chapitre 6

Chapitre 6

Il n’y avait pas de place pour la douceur dans cette rencontre. Ils étaient là, face à face, après tout ce temps, et tout ce qu’il pouvait entendre, c’était le bruit sourd de son cœur battant trop fort. Elle ne l’avait pas regardé immédiatement. Elle avait d’abord respiré profondément, comme si elle se préparait à une tempête. Lui aussi. Il savait que cette conversation, s’il la voulait, allait le brûler.

Elle s’arrêta à quelques pas de lui, le regard fuyant d’abord, mais il la vit se redresser, le défi dans les yeux. « Tu m’as cherchée, Khalil. »

Les mots étaient simples, mais ils portaient toute la gravité de ce qu’ils étaient. Il l’avait cherchée, oui. Mais ce n’était pas ça, pas tout à fait. Il l’avait suivie, observée de loin, espéré un signe, une chance. Il n’avait jamais su s’arrêter, et elle le savait.

« Je t’ai cherchée parce que je… J’ai besoin de comprendre, » répondit-il, sa voix un peu rauque, étranglée par la tension. « Je t’ai perdue, et je veux comprendre pourquoi. Ce qu’on était, ce qu’on a fait… C’est tout ce que j’ai, Nadia. Tout. »

Elle haussait les épaules, comme si ses mots étaient déjà oubliés. « Comprendre ? C’est trop tard pour comprendre. » Sa voix était froide, acérée, et elle sembla presque se détourner de lui avant de s’arrêter brusquement. « Tu n’as jamais voulu comprendre à l’époque. Et aujourd’hui, tu veux juste te racheter. »

Il s’approcha d’un pas, mais elle recula, de manière presque imperceptible. « Tu n’as jamais vu mes besoins, » dit-elle d’une voix sèche, sans émotion. « Tu étais trop occupé à chercher des réponses pour toi-même. Moi, j’étais juste là, à attendre. À attendre que tu me vois. Mais tu n’as jamais vu. »

Ses mots résonnèrent dans l’air, durs et tranchants. Il avait voulu tout, sauf ça. Mais il n’avait jamais su comment lui donner ce qu’elle attendait de lui. Il se souvint des silences, des moments où il s’était persuadé qu’elle était forte, qu’elle n’avait pas besoin de lui. « Je n’ai jamais voulu ça, Nadia. J’ai… Je t’ai perdue, et c’est ça qui me tue. Mais tu crois que ça n’a pas de sens maintenant ? Que tout ce qu’on a vécu, c’est fini ? »

Elle tourna la tête, comme si elle ne voulait pas lui répondre. Mais il insista. « Tu m’as laissée sans un mot. Je sais. Mais pourquoi ? Pourquoi m’as-tu tout enlevé sans un regard ? Je t’ai aimée, bordel. »

Elle se tourna brusquement vers lui, et dans ses yeux, il y avait une lueur qu’il n’avait pas vue depuis longtemps. La colère. « Tu veux la vérité ? Voilà la vérité. » Elle s’avança d’un pas, son regard planté dans le sien. « Tu m’as laissée là, dans une mer de silence. Tu n’as jamais voulu voir mes besoins. Tu n’as jamais voulu comprendre que ce que je cherchais, c’était autre chose que tes promesses vides. Tu as cru que l’amour suffirait. Mais tu as oublié une chose : je ne suis pas un de tes projets à réparer. Et toi, tu n’étais pas prêt à me donner ce que j’attendais. Tu m’as laissée pour une autre vie, pour un autre monde, celui qui te convenait. Et tu crois que je vais revenir comme ça, juste parce que tu dis que tu as souffert ? »

Il resta là, figé, frappé par la é »ité brutale de ses mots. Elle avait raison. Il l’avait laissée partir sans un regard, sans un geste, pensant que la douleur se dissiperait avec le temps, pensant qu’il suffirait de s’excuser. Mais il n’avait pas vu la fracture, pas vu ce qu’il avait brisé en elle.

« Je ne voulais pas ça. » Il le répéta, comme une excuse mal formulée, une défense qui ne tenait plus. « Je ne voulais pas que tu sois seule. Pas comme ça. Pas avec tout ce que tu traversais. »

Elle le regarda intensément, ses lèvres serrées. « Tu n’as pas compris, Khalil. Ce n’est pas une question de ce que tu voulais ou pas. C’est une question de ce que tu faisais, de ce que tu n’as pas fait. Et maintenant, tu veux revenir, comme si de rien n’était. Tu veux que tout soit comme avant. Mais ce n’est pas possible. »

Il baissa les yeux, il ne pouvait pas la regarder. Il avait envie de tout effacer, d’effacer les années perdues. Mais il savait que ce qu’elle disait était vrai. Peut-être qu’il n’avait jamais eu le droit de revenir dans sa vie. Peut-être que ce droit n’existait même plus.

« Je n’ai jamais vu… » Il s’arrêta, incertain de la suite. « Je n’ai jamais vu ce que je devais voir. Et maintenant… maintenant il est trop tard. » Il souffla, la voix rauque. « Tu m’as trop laissé loin. Trop loin. »

Elle le fixa un instant, comme si elle pesait ses mots avant de les lâcher. « C’est pas une question de distance, Khalil. C’est une question de ce que tu m’as pris. Et je ne vais pas te laisser me reprendre une deuxième fois. Pas comme ça. Tu as décidé de m’abandonner. Et j’ai dû faire face à ça toute seule. »

Il sentit un poids lui tomber sur la poitrine, comme si elle l’avait écrasé avec la vérité de ses paroles. Leurs histoires étaient passées, leurs erreurs gravées dans le sol qu’il avait foulé, impuissant. Il se rendait compte qu’il avait peut-être déjà perdu tout droit de revenir dans sa vie, que la porte qu’il pensait entre-ouverte était en réalité fermée à double tour.

« Tu avais raison. » Il le dit lentement, sans la regarder, comme une confession. « Je t’ai laissée. Et je t’ai laissée dans un silence que je ne peux pas réparer. » Il se frotta le visage. « Je sais pas comment revenir. Je sais juste que je suis un idiot. »

Elle le dévisagea un instant, son regard dur, mais aussi fatigué. « Tu vois ça maintenant ? » Elle laissa échapper un rire sec. « Tu vois, c’est ça le problème. T’as mis trop de temps à le voir. Et maintenant, regarde-nous. Regarde ce qu’il reste. » Elle se détourna, l’air de quelqu’un qui avait déjà dit ce qu’elle avait à dire. « Tu n’as plus de place ici, Khalil. T’as tout laissé partir. »

Elle s’éloigna, sans un regard en arrière. Et il resta là, seul, dans le vide qu’elle avait laissé derrière elle.