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Chapitre 4

Louisa n’en pouvait plus. La routine de la campagne l’étouffait, le silence pesant qui enveloppait la petite maison d’Odile, les journées mornes passées à traîner sous le soleil couchant sans but précis, sans rien à faire d’autre que d’accepter les règles imposées par sa mère et cette vie qu'elle n’avait pas choisie. Les tâches journalières qu’Odile lui avait imposées n’étaient pas si difficiles en soi, mais elles lui donnaient la sensation d’être piégée dans un univers qu’elle n’avait jamais voulu. Tout ici semblait tourner au ralenti, comme un film en noir et blanc où elle était condamnée à rester spectatrice.

Elle s'était levée ce matin-là avec une frustration grandissante. Chaque minute qui passait à côté de ce qu’elle avait l’habitude de faire dans sa vie d’avant lui semblait voler quelque chose d’indéfini, quelque chose de précieux. Elle n’était pas faite pour cette tranquillité, pour cette lenteur. Elle se sentait étrangère à tout ça. Elle avait besoin d’échapper à l’étreinte étouffante de la campagne, de prendre une bouffée d’air frais, de fuir cette atmosphère trop calme, trop prédéfinie.

Alors, sans dire un mot, sans prévenir qui que ce soit, Louisa enfila ses chaussures de marche et se glissa hors de la maison. Elle se rendit compte qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle allait, mais peu importe. Peu importait tant qu’elle s’éloignait. Elle traversa la petite cour, suivie par le regard curieux de quelques poules, et s’aventura dans les sentiers qui serpentaient entre les arbres.

L’air était frais, presque vif, et le bruit du vent dans les feuilles des arbres apportait une sensation de calme qu’elle n’arrivait pas à ressentir autrement. Elle avançait sans but précis, ses pensées se dissipant au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans la forêt. Le parfum de la terre humide, le crissement des feuilles sous ses pieds, tout cela semblait l’apaiser un peu, mais le tourbillon de frustration à l’intérieur d’elle n’était pas encore apaisé. Elle voulait simplement disparaître, se perdre dans ce paysage qu’elle ne connaissait pas, échapper à la pression qui montait à chaque seconde qui passait dans ce village étranger.

Mais, alors qu’elle s’enfonçait dans les bois, l’unique direction qui semblait logique à ses pas, elle ne se rendit pas compte à quel point elle s’éloignait du chemin. Peu à peu, les arbres devenaient plus denses, la lumière du jour se dissipant dans l’ombre épaisse des branches. Louisa s’arrêta un instant, se sentant soudainement un peu perdue. Elle se retourna pour regarder le sentier qu’elle avait emprunté, mais il ne semblait plus aussi visible. La forêt, qui semblait si belle et apaisante au départ, était devenue un labyrinthe confus de végétation.

Elle se força à respirer lentement, tentant de ne pas céder à la panique qui commençait à monter en elle. « Ce n’est rien, » se dit-elle à voix haute. « Tu t’es juste un peu éloignée. Ce n’est qu’un petit détour. » Mais au fond d’elle, Louisa savait que ce n’était pas vrai. Elle ne connaissait pas cette forêt. Elle n’avait aucun repère ici. Elle n’avait pas pris de carte. Elle n’avait pas pris de téléphone.

Elle marchait maintenant plus vite, chaque pas plus lourd que le précédent, chaque bruit plus angoissant dans l’air lourd. Les arbres semblaient se resserrer autour d’elle, et le ciel s’assombrissait peu à peu. Après une bonne heure de marche, Louisa commençait à ressentir la fatigue dans ses jambes. Le silence de la forêt semblait se densifier, comme si le monde autour d’elle s’était arrêté de respirer. C’était comme si chaque craquement de branche ou le vol furtif d’un oiseau envoûtait ses pensées, amplifiant la sensation de claustrophobie qui la prenait peu à peu.

Au bout de ce qui lui sembla une éternité, un bruit soudain de pas se fit entendre derrière elle. Elle se retourna rapidement. Un frisson lui parcourut l’échine en voyant une silhouette s’approcher entre les arbres. La lumière s’étaitomblie, et cette silhouette, encadrée par la lueur du crépuscule, semblait surgir du néant.

« Tu t’es perdue, mademoiselle ? »

Le ton, froid mais pas désagréable, la fit sursauter. C’était lui. Raphaël. Il était là, debout, dans la pénombre, ses bras croisés, et son regard perça les ténèbres comme une lame de rasoir. Il ne semblait pas surpris de la trouver ici, au contraire, il la scrutait, presque comme s’il l’avait attendue.

Louisa, sans vraiment savoir pourquoi, se sentit à la fois irritée et soulagée de le voir. Il semblait tellement calme, là, dans l’obscurité, tandis qu’elle, perdue dans ses pensées et dans cette forêt qui l’engloutissait, n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait. Il paraissait être à sa place, comme si cet endroit n’était pas un labyrinthe pour lui.

« Je… je ne suis pas perdue, » répondit-elle avec une tentative de fierté dans la voix, bien qu’elle sache au fond d’elle qu’elle ne pourrait pas mentir plus longtemps. « Je voulais juste… m’éloigner un peu. »

Il haussait un sourcil, apparemment peu convaincu par sa réponse. « On dirait que tu n’as pas réfléchi à tout ça avant de partir. »

Louisa serra les poings. « Je suis parfaitement capable de me débrouiller seule, » dit-elle avec plus de fermeté qu’elle ne le ressentait.

Il la fixa, son regard plongé dans le sien, et pour un moment, Louisa eut l’impression que le monde autour d’elle se stoppait tout simplement. Elle se sentit de plus en plus mal à l’aise sous cette attention inébranlable. Il ne disait rien, mais il avait cette façon d’être là, présente, presque imposante. Il avait l’air de lire chaque pensée qui passait dans son esprit.

« Tu devrais faire demi-tour, tu sais, » dit-il enfin, ses mots brisés par le bruit de la forêt qui semblait se refermer autour d’eux.

Louisa hocha la tête, mais la vérité, c’était qu’elle ne savait pas vraiment comment faire. Le chemin qu’elle avait emprunté lui semblait désormais un souvenir lointain, une illusion. « Je crois que je me suis un peu perdue, » avoua-t-elle enfin, plus pour elle-même que pour lui.

Raphaël laissa échapper un petit soupir. Puis, il se tourna, semblant ne pas hésiter une seconde. « Suivez-moi. Je vais vous montrer le chemin. »

Elle le suivit sans discuter, ses pas plus lourds qu’ils ne l’étaient tout à l’heure. Ils cheminaient en silence, le bruissement des feuilles leur seul témoin. Chaque mouvement de Raphaël semblait calculé, maîtrisé, comme s’il connaissait cette forêt bien mieux qu’elle ne pourrait jamais le faire. Louisa, en revanche, se sentait de plus en plus en décalage, étrangère à cet environnement et, peut-être, à elle-même.

« Pourquoi êtes-vous ici ? » demanda-t-elle, brisant enfin le silence oppressant.

« Je suis ici parce que c’est là que je veux être, » répondit-il calmement. « Tout comme toi, je suppose. »

Il y eut un long silence. Louisa ne savait pas si c’était une invitation à en savoir plus, ou un mur infranchissable. Tout ce qu’elle savait, c’était que cette rencontre la perturbait. Elle avait l’impression qu’il y avait toujours un non-dit entre eux, quelque chose qu’il refusait de dévoiler.

Peu à peu, ils se rapprochèrent des bords de la forêt. Louisa pouvait voir la lumière de la maison d’Odile au loin, faible mais rassurante. Elle se sentit soudainement vide, comme si toute l’énergie qu’elle avait mise à s’échapper d’elle-même venait de s’éclipser. Elle n’avait plus envie de fuir. Elle n’avait plus envie de comprendre.

Raphaël s’arrêta juste avant qu’elle ne franchisse la lisière des arbres. Il la regarda une dernière fois, ses yeux sombres se posant sur elle d’un air aussi étrange que d’habitude.

« Rentrer chez soi est parfois plus difficile que de partir, » dit-il, presque pour lui-même.

Louisa le regarda, un peu perdue. Puis elle tourna les talons et s’éloigna, laissant la silhouette de Raphaël se fondre à nouveau dans les ombres de la forêt.

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