Chapitre 5
Les jours passaient lentement à la ferme d’Odile, chaque minute s’étirant comme un élastique, mais Louisa, bien qu’elle ne l’admette jamais à haute voix, commençait à s’habituer à la tranquillité. C’était une sensation étrange, déstabilisante, mais qui lui offrait aussi une pause qu’elle n’aurait jamais cru nécessaire. Pourtant, il y avait toujours cette envie d’en savoir plus, d’explorer, de comprendre ce qui la dérangeait. Et cette sensation persistante que quelque chose n’était pas tout à fait en ordre, quelque chose de caché.
Elle n’arrivait pas à se défaire de l’image de Raphaël, cette silhouette solennelle qu’elle avait croisée dans la forêt. Son regard perçant, son attitude distante, tout chez lui semblait marqué par une ombre, une partie de son histoire qu’il gardait jalousement enfouie. Au début, elle pensait qu’il n’était qu’un homme énigmatique, un solitaire par choix. Mais plus elle y pensait, plus elle se rendait compte qu’il y avait quelque chose de plus, quelque chose qui le rendait encore plus insaisissable que ce qu’il semblait être.
C’est dans un moment d’ennui, alors que Louisa se reposait dans la petite pièce de la maison d’Odile, qu’elle décida de fouiller. Elle n’avait pas de véritable but, juste un besoin de comprendre un peu plus. Elle se leva et se dirigea vers la bibliothèque d’Odile, un endroit poussiéreux mais accueillant, regorgeant de vieux livres. Elle parcourut les étagères, feuilletant au hasard, jusqu’à ce qu’un petit carnet en cuir attire son attention. Il semblait ancien, usé par le temps. Elle l’ouvrit sans hésitation.
Il s’agissait d’un journal intime, appartenant visiblement à Odile elle-même. Louisa parcourut les premières pages, qui évoquaient sa vie dans le village, ses premières années ici, ses expériences de jeunesse. Mais ce qui attira son attention fut un passage écrit en de très petites lettres, presque effacées, qui parlait de Raphaël.
« Raphaël Belmont… », lut Louisa à voix basse.
Elle n’avait jamais entendu le nom de ce voisin prononcé par Odile. Il y avait bien des rumeurs, des murmures entre les habitants, mais rien de précis, rien de qui pourrait justifier l’isolement volontaire de l’homme. Elle tourna les pages avec précaution, découvrant des anecdotes de son passé. Raphaël Belmont avait été un homme d’affaires réputé, un entrepreneur à succès, mais qui, à un moment donné, semblait avoir tout quitté. Il s’était retiré de la vie publique sans explication, sans prévenir personne. Cette décision, survenue du jour au lendemain, avait fait couler beaucoup d’encre, mais personne n’avait vraiment su pourquoi.
Louisa se sentit un peu coupable d’avoir trouvé ce carnet, mais elle continua à lire, captivée. Il y avait quelque chose d’intriguant dans l’histoire de Raphaël, quelque chose qui la poussait à vouloir comprendre ce qui l’avait conduit à cette retraite. Et, à mesure qu’elle lisait, des bribes d’informations venaient s’ajouter à son tableau mental. Elle découvrit des détails qui semblaient décrire un homme qui avait été profondément marqué par une tragédie, quelque chose qui allait au-delà d’une simple déception professionnelle. Raphaël, selon ce que racontait Odile, semblait avoir perdu tout ce qu’il avait aimé et tout ce qui lui était cher. Un accident. Un drame. Des années de douleur, d’abandon et de solitude.
Le vent soufflait dehors, mais Louisa ne s’en rendait même pas compte. Chaque page qu’elle tournait la plongeait un peu plus dans un mystère qu’elle ne pouvait pas laisser de côté. Elle s’imagina Raphaël, perdu dans ses pensées, hanté par ce qu’il avait dû endurer. Mais pourquoi s’être retiré ici, dans cette maison isolée, loin de tout et de tout le monde ? Pourquoi être resté invisible, comme un fantôme dans un monde qu’il avait décidé d’abandonner ? Quel secret cachait-il vraiment ?
Elle referma le carnet en sursaut, comme si tout à coup, elle se rendait compte de l’intrusion qu’elle venait de commettre. Mais l’envie de savoir ne la quittait pas. Elle savait qu’il y avait des morceaux du puzzle qu’elle n’avait pas encore trouvés. Des bribes de vérité qu’elle n’arrivait pas à assembler. Et, plus elle en apprenait sur Raphaël, plus elle avait l’impression que sa retraite n’était pas le choix d’un homme brisé par la vie, mais celui de quelqu’un qui était poussé à se cacher, à se protéger.
Ce soir-là, Louisa se rendit à la cuisine, où Odile préparait le dîner, une activité qu’elle accomplissait chaque jour avec la même tranquillité. Louisa s’assit à la table, observant sa tante avec un regard pensif. Elle n’avait pas l’intention de lui poser des questions directes, pas encore. Mais quelque chose dans l’attitude d’Odile lui disait que sa tante savait beaucoup plus qu’elle ne voulait le dire.
« Tu sembles pensif aujourd’hui, Louisa, » dit Odile en posant un plat sur la table. « Il y a quelque chose qui ne va pas ? »
Louisa haussa les épaules, feignant la désinvolture. « Non, rien. C’est juste… je voulais savoir un peu plus sur Raphaël Belmont. Il semble être quelqu’un d’intéressant. »
Odile s’immobilisa un instant, son regard se figeant sur Louisa. Puis elle souffla doucement et s’assit en face d’elle. Il y avait quelque chose dans l’air, un changement subtil dans son attitude. Elle n’avait pas besoin de demander plus pour comprendre que ce sujet ne lui était pas étranger.
« Raphaël… » Odile commença lentement, comme si elle pesait chaque mot. « C’est un homme avec un lourd passé. Un passé que même moi je ne comprends pas bien. Il a eu une vie très difficile, et un jour, il a pris la décision de tout quitter, de se retirer dans ce coin perdu, loin de tout ce qu’il avait construit. Les gens ici le regardent avec méfiance, parfois avec une certaine peur, mais il n’a jamais voulu causer de tort à qui que ce soit. »
Louisa sentit son cœur s’accélérer. « Pourquoi ? Pourquoi se retirer de cette façon ? »
Odile détourna les yeux, comme si la réponse à cette question était trop douloureuse à formuler. « Il a perdu beaucoup de choses, Louisa. Des choses que personne ne devrait avoir à perdre. Il est parti à cause d’une tragédie qui l’a détruit. Il a préféré fuir, oublier… »
Louisa attendit un moment, mais Odile ne poursuivit pas. Louisa sentit la tension dans l’air, la lourdeur du non-dit. Elle savait qu’elle n’obtiendrait pas plus de réponses ce soir-là. Mais il y avait une chose qu’elle comprenait : Raphaël Belmont n’était pas juste un homme en quête de solitude. Son isolement était le fruit de quelque chose de bien plus profond, quelque chose de terrifiant.
Quand Louisa se coucha ce soir-là, son esprit ne cessait de tourner. Elle se demanda combien de secrets Raphaël cachait encore. Combien de souffrances avaient forgé cet homme, le transformant en celui qu’il était aujourd’hui ? Et, au-delà de tout cela, Louisa se rendait compte qu’elle était de plus en plus attirée par ce mystère. Elle ne pouvait s’empêcher de vouloir en savoir plus, de vouloir percer l’obscurité qui enveloppait son existence.
Une chose était sûre : le passé de Raphaël Belmont était un labyrinthe, et Louisa avait l’intention de le parcourir jusqu’au bout.
