chapitre 5
Chapitre 5
Il ne savait pas pourquoi il la suivait. C’était une pulsion, une obsession, un besoin de comprendre ce qu’elle était devenue. Chaque mouvement, chaque geste qu’elle faisait, il les observait à distance, mais il ne savait pas s’il cherchait à la retrouver ou à s’en convaincre qu’il l’avait perdue. Elle était toujours là, dans son esprit, mais dans le monde autour d’eux, elle n’était plus la même.
Il l’avait vue entrer dans un petit immeuble, elle n’avait pas cherché à le regarder, ne lui avait même pas accordé une seconde de présence. Il s’était arrêté à quelques mètres, dans l’ombre, comme un spectateur d’une vie qu’il avait autrefois partagée, mais qui lui échappait maintenant. Tout en elle semblait avoir changé. Elle n’était plus la femme douce, fragile qu’il avait aimée. Il la reconnaissait, oui, mais elle était transformée, comme si la douleur l’avait sculptée d’une manière qu’il ne comprenait pas.
Elle était plus forte, plus déterminée, comme si chaque étape de sa vie avait été une guerre qu’elle avait choisie de mener seule. Ses gestes étaient plus assurés, ses yeux plus froids. Il l’avait vue dans la rue, se parler à elle-même comme si elle essayait de chasser des fantômes, de recoller des morceaux éparpillés de son passé. Un regard un peu perdu, comme si les pièces du puzzle qu’elle avait voulu assembler n’avaient plus de sens. Mais au fond, il savait qu’elle savait qu’il était là. Elle n’avait jamais été naïve.
Elle était allée acheter un café, ses mains tremblaient juste un peu, mais ce n’était pas la peur. C’était quelque chose de plus ancien, quelque chose qu’il connaissait bien. L’angoisse, celle qui fait que l’air semble plus lourd, que la lumière est plus crue, que la pensée devient trop bruyante. Elle avait une manière de regarder les gens, de les éviter. Son monde était fait de murs invisibles qu’elle dressait à chaque instant. Elle avait changé, et c’était lui qui avait brisé cette femme. C’était ce qu’il ressentait.
Il l’avait suivie jusqu'à un coin plus tranquille, un endroit où elle semblait prendre un peu de répit. Là, il s’était avancé, trop proche d’elle, et il avait fait le pas qu’il redoutait depuis des années. Il l’avait appelée, d’une voix qui se voulait calme, mais qui trahissait l’effort qu’il faisait pour ne pas se laisser envahir par ses émotions. « Nadia. »
Elle s’était figée, et dans ses yeux, il n’y avait rien. Pas de joie, pas de colère. Juste un regard froid. Elle avait respiré profondément avant de tourner légèrement la tête vers lui. « Qu’est-ce que tu veux ? » Sa voix n’était ni dure, ni douce. C’était un ton de quelqu’un qui avait appris à survivre, à s’éteindre à force de répétition.
Il avait l’impression que tout ce qu’il avait vécu à ses côtés s’était dissout dans cette question, dans cette absence. Il avait cru qu’il pouvait la retrouver, que le temps passé loin l’un de l’autre aurait fait naître quelque chose de nouveau. Mais non. Elle n’était pas là, pas vraiment.
« Nadia, je sais que… » Il s’arrêta. Non, il n’avait pas de réponse à ses questions. Pas de justification pour la rupture. Ils n’avaient jamais eu de réponses claires, juste des silences et des faux espoirs. Il ne pouvait pas effacer ce qu’il avait fait. Il ne pouvait pas effacer les années qu’ils avaient passées à se fuir l’un l’autre.
Elle avait croisé les bras, un geste qui symbolisait plus que de la fermeture. C’était une frontière qu’il ne pouvait franchir. « C’est fini, Khalil. Tout est fini entre nous. » Ses mots n’avaient pas de malice, pas de rancune, juste la certitude qu’ils n’étaient plus liés. Elle parlait de la rupture comme s’ils n’avaient jamais été amoureux, comme si cela n’avait été qu’une histoire sans importance. C’était comme un coup de poing dans l’estomac.
Il s’était approché d’un pas, mais elle s’était reculée immédiatement. Pas de gestes brusques, juste un retrait calme, mais fermement décidé. Il avait vu la peur dans ses yeux, pas celle d’une victime, mais celle d’une femme qui avait appris à se protéger, à se battre seule. Il l’avait abandonnée, et elle n’allait pas le laisser revenir dans sa vie comme ça. Pas après tout ce temps, pas après ce qu’il lui avait fait.
Il sentit la colère monter en lui. « Tu n’as même pas essayé de me comprendre. » Il l’avait dit comme une accusation, mais il n’était pas sûr de ce qu’il voulait vraiment. Il n’était pas là pour réclamer des excuses. Ce n’était pas ça. Ce qu’il voulait, c’était la sentir revenir. Il voulait que tout se remette en place comme avant. Mais tout avait changé, et il était trop tard.
Elle haussait les épaules, comme si ce qu’il disait n’avait plus d’importance. « Essayer ? » Elle eut un sourire amer. « Tu m’as laissée. Tu m’as laissée sans un mot, sans une explication. » Elle secoua la tête. « C’est facile de dire ça maintenant, mais tout ce qu’il y avait entre nous, tu l’as détruit. Pas moi. »
Le silence s’installa entre eux. Un silence lourd, avec des non-dits qui pesaient comme des chaînes. Il avait envie de lui dire qu’il regrettait tout, qu’il avait appris à ses dépens que la vie sans elle n’avait plus aucun sens, mais il n’avait pas les mots. Il n’avait plus de place pour les mots.
Elle se détourna alors, son visage déjà tourné vers l’avenir. « Il est trop tard, Khalil. » Elle marqua une pause. « Trop tard pour nous. » Ces mots résonnèrent comme une sentence qu’il n’arrivait pas à comprendre. Elle ne voulait pas de lui. Elle ne voulait plus rien de lui. Et c’était là, sous ses yeux, la preuve que la personne qu’il avait aimée était définitivement partie.
Elle s’éloigna sans un regard en arrière, et il resta là, les mains tremblantes, le cœur battant à tout rompre. Il n’y avait rien à dire, rien à faire. Elle l’avait laissé derrière elle, comme un souvenir douloureux qu’on choisit d’oublier. Et lui, il était là, figé dans l’échec, dans cette fin inévitable qu’il n’avait pas vue venir.
Il la regarda disparaître. Elle avait pris son envol, sans lui, sans un mot, comme un oiseau s’échappant dans l’immensité. Et il savait qu’il n’y aurait jamais de retour. Que ce soit pour eux, ou pour lui.
