L’Ingénieur des Miracles
Le soleil frappait durement les toits brûlants de la ville impériale. L’été, dans le Sud, était sec, écrasant, et cruel. Pourtant, c’était aussi en cette saison que les routes étaient les plus praticables, et les marchés les plus actifs. Luissa Monro, désormais dissimulée derrière le pseudonyme du Marchand de Sable, n’avait plus de temps à perdre. L’archiduc était au front, et chaque jour qui passait sans ravitaillement était un risque de plus pour sa vie… pour leur avenir.
Mais avant d’envoyer la moindre cargaison, elle avait besoin d’un homme. Pas n’importe lequel : Guy Martin, l’ingénieur magique.
Dans le roman, Guy Martin était un personnage secondaire adulé par les lecteurs — un génie asocial, perdu dans ses recherches, qui faisait tourner à lui seul des infrastructures entières grâce à ses inventions basées sur la fusion des arcanes et de la technologie. C’était lui qui, bien plus tard dans l’histoire, aurait dû créer les portails de guerre et les armes énergétiques pour le Nord. Mais cette fois-ci, Luissa avait l’intention de l’enrôler en avance.
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« Tu es certaine qu’il vit toujours dans la région de Volkaris ? » demanda Léa, tenant à la main une carte poussiéreuse.
« C’est ce que dit le roman. Il vit en reclus dans une tour, près des falaises de Teral. Il déteste les nobles, les mages, les religieux, les aristocrates, les marchands… et les gens en général. »
Francis haussa les épaules. « Parfait, ça veut dire qu’il va t’adorer. »
Luissa sourit. Elle n'avait pas l’intention de le convaincre par des flatteries. Elle allait lui offrir ce qu’aucun autre ne lui avait jamais proposé : la liberté de créer sans contraintes, et des ressources illimitées.
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Il fallut trois jours à leur petit groupe pour localiser le laboratoire de Guy Martin, caché derrière une cascade enchantée. Les protections magiques étaient complexes, mais Luissa avait déjà préparé un cristal résonant – une création de sa propre conception – qui perturba temporairement les glyphes de défense.
À l’intérieur, l’atelier sentait l’ozone et le métal fondu. Des sphères d’énergie lévitaient au-dessus de tables pleines de plans, d’outils étranges et de prototypes instables. Guy Martin était là, debout, les cheveux en bataille, les yeux injectés de sang, en train de discuter... avec un golem de bois.
« Tu ne vois pas ? Le cuivre n’est pas conducteur de mana noire, imbécile ! »
Le golem répondit par un gargouillis d’essence magique.
« …Bonjour ? » dit Luissa, en s’approchant.
Guy se retourna brusquement, l’iris dilaté. « Qui êtes-vous ? Dégagez de chez moi avant que je vous transforme en grenouille arcane ! »
« Le Marchand de Sable a une offre pour vous. » répondit Luissa, en déposant lentement un cristal doré sur la table.
Il s’arrêta. La pièce entière sembla vibrer.
Guy cligna des yeux. « Cette pierre… c’est de la sélénite stabilisée. Personne ne fabrique ça ici. Même moi, je n’ai pas trouvé la structure de polarité parfaite. »
« Je l’ai fait. J’ai besoin de vous. Et vous avez besoin de moi. »
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Le lendemain, Guy Martin rejoignait officiellement les rangs du Marchand de Sable. Il n’accepta ni or, ni titre, ni terres. Seulement l’autorisation de tout concevoir à sa manière, sans restriction. Son génie allait désormais servir les ambitions de Luissa.
Pendant ce temps, Léa et Francis avaient terminé la transformation de l’entrepôt trouvé plus tôt. Situé entre deux canaux, le bâtiment possédait des arches en pierre enchantée, des fondations renforcées à la magie de terre, et un accès direct au cercle de téléportation régional.
« Cet endroit est parfait. » nota Francis dans son rapport. « On pourrait déplacer une armée entière sans que personne ne remarque les cargaisons. »
Léa ajouta en marge : « Ce lieu dégage une aura de puissance. Les ouvriers disent qu’ils dorment mieux depuis qu’ils y travaillent. Comme si le bâtiment lui-même nous souhaitait bonne chance. »
Luissa sourit en lisant leurs mots. L’endroit était idéal. Le premier bastion du Marchand de Sable était né.
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Les jours suivants furent consacrés à organiser le premier grand convoi à destination du front. Guy Martin conçut des sceaux de conservation pour les vivres, des conteneurs isolés pour les pierres de soin, et même un système de signal magique à retardement pour informer l’archiduc de l’origine du chargement.
La cargaison fut prête en cinq jours. Nourriture, couvertures, outils, cristaux énergétiques, potions de soin… et deux pierres de grande qualité, gravées de glyphes protection. Une pour le cœur, une pour l’esprit. Elles étaient destinées à l’archiduc.
Luissa glissa un parchemin dans la boîte renforcée :
“Reviens vivant. Ne me fais pas trop attendre.”
La nuit tombée, le cercle de téléportation du duché s’illumina dans une explosion de lumière. En quelques secondes, tout fut envoyé à la base du front. Anonyme. Efficace. Parfait.
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Mais alors que le Marchand de Sable grandissait dans l’ombre, la lumière du Sud semblait, elle, décliner. Contrairement à ce que prétendaient les récits, le Sud n’était pas un paradis de richesse et de fertilité.
La moitié des terres étaient maudites.
La Grande Cacaoyère, censée être le cœur économique du Sud, était frappée d’un mal mystérieux depuis des décennies. Les arbres mourraient sans raison, la terre refusait de porter ses fruits. Plus au nord, le désert s’étendait chaque année, engloutissant villages et routes.
On disait que cela était dû à une malédiction ancienne, liée à une chose enfouie sous la terre… la Tombe du Dragon.
Mais ce n’était pas encore le moment d’y penser. Luissa le savait. Bientôt, elle devrait faire face à ces ombres du passé. Mais pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, elle bâtissait son empire.
