chapitre 3
Chapitre 3
Elle n’avait pas voulu y croire au début. Ce test, posé là, sur la petite table de la salle de bain, semblait un piège. Pourtant, le résultat ne laissait aucune place à l’ambiguïté. Elle était enceinte. Les premières secondes furent comme une déconnexion. Son cœur, d’abord paralysé, commença à battre plus fort. Le silence autour d’elle semblait un murmure. Elle posa le test avec précaution sur le comptoir, les yeux rivés sur les deux lignes rouges qui apparaissaient comme une sentence. C’était comme si le monde autour d’elle était devenu flou, sans forme, sans relief. Ce n’était pas réel. Ce n’était pas possible.
Elle savait. Elle savait que cette grossesse changerait tout. Mais la question qui la hantait était une autre : qu’est-ce qu’elle allait faire de cette nouvelle réalité ?
Le regard qu’elle porta sur son reflet dans le miroir, déjà fatigué par la tension accumulée, ne lui apporta aucune réponse. Elle s’était jurée, pourtant, que rien ne pourrait la lier à cet homme. Que ce mariage, ce fardeau, cette prison, seraient les derniers obstacles à franchir avant de reprendre sa liberté. Mais ce petit être, qu’elle portait en elle sans le vouloir, le changeait tout. L’abandonner serait la fin. La faire naître serait la même chose. Elle avait l’impression de se retrouver coincée entre deux mondes, sans possibilité de retour.
Elle attendait une réaction de son propre corps, comme si ce dernier pourrait la guider. Mais rien. Pas de lumière. Pas de réponse.
Quand elle en parla à Ethan, il ne comprit pas. Il pensait que c’était juste une autre excuse, un autre mensonge pour lui faire encore plus mal. Mais le temps était passé. Le divorce avait été prononcé, et les mois avaient tracé leur sillon dans leur quotidien dévasté. Olivia n’avait plus de place pour lui, ni pour ce qu’elle appelait un fardeau. Quand il la regardait, elle savait que son visage ne le touchait plus, que ses gestes ne voulaient plus rien dire. Mais elle l’avait laissé, une dernière fois. Il s’était accroché à elle, désespéré de la voir partir, la suppliant de ne pas rompre ce qui n’avait jamais existé.
Les bribes de ses derniers mots tournoyaient dans sa tête. Il lui avait dit que c’était sa faute, qu’il n’avait jamais été à la hauteur, qu’il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas lui offrir le bonheur. Il n’avait pas vu. Il n’avait jamais vu qu’elle était déjà partie depuis longtemps. Et tout ça n’avait été qu’un jeu pour eux deux, un petit truc pour faire semblant, juste pour être dans les clous. Mais elle ne pouvait plus jouer ce rôle. Pas avec lui, pas avec elle-même.
Elle ne lui avait pas dit. Elle ne pouvait pas lui dire. Ce serait comme l’achever. Comme si l’enfant venait compliquer les choses encore plus. Il n’avait plus de place dans sa vie. Pas comme ça. Et surtout pas dans la vie qu’elle avait l’intention de commencer loin de lui.
Elle s’était éloignée, distillant des mots comme des armes pour éloigner ses mains de son corps, pour briser les derniers liens qui les reliaient. Un mensonge de plus, une promesse qu’elle savait qu’elle ne tiendrait pas : elle partait, seule. Mais elle ne pouvait plus l’emmener avec elle, il ne comprendrait pas, jamais. La simple pensée de lui dire la vérité, que cet enfant qui grandissait en elle n’était pas une erreur, la déstabilisa. Elle savait qu’il serait dévasté, qu’il la suppliera de rester. Il n’avait pas changé. Mais elle non plus. Elle n’avait pas changé.
Elle s’était retrouvée à faire un choix. L’enfant, ou lui. Les deux étaient incompatibles. L’un des deux serait une entrave. C’était une certitude. L’enfant avait une place à part dans son esprit, mais pas dans la vie qu’elle s’était construite, pas dans le futur qu’elle s’imaginait.
Elle quitta la maison, une nouvelle fois, mais cette fois, elle emportait bien plus que des vêtements et des souvenirs. Elle emportait ce secret. Le poids de cette grossesse qui, d’un seul coup, lui semblait presque plus lourd que tout le reste.
Elle n’eut aucun mal à quitter la ville. C’était facile. Un vol, une nouvelle identité, un autre endroit. Rien à revoir, rien à regretter. Elle s’enfonça dans une nouvelle vie, une vie sans lui, une vie sans eux, une vie de silence et de solitude. C’était ainsi que ça devait être. C’était la seule manière d’aller de l’avant.
Dans un sens, c’était presque libérateur, cette fuite. Aucun regard, aucune question, personne pour l’interroger sur ses choix. Elle se laissa aller, prête à être seule, à devenir une autre. Et l’enfant grandissait en elle, sans qu’elle puisse s’y opposer. Elle n’avait pas de nom pour lui, pas encore. Elle n’avait pas de place pour les rêves qu’il pourrait avoir. Mais elle ferait de son mieux. Parce qu’elle savait que c’était tout ce qu’elle pouvait offrir.
Elle s’interrogea, plusieurs fois, si ce qu’elle faisait était juste. Si ce silence, cette fuite, était la meilleure solution pour tout le monde. Mais plus elle y pensait, plus la réponse devenait claire. Cela n’avait jamais été pour lui. Cela n’avait jamais été pour eux. Elle n’avait jamais cherché à se convaincre. Et il n’avait jamais compris.
Il n’avait pas vu que son départ, son éloignement, était inévitable. Il avait été trop absorbé par son propre malheur pour voir qu’elle se noyait dans la même souffrance. Mais elle avait fait un choix, et elle vivait avec. Il n’y avait plus rien à dire, plus rien à réparer.
L’histoire était finie. Et elle n’avait plus de place pour les regrets.
