#Chapitre 3
#Chapitre 3
La coupure de journal tremblait entre mes doigts. Les lettres semblaient bouger, danser sur le papier, comme si elles voulaient m’aspirer dans ce passé que j’avais enterré. Dix ans… Dix ans à faire semblant que rien n’était arrivé. Mais la vérité revenait, s’infiltrant dans les fissures de ma vie comme l’eau dans un mur fragile.
Je posai le carnet sur la table et allai vers la fenêtre. La rue était calme, trop calme. Pas un bruit, pas un mouvement. Pourtant, une sensation persistante me disait que quelqu’un, quelque part, m’observait.
Mon téléphone vibra. Un message inconnu : Belle coupe de cheveux, Anick.
Je sentis un frisson me parcourir l’échine. J’avais changé de coiffure la semaine dernière. Seule Élise était venue chez moi depuis. Alors qui pouvait écrire ça ?
Je tapai une réponse : Qui êtes-vous ?
Pas de réponse. L’écran resta noir, impassible, comme si rien ne s’était passé.
Je fis quelques pas dans le salon, incapable de rester immobile. Chaque objet, chaque meuble me semblait soudain étranger, comme si ma propre maison m’avait trahie. Je pris une inspiration, tentant de calmer le désordre dans ma tête. Puis je décidai d’appeler Vincent.
Il décrocha après deux sonneries.
— Tu m’espionnes ? lançai-je sans préambule.
— Anick… tu sais très bien que si c’était moi, je ne me cacherais pas.
— Alors qui ? Qui joue à ça ?
— C’est justement ce que j’essaie de découvrir. Mais pour ça, tu vas devoir m’écouter.
Je me crispai. Sa voix avait cette même assurance que le soir du drame. Calme. Dangereuse.
— Je n’ai pas envie de t’écouter, Vincent. Pas après ce que tu as fait.
— Ce que nous avons fait, rectifia-t-il.
Ces mots m’écorchèrent. Il voulait toujours m’inclure dans son crime, comme si mon silence avait signé un pacte éternel.
— Tu veux quoi, exactement ?
— Te voir. Ce soir. Même endroit qu’avant.
— Et si je refuse ?
— Alors il y aura d’autres photos. Et crois-moi, certaines ne te plairont pas.
Il raccrocha.
Je restai figée, le téléphone collé à mon oreille, comme si j’espérais que la ligne se rouvre et qu’il me dise que tout ça n’était qu’un jeu malsain. Mais ce n’était pas un jeu. Pas cette fois.
Je pris ma veste et sortis. L’air froid me gifla. J’avançai dans les rues pavées, essayant de mettre de l’ordre dans mes pensées. Le ciel était bas, gris, presque oppressant. Chaque pas résonnait comme un avertissement.
Arrivée sur la place centrale, je repérai Vincent. Il était adossé au mur d’un vieux bâtiment, les mains dans les poches, une cigarette pendue aux lèvres. Son regard se posa sur moi, et je revis en un instant ce soir où ses yeux étaient vides.
— Tu es venue, dit-il.
— Ne t’habitue pas.
Il eut un léger sourire, comme si ma colère l’amusait.
— Alors… qui est derrière ça ? demandai-je.
— Tu crois vraiment que je vais te le dire tout de suite ?
— J’ai autre chose à faire que jouer à tes devinettes, Vincent.
— Peut-être, mais crois-moi, tu veux savoir. Parce que cette personne… elle sait plus que moi.
Je sentis mon estomac se nouer.
— Plus que toi ? Comment c’est possible ?
Il écrasa sa cigarette, se pencha vers moi.
— Parce qu’elle était là, cette nuit-là.
Je reculai, choquée.
— C’est impossible. Il n’y avait que nous deux.
— C’est ce que tu crois.
Je voulus répondre, mais un bruit derrière moi me fit sursauter. Une silhouette venait de passer rapidement au coin de la rue. Grand manteau, capuche. Comme celle de la photo.
— C’est lui ! criai-je.
Je me mis à courir. Mes talons claquaient sur les pavés. La silhouette accéléra, tourna dans une petite ruelle. Je le suivis, mon souffle court, mon cœur battant à tout rompre. Mais quand j’arrivai à l’angle, la ruelle était vide.
Je m’arrêtai, haletante, les mains sur les genoux. Une odeur d’humidité et de vieille pierre me prit à la gorge. Je me retournai : Vincent m’avait suivie.
— Tu ne devrais pas faire ça, dit-il calmement.
— Faire quoi ? Tenter de savoir qui me menace ?
— Te mettre dans une position où tu pourrais finir comme lui.
Ses mots me glacèrent. Il parlait de la victime.
— Tu sais qui c’est, pas vrai ? soufflai-je.
Il détourna les yeux, comme s’il venait de dire trop.
— Rentre chez toi, Anick.
Il tourna les talons et disparut dans l’ombre. Je restai là, seule, les mains encore tremblantes. Tout mon corps criait de fuir, mais ma tête refusait. Je devais comprendre. Pas pour lui. Pour moi.
De retour chez moi, je verrouillai la porte et allumai toutes les lumières. L’appartement semblait trop grand, trop vide. Sur la table, la photo était toujours là. Je la pris, l’observai à nouveau. La silhouette… elle n’était pas si inconnue. Un détail me frappa : la façon dont il tenait sa main droite, légèrement repliée, comme s’il cachait quelque chose. Un geste que j’avais déjà vu.
Et puis je me souvins. Trois ans plus tôt, à une réunion d’anciens élèves, il y avait cet homme… un ancien camarade. Discret. Toujours dans l’ombre. Il s’appelait Marc.
Je pris mon téléphone, cherchai son profil sur les réseaux. Rien. Comme s’il avait disparu. Ou comme si on l’avait effacé.
Un bruit sec retentit dans le couloir. Je me figeai. Des pas, lents, qui s’approchaient. Mon souffle se suspendit. Puis… un glissement sous la porte. Encore une enveloppe.
Je l’ouvris d’une main tremblante. Cette fois, pas de photo. Juste une phrase : Je t’ai vue cette nuit-là.
Mes jambes faillirent me lâcher. Ce n’était plus une menace voilée. C’était une déclaration directe. Et si Marc — ou qui que soit cet homme — était bien là cette nuit… alors il savait tout. Peut-être même plus que Vincent.
Je reculai jusqu’au mur, la feuille serrée contre ma poitrine. Je sentais déjà que cette nuit, je ne dormirais pas.
