque fois que je ferme les yeux et j'en suis arrivée au point d'avoir peur de dormir. Je ne veux plus dormir. Ça ne me repose absolument pas de dormir.

C'est pire à chaque réveil. C'est de pire en pire chaque jour, mais je n'ai pas le choix. Mon corps ne supporte pas ce manque constant de sommeil.

Paradoxalement, j'aimerais m'endormir pour toujours. Je veux simplement que cette douleur cesse, que tout s'arrête une bonne fois pour toute.

Pourquoi je ne peux pas faire ce que je veux ?

Pourquoi m'empêcher de rejoindre ceux que j'aime

? Je ne peux pas vivre sans eux, alors à quoi bon tenter l'impossible ? Je veux seulement qu'on me laisse partir et qu'on m'octroie cette paix que je convoite tant.

- Tiens, voilà tes médicaments, m'annonce Nathalie en déposant trois comprimés blancs et un vert sur la table.

Je les avale mécaniquement, comme je le fais depuis un mois et demi. Des antidépresseurs ?

Mais bien sûr. Comme si des médicaments allaient m'aider à sourire. Il y a certainement d'autres choses dans ces comprimés mais ça m'arrange plutôt bien de ne pas savoir. Je les prends, et je me tais.

Lorsque j'ai terminé mon assiette, je me lève et la dépose dans l'évier. Nathalie n'est plus dans la pièce alors j'en profite pour m'éclipser et rejoindre la chambre qui m'a été attribuée. En passant devant une porte close, celle de la chambre de Tristan, j'entends de la musique provenant de derrière le mur. Je ne connais pas le titre et ne m'attarde pas plus longtemps, préférant m'enfermer seule dans une pièce.

À l'hôpital, j'étais toujours dans une chambre à part et isolée de tout pour éviter de réveiller tout le monde pendant mes nuits de cauchemars où je me mettais à hurler. Ici, je crains que les habitants de cette maison soient obligés de dire adieu à leur sommeil calme et paisible. C'est le seul élément qui me fait regretter l'établissement psychiatrique. Je vais gâcher la vie de cette famille qui a eu assez de pitié pour m'accueillir et je m'en veux. Pourquoi on ne me laisse pas tranquille ? Pourquoi je suis obligée de m'incruster dans une maison où les deux membres paraissent si gentils ? Je n'aurais pas pu atterrir dans un endroit où les parents ne s'occuperaient pas de moi ? Je sens que ce n'est pas le cas de cette famille. Eux, vont certainement être constamment sur mon dos alors que je ne veux que la paix.

Et il n'y a qu'un seul moyen d'obtenir cette paix que je désire par dessus mais c'était impossible d'y parvenir à l'hôpital. J'ai essayé une fois, j'ai échoué.

J'ai alors été mise sous surveillance constante ce qui rendait ma volonté impossible à satisfaire. Ici, je suis seule. Personne ne me scrute vingt-quatre heure sur vingt-quatre.

Une fois dans la chambre, mes yeux restent rivés sur les six cartons qui contiennent mes affaires. Qui contiennent ma vie, une vie que j'aurais préféré qu'on me retire.

J'ouvre le premier ; il contient mes vêtements. Je le pousse sur le côté. Le second est identique mais pas le troisième. Lorsque je soulève le battant marron, je vois les visages souriants de ma famille.

C'est le cadre photo qui était placé à droite de la télévision, dans le salon, chez moi. Qui a récupéré ça ? Je ne l'avais pas à l'hôpital. Qui est allé fouiller chez moi, dans ma maison ? Peut-être l'assistante sociale qui s'occupe de moi et que je déteste. Je la déteste d'autant plus si c'est elle qui est entrée chez moi, je ne veux pas d'elle dans ma maison.

Si ce n'est pas elle, quelqu'un est quand même retourné chez moi pour s'emparer de mes affaires.

Quelqu'un s'est introduit dans ma maison, a fouillé dans ma chambre, dans le salon. Cette personne a posé ses mains sur ce qui m'appartient, sur ce qui doit être dans une seule maison : la mienne. Ces affaires n'ont rien à faire ici mais pourtant, ça me rassure de les avoir avec moi. Surtout ce cadre photo. J'ignore si c'est une bonne chose pour moi de l'avoir en ma possession, mais pour aujourd'hui, ça me va.

Mes mains tremblantes s'emparent de ce petit trésor et je me redresse difficilement afin de rejoindre le lit. Je pose le cadre sur la table de chevet, tourné vers moi, mes genoux sont remontés contre ma poitrine et je serre l'ours en peluche contre moi, laissant mes larmes humidifier l'oreiller blanc.

Je n'en peux plus.

C'est bien trop dur.

Faites que tout s'arrête, maintenant.

Faites que je ne me réveille plus jamais.

Faites que je retrouve ma famille, le plus tôt possible.

5

Pdv de Tristan

Je me réveille en sursaut et je n'en comprends pas la raison dans l'immédiat. Quelques secondes s'écoulent silencieusement avant qu'un hurlement déchirant me parvienne très clairement. Ça vient de la chambre d'amis. Celle de Laurine.

Je me lève immédiatement et sors de ma chambre pour me diriger vers celle d'à côté, mais la porte est déjà ouverte. Des gémissements se mêlent aux hurlements et ça fait froid dans le dos. J'avance de quelques pas et je vois ma mère assise sur le lit, secouant doucement Laurine en la tenant par les épaules. Le spectacle est effrayant : elle se débat comme si ma mère était son agresseur, elle hurle à s'en rompre les cordes vocales, les coups de poings et coups de pieds volent, l'ours en peluche tombe au sol et la couverture est au pied du lit lorsque Laurine se redresse soudainement. Elle repousse violemment la main de ma mère, posée sur son bras et elle tremble tellement que je le remarque depuis l'entrée de la chambre. Elle respire fort et très vite, regarde partout autour d'elle pendant que ma mère tente de la rassurer, des larmes maculent ses joues ; elle est totalement désemparée.

- Laurine tout va bien. Il n'y a personne ici, murmure ma mère.

Elle recule dans son lit pour échapper à ma génitrice mais ne peut pas aller bien loin ; son dos heurte rapidement la tête de lit, alors elle remonte ses genoux contre sa poitrine et entoure ses jambes de ses deux bras, comme pour se protéger d'un quelconque danger.

Sa respiration se calme lentement après de longues et interminables minutes et bientôt, un silence pesant s'installe dans la pièce.

- Laurine ? l'appelle ma mère alors qu'elle a la tête enfouie dans ses bras.

Elle lève timidement le menton et ses yeux humides regardent craintivement la femme qui vient de mentionner son nom et qui approche sa main de son visage. Les traits de la jeune fille sont déformés par la terreur et les larmes et elle secoue négativement la tête. Sa réaction dissuade totalement ma mère de venir au bout de son geste et cela semble rassurer la jeune fille.

- Tu es en sécurité ici, personne ne te fera de mal.

Je suis là, d'accord ?

Ces quelques mots n'ont pas l'effet escompté puisqu'elle se remet à pleurer, son corps est secoué de spasmes et de sanglots incontrôlés. Alors c'est ça qu'elle endure chaque nuit depuis bientôt deux mois ? C'est inconcevable. Comment fait-elle pour tenir depuis tout ce temps ? Je n'ose pas l'imaginer.

Ma mère est perdue et ne sait que faire ou comment agir. Quand son regard se pose sur l'ours mauve, elle s'en empare immédiatement et le tend à Laurine qui n'hésite pas une seule seconde pour se l'accaparer. C'est son petit trésor, son talisman en quelque sorte. Elle est si terrifiée et la voir serrer cette simple peluche comme si sa vie en dépendait me brise le cœur.

- Je reviens dans une minute, d'accord ? lui dit doucement ma mère.

Elle n'attend pas sa réponse et se lève du lit pour me

rejoindre dans le couloir. Elle sursaute légèrement en me voyant, plaquant sa main contre son cœur.

- Tout va bien Tristan ? s'inquiète-t-elle.

- Oui je... Ça va. Je crois, murmuré-je.

- Elle t'a réveillé ?

Je hoche la tête lentement. Ma mère affiche une mine triste et peinée, tout en me faisant signe de la suivre dans le couloir. Elle ne reprend la parole que lorsque nous entrons dans la cuisine.

- Je suis désolée, j'ai eu du mal à la réveiller, s'excuse-t-elle angoissée. Elle hurlait et je ne parvenais pas à…

- Ce n'est pas grave Maman, la coupé-je. Tu n'as pas à t'en vouloir.

Elle m'offre un léger sourire puis attrape la bouilloire pour la remplir d'eau et la mettre à chauffer, avant de sortir une tasse.

- Je n'imaginais pas que c'était si... Que ses cauchemars seraient aussi violent, se reprend-elle.

Ça m'a un peu chamboulée.

Un peu ? C'est un euphémisme ! Cette réaction est totalement surréaliste. Et dire qu'elle revit ça pratiquement tous les soirs... Ça doit être terrible.

Je ne peux même pas imaginer la fatigue et l'horreur qu'elle doit endurer à chaque minute de la journée ou de la nuit.

- Tu lui prépares de la potion magique ? la questionné-je en la voyant s'emparer de la boîte dans laquelle se trouve des petits sachets d'infusion.

Elle m'en faisait chaque fois que j'étais malade, ou que je faisais un cauchemar lorsque j'étais petit. Je disais toujours que c'était une potion magique parce que je me sentais mieux après en avoir bu.

Aujourd'hui encore, il m'arrive souvent d'en boire une tasse bien que je ne sache toujours pas ce qui se trouve dans cette boisson. Elle prépare ces sachets elle-même et j'ignore ce qu'elle met dedans, mais j'adore.

Il y a quelques années, j'ai essayé de l'espionner un jour où elle était en pleine préparation mais, ne connaissant pas les trois quarts des plantes et aromates présents sur la table, ça ne m'avait pas avancé du tout. Au final, je l'ai rejoint et l'ai regardée faire. Elle ne m'en a pas dit plus et je sais qu'elle ne m'en dira pas plus. C'est son petit secret.

- Oui, répond-elle en souriant. Ça lui fera peut-être du bien.

- C'est une potion magique, elle ne peut qu'aller mieux avec ça !

L'odeur de plantes se dégage déjà de la tasse brûlante, à peine le sachet a-t-il trempé dans l'eau.

J'inspire un grand coup et dépose un baiser sur la joue de ma mère avant de la serrer dans mes bras le temps que l'infusion se termine.

Une fois la potion magique prête, nous sortons de la cuisine et nous traversons le couloir avant de nous arrêter devant ma chambre.

- Va te recoucher, ça va aller, m'annonce-t-elle en me poussant doucement pour me faire entrer dans la pièce.

- Tu es sûre ?

- Oui, vas-y. Je m'en occupe.

- Comme tu voudras. Bonne nuit Maman.

- Bonne nuit, Tristan. Je t'aime.

- Moi aussi.

Je fais mine d'entrer dans ma chambre mais me ravise lorsque ma mère disparaît dans la pièce voisine. J'approche de la porte et tends l'oreille.

- Tiens, ma chérie. Bois ça, ça te fera du bien, intime-t-elle d'une douce voix.

Pas de réponse évidemment, mais ma mère reprend la parole d'une voix douce et rassurante.

- Mon fils appelle ça de la potion magique depuis qu'il est tout petit. Il disait toujours qu'il préférait boire ça que prendre des médicaments, ricane-t-elle, me faisant sourire par la même occasion.

J'avais du mal parfois à l'emmener chez le médecin tellement il était têtu. Si tu aimes ça, je te montrerai où je le range dans la cuisine et tu pourras te servir autant que tu veux.

C'est avec le sourire que je retourne finalement dans ma chambre. Ma mère est si prévenante et douce avec elle, j'espère que ça va fonctionner. Elle en aurait le cœur brisé dans le cas contraire parce que je vois dans ses yeux qu'elle apprécie déjà Laurine.

Je sais qu'elle va tout faire pour tenter de la guérir malgré la difficulté de la situation.

A suivre….

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.