chapitre 7
Chapitre 7
Il n’y avait pas de grand geste, pas de clameur, juste une vérité qui s’insinuait lentement dans son esprit. Tout ce qu’il avait imaginé jusqu’à maintenant était en train de s’effondrer. Et le pire, c’était que cette vérité ne venait pas de lui, mais de la bouche de ceux qui l’entouraient, des bribes qu’il attrapait sans vraiment vouloir les entendre. Il se rendait compte, maintenant, qu’il avait mal lu les signes, qu’il avait agi comme un spectateur, comme quelqu’un qui croit comprendre ce qu’il voit, mais qui ne voit rien du tout.
La première fois qu’il entendit parler des véritables raisons de son absence, ce fut au détour d’une conversation banale. Un vieux collègue, quelqu’un qu’il avait connu dans l’industrie, avait mentionné un événement du passé. « Tu savais pas, hein ? Ce qu’elle a traversé, pendant tout ce temps ? Personne n’a su. Pas même toi. » Khalil s’était arrêté, comme frappé par la clarté des mots, mais il avait fait semblant de ne pas entendre, de ne pas comprendre. Il n’avait pas voulu savoir, il n’avait pas voulu admettre que tout ce qu’il pensait savoir sur Nadia était aussi faux que ses propres regrets.
Mais le doute s’insinuait en lui, et plus il y pensait, plus il en souffrait. L’histoire qu’il croyait connaître se transformait en un immense vide, un espace où il n’avait rien vu, rien compris.
Un après-midi, après des jours de silence et d’introspection, il la croisa à nouveau. Il ne lui parla pas tout de suite. Il la suivit d’abord discrètement, observant ses gestes, sa façon de marcher, l’expression de son visage qui avait pris cette froideur, cette distance qu’il n’avait jamais remarquée auparavant. Puis, sans trop réfléchir, il se retrouva près d’elle, dans une ruelle. Il l’appela.
« Nadia. »
Elle s’arrêta. Son regard croisa le sien, une fraction de seconde, avant de se détourner. Elle n’avait pas besoin de dire un mot. Il savait déjà. « Tu… tu veux quoi ? » Elle n’avait pas élevé la voix, pas besoin. C’était cette froideur qui lui tordait le cœur.
« Je sais, Nadia. » Ses mots étaient lents, hésitants, comme s’il cherchait à lui offrir la vérité qu’il venait de découvrir, qu’il n’arrivait même pas à accepter. « Je sais que je t’ai laissée. Mais je n’ai pas compris… Je t’ai laissée seule. »
Elle le fixa un instant, sans rien dire. Puis, sans un regard de plus, elle répondit froidement : « Tu crois que ça change quelque chose ? »
« Oui, ça change tout. Ça change tout, parce que je… je suis là maintenant. Pour tout ça. Je veux tout comprendre, tout savoir. »
Elle ferma les yeux un instant, comme pour se préparer à quelque chose de difficile, puis elle se tourna vers lui. « Tu veux comprendre ? Alors tu vas m’écouter, Khalil. »
Et là, elle lui parla, sans retenue, sans fioritures. Elle lui parla de tout ce qu’il n’avait pas vu, de tout ce qu’il n’avait pas voulu voir. Comment son absence n’avait pas été un simple choix. Comment elle avait dû affronter des épreuves qui n’avaient rien à voir avec lui, avec ce qu’ils avaient été ensemble.
« J’ai dû tout gérer seule, » dit-elle, sa voix tremblante, mais ferme. « J’ai dû me battre seule, contre mes propres démons. Personne ne l’a vu. Pas même toi. Et je n’avais pas le droit de t’en parler. Parce que tu n’aurais pas compris. Parce que tu étais déjà trop occupé à… je sais pas, à chercher je-ne-sais-quoi ailleurs. »
Khalil ne savait pas quoi répondre. Il n’avait pas d’excuse. Il la regardait, et il se rendait compte que chaque mot qu’elle disait était un coup de marteau sur un vieux souvenir, une douleur ancienne.
« Tu croyais que j’étais juste là, à attendre, n’est-ce pas ? Attendre que tu redeviennes l’homme que j’avais connu, celui que je croyais comprendre. Mais tu étais absent bien avant de partir. » Ses yeux se firent plus sombres. « Tu ne savais même pas ce que je traversais. »
« Dis-moi. » Il s’approcha un peu, l’air désespéré. « Dis-moi ce que j’ai raté. Dis-moi ce que j’aurais dû voir. »
Elle prit une grande inspiration, ses yeux devenant plus perçants, presque douloureux. « Tu veux savoir ce que tu as raté, Khalil ? C’est que je ne t’ai jamais dit, mais je t’ai attendu. J’ai attendu que tu me vois, que tu me demandes ce qui n’allait pas. J’ai traversé une période où j’ai cru que j’étais capable de tout surmonter, mais la vérité, c’est que je me suis noyée dans mes propres peurs, mes angoisses. Et toi ? Tu t’es juste éloigné. Tu pensais que ça allait passer, que tout irait bien. Mais moi, je n’avais plus rien à te donner. Pas de forces, pas de sourires. Rien. »
Khalil se sentit démuni. Il avait cru qu’il n’avait pas d’autre choix que de partir, de la laisser respirer. Il avait cru qu’elle trouverait une force en elle-même, qu’elle s’en sortirait comme elle l’avait toujours fait. Mais ce qu’il ignorait, c’était qu’elle n’était pas forte tout le temps, qu’elle ne pouvait pas tout porter sur ses épaules.
Elle s’arrêta un instant, comme pour laisser ces mots s’installer dans l’air entre eux. Puis, d’une voix plus basse, plus intime, elle ajouta : « Je t’ai laissé partir. Parce que je savais qu’il n’y avait rien de plus à faire. Mais ça m’a détruite, Khalil. Ça m’a brisée. Et tu n’as même pas vu la cicatrice. »
Il ne comprenait pas. « La cicatrice ? »
Elle roula ses manches lentement, comme si elle s’apprêtait à lui dévoiler quelque chose qu’il n’aurait jamais pu deviner. Elle dévoila son bras gauche, la peau marquée par une fine ligne rouge, comme une cicatrice invisible, mais néanmoins présente. « Tu vois ça ? Ce n’est rien comparé à ce que j’ai vécu, mais c’est tout ce qui reste. C’est la trace de ce que j’ai dû supporter, tout en étant seule. Et tu sais ce qui est pire ? C’est que je n’ai jamais voulu te le montrer. Parce que je savais que tu t’éloignerais encore plus. »
Khalil resta sans voix. Il n’avait pas vu. Jamais. Comment avait-il pu être aussi aveugle ?
« Tu crois que tout est aussi simple que de dire ‘je suis désolé’ ? » Elle secoua la tête. « Non, Khalil. C’est trop tard. Il est trop tard pour réparer ce que tu n’as jamais vu. »
Elle tourna les talons, prête à s’éloigner. Khalil la fixa, son cœur serré dans sa poitrine. Il voulait crier, l’attraper, lui dire qu’il comprenait maintenant, que tout avait changé, que tout ce qu’il avait cru n’était qu’une illusion. Mais il n’avait plus les mots. La vérité était là, et il ne pouvait rien y faire. Elle l’avait laissée dans l’ombre de ses erreurs, et il n’y avait pas de lumière pour le guider.
