chapitre 3

Chapitre 3

Khalil regarda l’invitation une dernière fois avant de la poser sur la table. Une sorte de poids s’abattit sur lui, mais il ne savait pas quoi en faire. Il y avait son nom en bas, tout en bas, comme un piège. La simple vue de cette inscription lui fit l’effet d’une claque. Elle était là, quelque part, derrière ces quelques mots. La soirée se voulait être un retour en arrière. Le genre d’événement où tout est calculé pour faire revivre un passé qu’on aurait préféré oublier.

Il n’aurait jamais dû accepter. Il n’aurait jamais dû.

Mais il avait hésité. C’était plus fort que lui. Son esprit était partagé entre l’envie de la retrouver, de voir ce qu’elle était devenue, et la peur qu’elle soit devenue une autre, que tout ce qui les avait unis n’était plus qu’un mirage.

Il n’avait pas oublié. Il s’était promis de la retrouver, mais cette promesse avait un goût amer, maintenant. Elle n’était pas venue vers lui. Non. Elle s’était éloignée, jusqu’à devenir une silhouette floue qu’il ne parvenait plus à saisir. Qu’est-ce qu’il espérait vraiment en allant à cette soirée ? La revoir, un peu, juste pour un instant, peut-être pour se convaincre que tout cela avait bien existé. Mais était-ce vraiment ce qu’il voulait ? La retrouver, pour quoi faire ? Pour quémander son pardon ? Pour que tout reparte comme avant ? Pour qu’elle lui parle ?

Il se tourna vers la fenêtre. Le vent soufflait contre les vitres, comme une manifestation du malaise qui le rongeait. Il n’y avait aucune raison de la chercher. Aucune. Mais au fond, il savait que cette invitation n’était pas une simple formalité. C’était une occasion. Une occasion qu’il ne pourrait pas laisser passer, même s’il le voulait.

Il la reverrait, cette femme qu’il avait perdue.

Cette nuit-là, il dormit peu. Les heures se traînaient comme un poison dans ses veines. Le sommeil, quand il vint, n’eût rien de réparateur. Il tomba dans un rêve, comme une chute sans fin. Et là, dans ce rêve, elle était là. Elle était devant lui, comme si elle n’était jamais partie. Mais quelque chose était différent. Elle n’était pas la même. Son regard, d’abord, avait changé. Il n’y avait plus cette tendresse, ce rayon de lumière qu’elle lui avait donné. Elle était distante. Comme si elle était une étrangère.

Elle le regardait sans rien dire. C’était comme si elle l’étudiait, comme si elle le jugeait. Et il se sentait comme un criminel, pris dans les rets de son regard. Mais il n’avait rien fait de mal, il savait cela. Il avait aimé. Il l’avait aimée avec tout ce qu’il avait, avec tout ce qu’il pouvait. Il lui avait donné ce qu’il était. Mais dans ce rêve, elle ne répondait pas. Elle le regardait, mais il n’y avait plus d’amour dans ses yeux, plus de reconnaissance. Elle était froide, glaciale, comme une silhouette dérivant dans un monde qu’il ne comprenait plus.

Il s’était approché d’elle, hésitant. Elle ne bougeait pas. Il avait voulu lui parler, lui dire quelque chose, mais aucun mot ne sortait. Il se sentait oppressé, écrasé sous le poids de ce silence, sous le poids de cette distance. Elle s’était retournée sans rien dire, l’ignorant, comme s’il n’existait pas. Et il était resté là, à la regarder s’éloigner, à la voir partir sans un mot, sans un regard.

Lorsqu’il s’était réveillé, l’angoisse l’avait envahi. Il n’avait jamais eu ce genre de rêve. Ce n’était pas une simple projection de ses désirs, c’était une réalité qui le frappait au visage. Une vérité qui se dérobait sous ses yeux. La peur de la voir le fuir, de découvrir qu’elle était devenue cette personne qu’il n’avait jamais connue. Une femme qu’il ne reconnaissait plus, qu’il n’avait plus aucun moyen de comprendre.

Il se leva précipitamment et se rendit à l’événement, le cœur battant à tout rompre. Il n’était pas prêt. Il n’était jamais prêt. Mais il était là, et il n’avait plus le choix.

Dans la grande salle, la musique résonnait, bruyante, mais il ne l’entendait pas. Tout semblait flou autour de lui, comme une ombre. Il avait du mal à respirer, à faire un pas. Tout semblait trop grand, trop artificiel. Il chercha parmi la foule. Il savait qu’elle était là. Il la sentait. Il la voyait, ou du moins, il pensait la voir. Il espérait la voir, quelque part, au fond de cette masse, dans un recoin où elle se cacherait pour lui. Il se força à avancer. Le regard rivé sur l’entrée, sur cette silhouette familière qui, il le savait, n’allait jamais se présenter comme il l’avait imaginé.

Et puis il l’avait aperçue.

Elle était là. Mais elle n’était pas la même. Elle était belle, oui, sans doute. Toujours aussi belle. Mais il y avait quelque chose dans sa posture, dans la manière dont elle se tenait, qui le fit douter. Elle n’était plus celle qu’il avait connue. Elle était plus distante, plus froide. Il y avait une tension dans l’air, comme une barrière invisible entre eux. Elle semblait plus sûre d’elle, plus forte, comme si elle avait appris à vivre sans lui. Et ce qui le frappait, c’était l’indifférence dans son regard. Il n’y avait plus de trace de ce qu’ils avaient été, plus de souvenir de ces moments où ils s’étaient aimés, où tout semblait possible.

Khalil hésita un instant. Il aurait voulu l’approcher, mais quelque chose dans son attitude le fit hésiter. Elle ne le regardait même pas. Elle parlait à d’autres invités, glissant dans la foule, se mouvant comme si elle ne le voyait même pas. Il fit un pas vers elle, mais elle détourna le regard, comme si elle l’avait reconnu. Mais rien. Pas un mot, pas un sourire. Elle semblait complètement ailleurs, occupée à être cette personne qu’il ne reconnaissait pas.

Il avait pris une inspiration, mais la voix qu’il croyait pouvoir lui adresser était restée coincée dans sa gorge. Et tout s’était arrêté là, net, sans retour en arrière possible. Elle l’avait vu, oui, mais elle n’avait pas réagi. Elle ne réagissait pas. Elle le fuyait, d’une manière presque imperceptible, mais palpable. Et dans ce regard fuyant, dans cette distance qui les séparait, il avait compris. Elle n’était plus là pour lui. Elle n’était plus la femme qu’il avait aimée. Elle était une inconnue.