Chapitre 5 — L’empreinte et la distance
Quand Élisa ouvrit les yeux, le lit était vide.
Encore une fois.
Les draps étaient froids. Aucune trace de lui. Aucune note. Aucune explication.
Seule l’odeur de son corps planait encore dans l’air.
Elle resta là, quelques secondes, figée, le regard perdu au plafond de bois, le souffle régulier du ventilateur rythmant le tumulte de ses pensées.
Il l’avait possédée. Sans tendresse, mais avec une précision cruelle. Et elle s’était offerte. Sans peur. Sans défense. Elle n’était pas tombée amoureuse.
Elle était tombée dedans.
Dans lui. Dans son regard. Dans ce silence brûlant qu’il portait comme une armure.
Elle se leva, s’enveloppa dans un pagne, et sortit sur la terrasse. L’île était baignée de lumière. Une brume légère flottait au-dessus des arbres, comme un rêve en suspension. Et pourtant, rien n’était paisible en elle.
Elle descendit à l’atelier, ouvrit son ordinateur et transféra les dernières photos de Kaylan. Nu, vulnérable, mais toujours maître de lui. Chaque image captait une part de ce qu’il cachait : le contrôle, la souffrance, le désir de tout brûler.
Elle zooma sur un détail.
Son cou.
Une cicatrice fine, longue, presque invisible à l’œil nu. Elle l’avait sentie sous ses doigts, cette nuit, mais n’y avait pas prêté attention.
Elle ouvrit son navigateur, tapant des mots-clés simples. Kaylan Ramesh. Accident. Mort de la femme. Enquête.
Les résultats étaient maigres, comme la première fois. Mais un article surgit, presque enfoui dans un blog juridique.
> "L’affaire Ramesh : la justice classée sans suite après la noyade inexpliquée de la jeune épouse de l’héritier indo-britannique, retrouvée dans les eaux de leur île privée. Rumeurs de dispute. Aucune preuve. La presse n’a pas eu accès à l’autopsie. Kaylan R., hospitalisé pour une blessure au cou, n’a jamais témoigné publiquement."
Son cœur se serra.
La blessure.
Le silence.
La distance.
Tout prenait une autre couleur.
Elle referma l’ordinateur, la gorge sèche.
Il avait fui ce monde pour ne plus jamais répondre. Mais il portait ce secret en lui. Chaque nuit. Chaque regard.
Et pourtant… il l’avait laissée entrer.
Elle ne savait pas si c’était une invitation ou un piège.
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En fin d’après-midi, elle le croisa dans la cour intérieure, nu-pieds, une chemise entrouverte, le regard fermé.
— Tu t’es enfui encore, dit-elle sans détour.
Il ne répondit pas. Il s’arrêta à quelques mètres, les mains dans les poches.
— Pourquoi tu ne me regardes pas après ? demanda-t-elle.
— Parce que je ne veux pas m’y perdre, murmura-t-il.
— Dans moi ?
— Dans ce que tu fais ressortir.
Un silence.
Puis il ajouta, sans la regarder :
— Je t’ai dit que tu m’appartenais cette nuit. Je n’ai pas dit que tu restais.
— Tu me repousses, mais tu me veux. Tu veux me marquer, mais pas me garder. Tu joues à quoi, Kaylan ?
Il s’approcha lentement.
— À rester vivant.
Elle secoua la tête, amère.
— Tu crois que te briser contre moi te sauvera ? Tu crois que ton silence me fera fuir ?
Elle le poussa du plat de la main contre la poitrine. Il recula d’un pas.
— Tu ne m’effraies pas, Kaylan. Tu me fascines, tu me rends folle, mais tu ne m’effraies pas. Ce que tu caches, je finirai par le voir. Et là, ce sera à toi de décider si tu veux que je reste.
Il la fixa. Longuement.
Puis il recula encore.
— Tu devrais partir demain.
Et il tourna les talons.
Elle ne le suivit pas.
Mais elle ne partirait pas non plus.
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Ce soir-là, elle dormit seule. Mais pas en paix.
Elle rêva de l’eau. D’une femme qui pleurait. D’un cri noyé. Et de mains qui se serraient autour d’une gorge.
Elle se réveilla en sursaut.
Son corps tremblait. Son ventre aussi. De désir. D’angoisse.
Et au fond d’elle, une certitude grandissait.
Cette île n’était pas seulement un décor pour l’érotisme et le fantasme.
C’était un théâtre de vérités interdites.
Et elle était au centre de la scène.
