chapitre 4
Chapitre 4
Le vent soufflait à travers la fenêtre ouverte, une légère brise qui faisait vaciller les papiers éparpillés sur son bureau. Ethan ne pensait à rien de précis, juste à ce silence presque assourdissant qui occupait tout son esprit. La journée semblait s’être figée autour de lui, chaque seconde lourde de l’incompréhension qu’il portait comme une lourde robe. Il n’avait pas eu de nouvelles d’Olivia depuis trois ans. Trois années à tourner autour de son propre vide, à errer dans un monde où son absence n’avait laissé que des ruines.
Ce matin-là, comme tous les autres, il avait essayé de se concentrer. Le travail. Le seul vrai remède, pensait-il. Alors qu’il parcourait les informations sur son écran, quelque chose attira son attention. Une affiche publicitaire. Une simple image en couleur, mais qui, en une fraction de seconde, fit se stopper son cœur. Il n’avait pas eu besoin de lire le nom pour savoir. Il n’avait pas besoin de plus de détails. C’était elle. Olivia. La silhouette qui semblait tout effacer autour d’elle. Il ne la reconnaissait pas tout de suite. Trop différente, trop imposante, trop… forte. Elle n’était plus la femme qu’il avait connue. Elle semblait avoir changé, comme si le temps l’avait façonnée, l’avait modelée en quelque chose d’encore plus dur, de plus sauvage.
Il resta là, les yeux rivés sur ’image, le cœur battant plus fort. Ses doigts se crispèrent autour de la souris. L’affiche annonçait une conférence. Une grande conférence. C’était elle qui allait prendre la parole, c’était elle qui allait illuminer cette salle avec son charisme, sa puissance. Il n’aurait jamais imaginé cela. Cette femme qui, un jour, était partie sans un mot. Qui, un jour, l’avait quitté avec une froideur glaciale. Maintenant, elle n’était plus une ombre du passé, elle était un éclat, une force. Il avait l’impression de la revoir, de la retrouver, mais sous un autre jour. Et ça, ça le perturbait. Plus qu’il ne l’aurait cru.
Le choc de la reconnaissance, de la surprise, le fit se lever d’un bond. La pièce semblait se rétrécir autour de lui. Il ressentait une étrange pression, comme un poids qui pesait sur ses épaules. Trois ans. Trois ans sans un mot, sans un regard. Et voilà qu’elle revenait. Pas pour lui. Pas pour réparer quoi que ce soit. Non. Elle revenait en femme, en lionne, prête à rugir devant un public. Il aurait voulu la haïr pour ça. Mais il n’y arrivait pas. L’envie, la colère, l’orgueil, tout se mélangait en lui, le noyait.
Il se redressa brusquement, quittant son bureau sans même se soucier de l’ordinateur éteint qui restait dans la pièce, sans se demander si tout cela avait un sens. Il n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire. Juste cette impulsion, ce besoin de la voir, de la confronter à ce qu’il était devenu après tout ce temps. Après avoir eu l’impression de s’être perdu. Après avoir cru qu’il avait tout oublié. Mais il n’avait pas oublié. Il n’avait jamais oublié.
Il s’éclipsa sans prévenir, sans trop réfléchir. Arrivé à l’hôtel où la conférence devait se tenir, son corps était pris dans une frénésie qu’il ne comprenait même pas. Il la cherchait dans chaque mouvement, dans chaque geste des gens qui entraient et sortaient, dans le bruit sourd des conversations qui emplissaient l’air. Il la voulait là, dans cette foule, mais aussi, quelque part, loin d’elle. L’angoisse de ne pas savoir comment la revoir le paralysait. Il ne voulait pas la voir comme ça, dans ce rôle de grande dame, cette figure inaccessible. Il voulait la retrouver en elle, dans ce moment de vulnérabilité qu’ils avaient partagé. Mais ce moment-là n’existait plus. Elle avait changé. Et lui aussi. Il le sentait, au plus profond de lui.
Lorsqu’il entra dans la grande salle, tout semblait plus grand, plus imposant. Et puis, là, au fond, derrière un rideau, la silhouette qu’il reconnaîtrait entre mille. Olivia. Cette silhouette inconfondable. Mais ce n’était plus la même femme. Elle était là, vêtue d’un tailleur noir qui la mettait en valeur, d’une élégance froide, distante. Elle n’avait plus rien de fragile, plus rien de ce qu’elle était lorsqu’elle l’avait quitté. Ses yeux étaient différents aussi. Pas la même douceur, pas la même naïveté. Non. Elle ne lui appartenait plus. Elle ne serait jamais plus la femme fragile qu’il avait cru comprendre.
Il s’approcha d’un pas lent, presque comme une ombre, alors qu’elle attendait en coulisses, se préparant à entrer en scène. Il se figea quand il la vit faire son entrée sur la scène, le visage impassible, les yeux fixés sur l’audience. Il s’arrêta net. Et là, pour la première fois en trois ans, il sentit un vide grandir dans sa poitrine, un vide qu’il avait soigneusement ignoré jusque-là. La douleur du passé était revenue, plus vive que jamais.
Elle s’arrêta un instant. Juste un instant. Le regard de leurs yeux se croisa brièvement. Elle sembla le reconnaître, mais il n’y avait plus de trace de ce qu’ils avaient partagé. Il ne savait pas ce qui l’avait traversée, mais ce n’était pas de la surprise. Ce n’était pas de la colère. Ce n’était rien. Juste un instant de reconnaissance, et puis plus rien. Il comprit. Elle était plus loin, tellement plus loin. Trop loin pour lui. Le fossé était profond.
Elle prit la parole. Sa voix résonnait maintenant avec une autorité qu’il n’avait jamais vue, un pouvoir, une assurance qu’il ne pouvait ignorer. Chaque mot qu’elle prononçait semblait frapper l’air avec une intensité inouïe. Et lui, là, dans l’ombre, il se sentait minuscule. Il n’avait plus sa place dans son monde. Il n’était plus rien. Pas même une pensée. Juste une ombre dans sa mémoire.
Et pendant qu’Olivia faisait son discours, mettant en avant sa vision, son avenir, ses conquêtes, il sentit un vertige l’envahir. C’était comme si le temps s’était inversé. Elle, si lointaine, si forte, et lui, toujours dans ce passé qu’il n’arrivait pas à effacer. Un retour fracassant. Elle avait tout. Lui, rien. Et il était là, juste là, à la regarder, à la voir briller, à voir ce qu’elle était devenue. Et il se rendait compte, trop tard, qu’il n’avait jamais su ce qu’il avait perdu.
