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Chuuuuuuuuut Silence

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Stephane Mbiandji
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9.0
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Résumé

Laurine Passé - 12 Mai 2018 Le silence. Rien que le silence. Je suis seule. Je n'entends rien, ne dis rien, ne pense plus. J'en suis incapable. J'ignore où je suis, ce que je fais, pourquoi ou comment. Je ne sais absolument rien. Mes yeux sont ouverts mais je ne vois pas. Oh si ! Une sensation étrange me parvient ; je crois que quelque chose me touche le bras. Puis le visage. Il me semble que je lève la tête. Je crois. Finalement, ce n'était pas quelque chose, mais quelqu'un. Une femme, à la peau mate, d'une trentaine d'années peut-être. Ou plus. Ou alors moins. Je l'ignore. Ses lèvres bougent. Peut-être me parle-t-elle mais je n'entends pas. Qu'est-ce qu'elle me dit ? Et qui est-elle ? Est-ce que je la connais ? Elle porte des vêtements sombres. Peut-être bleus foncés, ou noirs. Un homme s'accroupit près d'elle et me retire quelque chose des bras. Je me laisse faire. Je baisse les yeux sur ce qu'il porte désormais. Un bébé. Pourquoi porte-t-il un bébé ? Je crois que c'est une petite fille. Elle est jolie, mais elle ne bouge pas. Est-ce qu'elle dort ? Ses yeux sont fermés. Elle dort. Je me sens vide d'un seul coup. Plus encore qu'il y a quelques secondes. J'ignore comment j'y parviens, mais j'en comprends la raison. Ce bébé était dans mes bras et il me l'a prit. Il s'éloigne. Je me lève difficilement. Je vacille. Mes membres ne me suivent presque pas. Je dois forcer sur mes jambes pour me lever. Je ne fais pas attention à tout ce monde dans cette pièce et suis l'homme qui m'a volé ce qui m'appartient. Je tangue. Mes pieds n'avancent pas très vite. J'ai mal. Un homme m'empêche de continuer. Il me tient par les épaules. Son contact me dérange. Me brûle. M'irrite fortement. L'homme que je veux suivre disparaît de mon champ de vision pendant que l'autre me tient plus fermement encore. Ils n'ont pas le droit de me l'enlever ! Je hurle de toutes mes forces pour faire réagir ceux qui m'entourent mais personne ne bouge. Ils doivent arrêter cet homme ! Pourquoi ils ne font rien ? Je ne comprends pas. Ce bébé m'appartient. Il faut qu'il me le rende. Je hurle. Encore. Et encore. Mais personne ne me ramène le bébé. Je crois que je me débats. Je frappe quelqu'un. Puis la force me quitte soudainement. Je n'ai plus d'énergie. Plus rien. Plus aucune force. Et je tombe. Quelqu'un me rattrape et mes yeux sont rivés au sol, sur une rivière rouge. Je ne vois que du rouge. Plein de rouge. Beaucoup trop de rouge. J'aime le rouge, mais pas celui-ci. Il est trop foncé. Trop sombre. Ça me fait peur, je crois. Alors je détourne le regard tout en sombrant de plus en plus. Je croise le regard d'une femme. Ses yeux sont bleus. Elle est jolie. Pourquoi est-elle couchée au sol ? Elle aussi porte beaucoup de rouge et je n'aime pas ça. Ça ne lui va pas. Mes paupières se ferment lentement et les ténèbres m'accueillent à bras ouverts. Suis-je en train de mourir ? Je l'espère. Sa présence m'apaise. Il me fait oublier les ténèbres dans lesquels je suis plongée depuis cette terrible soirée. Il me donne l'impression d'être de nouveau moi-même, mais cette fille-là est morte il y a plusieurs jours, et je ne peux plus être heureuse. Je n'en ai plus le droit. Je suis seule. Seule pour l'éternité. Ma mère est partie, mon père l'a suivie. Mon frère a fait de même, et mes sœurs l'ont imité. Quant à moi, suis-je réellement là ? Je suis peut-être présente physiquement, mais je suis morte à l'intérieur. Mon cœur est vide et je suis détruite. Anéantie. Il a volé ma vie. Mon identité. Ma voix. Je ne dois compter sur personne. Sauf peut-être sur lui. #Chuuuuuuutttt_Silence

matureindépendantsuspenseromantiqueHumour

#chapitre1️⃣

Pdv de de Tristan

Présent - 9 Juillet 2018

- Elles sont arrivées ! hurle ma mère depuis l'entrée. Dépêche-toi !

J'abandonne mon téléphone sur mon lit et traverse rapidement le couloir. Au moment où je mets un pied dans le salon, la sonnette retentit. Ma mère est stressée ; elle tente de lisser sa robe pourpre en passant frénétiquement ses mains dessus et se regarde dans le miroir près de la porte pour ajuster sa coiffure déjà parfaite.

- Ça va aller Maman, tenté-je de la rassurer.

Elle hoche la tête, pas très convaincue, et souffle un grand coup avant d'ouvrir la porte d'entrée. Une femme nous sourit aimablement. La quarantaine, des cheveux blancs sur le haut de son crâne et des lunettes posées sur le bout de son nez, elle tend la

main pour serrer celle de ma mère.

- Madame Morlin, entrez je vous en prie, l'invite chaleureusement la maîtresse de maison.

Elle fait un pas en avant pour me serrer la main à moi aussi et laisser entrer une jeune fille. Les présentations sont faites sans attendre.

- Laurine, je te présente Nathalie Clare et son fils, Tristan. Madame Clare, voici Laurine Soto.

Cette dernière regarde fixement ma mère sans ciller ni éprouver la moindre émotion. Elle est plutôt jolie malgré ses vêtements trop larges et informes ; des cheveux blonds lui arrivent aux épaules et encadrent son visage fin. Ses grands yeux bleus pourraient être magnifiques s'ils n'étaient pas si vides et si tristes. Elle ne sourit pas et ne dit pas un mot. Je me souviens alors des paroles de Madame Morlin, trois semaines plus tôt. 2

Elle nous avait prévenu que ce ne serait pas quelque chose de facile d'accueillir une jeune fille meurtrie de l'intérieur qui venait d'attenter à ses jours. Depuis son arrivée à l'hôpital, elle fait constamment des cauchemars, autant le jour que la nuit. Chaque fois qu'elle ferme les yeux quelques heures, elle se réveille en hurlant comme si elle revivait inlassablement cette terrible soirée. Très peu de monde peut la toucher sans qu'elle ne se mette à crier comme une possédée. Ces aveux ont été déchirants, tant pour ma mère que pour moi.

Elle souhaite faire les choses bien mais ce sera loin d'être simple, nous en sommes conscients.

Néanmoins, nous sommes déterminés à ne pas laisser tomber cette jeune fille.

Une camionnette se gare devant le portail de la maison et deux hommes en sortent pour aller ouvrir les portes arrières du véhicule.

- Il y a six cartons contenant ses affaires, nous informe l'assistante sociale. Où doivent-ils les mettre ?

Les deux hommes portent chacun un carton imposant et ma mère leur demande de les déposer dans la pièce au fond du couloir. Dans la chambre d'amis. Puis nous nous dirigeons vers le salon.

Laurine prend place à l'extrémité du canapé,

Madame Morlin s'installe près d'elle en prenant garde de ne pas l'approcher de trop près pendant que je vais aider ma mère à préparer du thé et du café. Quand nous revenons près de nos invitées, celles-ci sont silencieuses. Lorsque je m'assieds, je remarque que notre nouvelle colocataire tient fermement un petit ours en peluche de couleur mauve et garde les yeux rivés sur cet objet qui paraît très précieux pour elle.

- Laurine ?

Elle relève doucement la tête lorsque ma mère l'interpelle.

- Tu veux un thé ? Ou un café ? J'ai du jus d'orange aussi, si tu le souhaites. Ou alors simplement de l'eau.

À cet instant, j'ai l'impression qu'elle ne comprend pas ce qu'on vient de lui proposer. Elle ne répond pas, bien entendu, mais n'esquisse pas le moindre mouvement pour faire comprendre ce qu'elle souhaite. Au bout d'une dizaine de secondes, la jolie blonde finit par baisser la tête pour regarder à nouveau son ours en peluche.

Ma mère, gênée, se racle la gorge et sourit nerveusement :

- Si tu veux quelque chose, n'hésite pas à te servir.

Puis elle sert un café à son accompagnatrice qui lui offre un pauvre rictus en guise d'excuses.

- Je te ferai visiter la maison tout à l'heure. J'espère que tu t'y sentiras à l'aise, ajoute ma mère.

Je sens que ça va être très difficile. Elle qui aime beaucoup discuter avec tout le monde et parler à longueur de journée, ça va lui faire bizarre d'être constamment face à un tel mutisme. Son état psychologique est tout à fait compréhensible. Après tout, elle n'a plus personne et la façon dont c'est arrivé doit être difficilement supportable.

Impossible, même.

Laurine semble dans sa bulle. Dans un monde qui est le sien, loin de nous, loin de tout ce merdier auquel elle a dû faire face. Son ours en peluche a l'air de la fasciner au plus haut point. Elle l'a installé face à elle et ses mains sont jointes sur ses genoux, recouverts d'un jean noir un peu trop large pour elle. Son long sweat gris clair couvre le haut de ses cuisses et semble bien trop grand pour elle.

Le logo d'une célèbre université parisienne me fait

penser qu'il ne lui appartient probablement pas.

Tout comme cette chaîne argentée qui entoure son cou où est accroché un pendentif en forme de A majuscule calligraphié.

Ce n'est qu'après plusieurs minutes durant lesquelles les deux femmes près de nous ont discuté sans se préoccuper de nous, que je remarque qu'elle me regarde. Des cernes sombres soulignent ses yeux, montrant parfaitement qu'elle n'a pas dû avoir une vraie nuit de sommeil depuis bien longtemps.

Son regard me met mal à l'aise. J'ai l'impression de l'avoir épiée sans son autorisation et de m'être introduit dans sa bulle de tranquillité à son insu. Je détourne alors rapidement les yeux et admire le jardin à travers la baie vitrée. Il fait soleil

aujourd'hui.

Une idée me vient subitement mais j'ignore si elle va comprendre. Je la regarde alors à nouveau et lui montre le jardin d'un signe de la tête, puis me lève.

Étonnamment, elle m'imite sans attendre et me suit jusqu'à la baie vitrée. La conversation derrière nous s'interrompt subitement mais je ne m'en préoccupe pas et fais coulisser la vitre. La chaleur de l'été est déjà étouffante ce matin mais je continue d'avancer.

La terrasse en béton chauffe mes pieds nus alors je fais quelques pas pour rejoindre l'herbe. Je descends les trois petites marches qui me mènent au jardin et m'assieds sur la dernière.

Je perçois du mouvement derrière moi et la jeune fille me rejoint en marchant lentement. Elle s'installe sur la marche la plus haute, pose ses pieds sur celle qui suit et entoure ses jambes de ses deux bras avant de poser son menton sur ses genoux, le regard dans le vide. En plein jour, ses yeux sont pratiquement gris. Un gris aux reflets azurés tout simplement magnifique. Il ne manque plus qu'un éclat de vie dans ces iris ternes pour les rendre parfaits.

Pdv de Laurine

Ça fait du bien de ne plus entendre ces deux femmes parler de moi comme si je n'étais pas là. Ce n'est pas parce que je ne prononce pas un mot que je n'entends rien. Et je crois que le garçon qui me fixait intensément tout à l'heure l'a parfaitement compris. Je n'ai pas hésité pour accepter son invitation implicite. Sur le moment, j'ai cru qu'il allait me parler, mais il s'est abstenu et s'est simplement installé au sol. Je l'ai imité.

Ce jardin n'est pas très grand. Tout comme la maison d'ailleurs. L'arrière de la bâtisse me rappelle chez moi. Quatre arbres font de l'ombre au fond du carré d'herbe et je crois que je vais aimer me poser sous cet olivier. Si toutefois cette Nathalie ne s'évertue pas à vouloir me faire la conversation.

Elle a déjà essayé mais je l'ai ignorée. Et ce sera ainsi à chaque fois. J'espère qu'elle finira par le comprendre.

Le garçon n'a pas dit un mot depuis mon arrivée et je n'ai pas retenu son nom. Seulement la couleur de ses yeux qui semblaient me détailler scrupuleusement quelques minutes auparavant. Ils sont bruns mais d'une teinte différente l'un de l'autre. Le droit est plus foncé que le gauche. Pas de beaucoup, très légèrement seulement.

- Laurine ? Tristan ?

Tristan, voilà son nom. Je l'avais déjà oublié. Il se lève lorsque sa mère l'appelle et ne prononce toujours pas un mot. Est-ce que lui non plus ne parle pas ?

- Vous venez dire au revoir à Madame Morlin ?

Le garçon passe à côté de moi et entre dans la maison pendant que je reste ici, même si je commence à avoir très chaud sous ce soleil de plomb, vêtue de mon sweat épais. Ce n'est que le matin, mais la température est tout de même élevée.

- Laurine ? s'enquiert à nouveau la mère de famille.

Pourquoi veut-elle que j'aille dire au revoir à cette femme ? Tout d'abord, je ne l'aime pas. Elle ne cesse d'essayer de me forcer à parler ce qui ne sert à rien puisque de toute évidence, je ne dirai rien. Et ensuite, je ne compte pas lui serrer la main et encore moins lui faire la bise ou un quelconque sourire. Alors je reste là et Nathalie disparaît pour laisser place à mon assistante sociale qui vient s'asseoir à côté de moi.

- J'espère que tu te plairas ici, Laurine. Nathalie est une femme très gentille et Tristan est un garçon bien. Tu peux leur faire confiance.

Puis elle déblatère des recommandations inutiles que je n'écoute pas, préférant mille fois admirer les brins d'herbe non loin de moi. Ce n'est que lorsque sa main se pose maladroitement sur le haut de mon dos que je réagis. Je me redresse immédiatement sur mes deux pieds pour échapper à ce contact et fais tomber mon ours en peluche qui dévalent les trois marches. Je m'empresse de le récupérer et le serre dans mon poing.

- Je vais m'en aller, déclare la femme face à moi. À bientôt Laurine.

Puis elle entre dans la maison, un sourire crispé sur ses lèvres. Ce n'est que lorsque j'entends le bruit du moteur devant la maison que je passe la baie vitrée.

Trois minutes de plus et je me liquéfiais à l'extérieur.

- Je te fais visiter la maison ? me questionne

Nathalie le sourire aux lèvres.

Elle est tendue, je le vois. Elle ne sait pas comment agir avec moi et je la mets mal à l'aise. Comme toutes les personnes qui m'ont rendu visite au cours du dernier mois dans cet asile de fou où je n'avais pas ma place. Je ne suis pas folle et personne ne semble le comprendre. Personne ne le peut.

Comme je ne réponds ni ne fais de signe de la tête, elle fait comme si je lui avais dis oui.

- Donc ici, c'est le salon. Juste là, annonce-t-elle en me montrant une porte ouverte à ma gauche, c'est la cuisine.

Elle y pénètre, alors je la suis mécaniquement.

- Si tu as faim, tu te sers. Il y a tout ce qu'il faut dans les placards, le réfrigérateur est là, les verres et les assiettes sont ici et les couverts dans ce tiroir.

Puis elle sort et rejoint un long couloir. Je marche derrière elle et constate que son fils a disparu. Elle ouvre ensuite chacune des portes pour me montrer sa chambre, une première salle de bain, des toilettes, un bureau où elle passe son temps à travailler, une seconde salle de bain, la chambre de son fils, et enfin, la chambre que je vais occuper.

Les murs sont marrons clairs et blancs, un grand lit double est au centre de la pièce et recouvert d'une couverture brune. Une table de chevet, un bureau, et une armoire remplissent la pièce, ainsi que six gros cartons.

Nathalie me parle encore mais j'ignore ce qu'elle me dit. Je ne vois que ces cartons qui contiennent toutes mes affaires. Ne souhaitant pas m'attarder là-dessus, je me dirige vers le lit et m'allonge dessus, sans un mot, recroquevillée sur moi-même.

Il est confortable. Bien plus qu'à l'hôpital, mais bien moins que dans ma maison.

- Je vais préparer le déjeuner, ce sera prêt dans une heure. En attendant, fais comme chez toi, m'indique-t-elle en me souriant.

Quand elle disparaît, j'ai déjà fermé les yeux. La fatigue me submerge chaque jour un peu plus et aujourd'hui, je ne tiens plus. Je ne les rouvre que quelques heures plus tard et ce n'est pas un cauchemar qui me réveille cette fois-ci contrairement à toutes ces autres fois, mais les rayons du soleil. Je devine alors que ma chambre ne donne pas sur le jardin et qu'elle sera ensoleillée tous les après-midi.

Je m'assieds sur mon lit et reste ainsi pendant de longues minutes. Je fais quoi maintenant ? Dans cet asile de fous, on me donnait des ordres et j'obéissais machinalement pour que personne ne me prenne la tête, sauf lorsqu'on me demandait de parler. Là, je refusais d'obéir. Mais ici, le seul ordre qu'on m'ait donné c'est de faire comme chez moi, ce que je ne peux décemment pas faire puisque je ne suis pas chez moi. Alors j'ignore ce que je dois faire. J'ignore ce que j'ai envie de faire, ça fait déjà plusieurs semaines que je n'ai plus envie de rien.

Je décide de me lever et de longer le couloir. Il n'y a personne dans le salon mais j'entends des voix dans la cuisine. Celle de Nathalie et celle d'un homme.

- Il va lui falloir du temps pour s'habituer à nous, mais j'ai peur de faire quelque chose de mal, s'inquiète la femme.

- Ça va aller Maman.

Cette voix doit être celle de Tristan, celle que j'entends pour la première fois et qui me cloue étrangement sur place. J'écoute alors la suite de la conversation.

- Je sais que tu feras de ton mieux pour qu'elle se sente bien ici, la réconforte cette voix grave mais pourtant si douce.

- Mais ce ne sera pas assez. Elle a perdu toute sa famille et je sais que rien ni personne ne pourra la remplacer, mais j'espère qu'elle acceptera tout de même notre aide.

- Il faut lui laisser du temps.

Un silence s'installe dans la pièce avant que Nathalie ne reprenne la parole. Sa voix est empreinte de tristesse et de pitié, je le perçois facilement.

- Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle doit ressentir. Toute sa famille a été tuée sous ses yeux et personne de son entourage n'a pu l'accueillir.

Elle doit se sentir tellement seule.

A suivre…