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Chapitre 5

* L’odeur de la lessive*

‎Le reste de la journée passa dans une lenteur pesante. Adam ne parvenait pas à se concentrer sur ses dossiers. Chaque page qu’il tournait lui semblait dénuée de sens. Il avait bâti sa carrière sur sa capacité à se couper de toute émotion. Et voilà qu’un simple regard avait fissuré cette façade.

‎En fin d’après-midi, il appela Raphaël, plus par habitude que par besoin réel.

‎— Tu as l’air à côté de toi, constata son ami dès qu’il entra.

‎Adam soupira, passa une main dans ses cheveux.

‎— Je ne dors plus. Je ne bois plus non plus. Et je ne sais pas si c’est un progrès.

‎Raphaël s’assit dans le fauteuil face à lui.

‎— Tu veux en parler ?

‎Adam hésita. Il n’était pas homme à se confier. Mais il se surprit à dire :

‎— Il y a cette femme.

‎Raphaël haussa un sourcil.

‎— Cassandra ?

‎— Non. Pas elle. Une autre.

‎Un silence s’installa. Raphaël sembla peser ses mots avant de murmurer :

‎— Et tu crois que c’est une bonne idée ?

‎Adam se redressa, soudain agacé.

‎— Je n’ai pas dit que j’allais faire quoi que ce soit. Je dis juste… Elle est différente.

‎Raphaël soupira.

‎— Si elle est différente, tu devrais faire attention. Ces différences-là, on s’y accroche comme à une bouée. Et un jour, on coule avec.

‎Adam se tut. Il savait qu’il avait raison. Mais il savait aussi qu’il n’avait plus envie d’être cet homme figé. Il ne savait pas ce qu’il voulait au juste. Mais il sentait qu’il ne voulait plus de cette solitude.

‎Quand Raphaël repartit, le bureau retrouva son silence coutumier. Adam s’adossa à son fauteuil. Il ferma les yeux. Pendant quelques secondes, il crut sentir encore la main de Maéva effleurant la sienne.

‎Ce n’était pas l’alcool qui le hantait, cette fois. C’était l’odeur de la lessive sur sa blouse, cette trace presque domestique qu’elle emportait partout.

‎‎Maéva, de son côté, avait trouvé refuge dans l’angle discret du local d’entretien. Elle y rangeait le matériel en fin de journée, essayant d’oublier les regards qu’elle sentait peser sur elle.

‎Elle se pencha pour refermer un carton, mais un bruit la fit sursauter. Elle se retourna et tomba nez à nez avec Cassandra.

‎La directrice adjointe l’observait avec une froideur qu’elle n’avait jamais vue chez personne.

‎— Vous croyez que je ne vois pas votre petit manège ?

‎Maéva recula d’un pas.

‎— Je… je ne comprends pas.

‎— Bien sûr que si. Vous n’êtes pas idiote. Vous savez parfaitement ce que vous faites. Vous entrez ici, vous le regardez avec vos airs de victime. Vous espérez quoi ? Qu’il vous entretienne ?

‎Les mots la frappèrent comme des gifles. Maéva serra les poings.

‎— Je fais mon travail. Rien de plus.

‎— Votre travail ? répéta Cassandra en ricanant. Votre travail, c’est de nettoyer. Pas de vous faire remarquer. Et encore moins de le toucher.

‎Maéva sentit ses joues brûler. Elle aurait voulu répondre, mais sa gorge se serra.

‎— Vous n’êtes rien, reprit Cassandra d’un ton plus bas. Rien qu’une employée remplaçable. Ne l’oubliez pas.

‎Elle tourna les talons et disparut dans le couloir. Maéva resta immobile, les yeux brillants. Elle inspira profondément. Elle ne pleurerait pas ici. Pas devant ces murs.

‎Elle se força à reprendre son travail. Elle avait besoin de ce poste. Pour payer le loyer. Pour offrir à Louis autre chose qu’un avenir de misère. Elle n’avait pas le droit de se laisser atteindre.

‎Mais dans le silence du couloir, les mots de Cassandra continuaient de résonner.

‎‎Le soir, elle rentra plus tard que d’habitude. Louis dormait déjà. Elle se changea dans la salle de bains, passa un gant humide sur son visage pour effacer toute trace de larmes. Puis elle se glissa près de son fils et ferma les yeux.

‎Elle se jura que demain, elle éviterait Adam. Elle ferait en sorte de ne plus croiser son regard. De redevenir invisible.

‎Adam, lui, ne trouvait pas le sommeil. Il errait dans son appartement, immense et vide. Chaque pièce lui rappelait qu’il avait tout, sauf l’essentiel.

‎Il finit par s’asseoir dans l’obscurité du salon. Il pensa à Cassandra. Elle représentait la voie facile : un arrangement acceptable, sans passion. Mais rien, chez elle, ne réveillait ce qu’il sentait bouger en lui depuis qu’il avait croisé Maéva.

‎Il ne savait pas ce qu’il voulait de cette femme. Il savait seulement qu’elle était la première présence à troubler son indifférence depuis des années.

‎Et il se demanda s’il devait la repousser, pour la protéger de lui.

‎Ou s’il était déjà trop tard pour reculer.

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