#Chapitre 2
#Chapitre 2
Élise n’avait pas lâché ma main. Son regard était fixé sur moi, comme si elle attendait que je prenne une décision immédiate. Mais je savais qu’il n’y aurait pas de réponse simple.
— Assieds-toi, dis-je en désignant le canapé.
Elle retira son manteau et s’installa, le dos droit, prête à écouter. J’allai jusqu’à la cuisine et mis de l’eau à bouillir. Le cliquetis du métal contre le plan de travail me donnait un semblant de normalité. Pourtant, à l’intérieur, j’étais comme un fil tendu, prêt à rompre au moindre geste brusque.
— Tu veux du thé ou du café ?
— Du café, répondit-elle, mais avec toi, ce n’est pas pour le goût. C’est juste pour que tu restes dans la pièce et que tu parles.
Je me retournai, un faible sourire me traversa. Elle avait toujours ce don de dire les choses de manière désarmante. Je préparai deux tasses, versai l’eau chaude sur la poudre, remuai, puis apportai le tout.
— Bon. Commence, dit-elle.
Je pris une inspiration profonde. Les mots me brûlaient la gorge, mais ils devaient sortir.
— Hier soir, quand je suis rentrée, j’ai trouvé cette lettre. Trois mots : “Je sais tout.”
— Tu penses que c’est Vincent ?
— Je ne sais pas. Il m’a appelée ce matin, et il a dit que je n’avais plus beaucoup de temps.
Elle se pencha, ses coudes sur ses genoux.
— Anick, tu ne m’as jamais dit exactement ce qui s’est passé, cette nuit-là. Tu as toujours parlé de “l’accident”, mais jamais des détails.
Mes doigts se crispèrent sur la tasse. La vapeur me monta au visage, mais c’était un autre souffle chaud que je sentais, celui de Vincent dans mon cou, ce soir-là.
— Ce n’était pas un accident.
Les mots étaient tombés, lourds, irréversibles. Élise ne bougea pas, mais ses yeux s’écarquillèrent légèrement.
— Continue.
Je me levai, incapable de rester assise. Je fis les cent pas dans le salon.
— On sortait d’une fête. Il pleuvait. On avait bu. Lui plus que moi. Il voulait conduire, mais j’ai insisté pour marcher. Alors il a proposé de passer par la petite ruelle derrière la gare. J’ai accepté.
Mon souffle devint court.
— Dans cette ruelle… il y avait quelqu’un. Une silhouette, immobile, comme si elle nous attendait. Vincent s’est avancé. J’ai entendu un bruit métallique. Puis tout est allé trop vite.
Mes mains tremblaient.
— Il l’a frappé. Une fois. Deux fois. Il ne s’est pas arrêté. J’ai crié, mais ma voix se perdait dans la pluie. Quand il s’est enfin relevé, il avait les mains couvertes de sang. Il m’a regardée… et il a dit : “C’est notre secret.”
Élise resta silencieuse un long moment. Je savais qu’elle essayait de mettre en ordre ce qu’elle venait d’entendre.
— Tu as vu le visage de l’homme ?
— Non. Il était déjà à terre quand je me suis approchée.
— Et après ?
— Après… on est partis. Il m’a dit que si je parlais, ce serait ma parole contre la sienne. Et il a ajouté que personne ne me croirait.
Elle se leva à son tour, son café oublié sur la table.
— Et maintenant il revient pour quoi ?
— Je ne sais pas. Peut-être pour me forcer à faire quelque chose. Peut-être juste pour me rappeler que je lui appartiens encore, d’une certaine manière.
Je me dirigeai vers la fenêtre. La rue était vide, mais je ne me sentais pas en sécurité.
— Tu dois aller à la police, dit Élise.
— Et leur dire quoi ? Que j’ai gardé un meurtre secret pendant dix ans ? Ils m’arrêteront avec lui.
Elle passa une main dans ses cheveux, agacée.
— Alors il faut trouver une autre solution.
Je savais qu’elle avait raison. Mais toute solution impliquait d’ouvrir des portes que j’avais verrouillées depuis si longtemps. Et derrière, il n’y avait que du sang et des ombres.
Soudain, un bruit sec retentit à la porte. Comme un papier glissé sous le battant. Je me précipitai et trouvai une enveloppe blanche. Aucune adresse, aucun timbre. Juste mon prénom, écrit d’une main ferme. Je l’ouvris. À l’intérieur, une photo. Floue, prise de nuit. Moi, hier, dans le café. La silhouette derrière la vitre, plus nette cette fois. Ce n’était pas Vincent.
— Regarde, dis-je en montrant la photo à Élise.
Elle plissa les yeux.
— Tu connais cette personne ?
— Non.
Mais quelque chose, dans la posture, me semblait étrangement familier.
— Anick… je crois que tu es suivie par quelqu’un d’autre que Vincent.
Ces mots me glacèrent.
— Tu crois que…
— Oui. Peut-être que cette histoire n’est pas juste entre toi et lui.
Je sentis mon estomac se tordre. Une deuxième menace. Ou pire : quelqu’un qui savait tout depuis le début.
— Il faut qu’on parte d’ici, ajouta Élise. Ce soir même.
Je secouai la tête.
— Non. Si je fuis, ils sauront que j’ai peur.
Elle soupira, mais je voyais dans ses yeux qu’elle comprenait. Elle prit son manteau.
— Très bien. Mais promets-moi de m’appeler si quoi que ce soit arrive.
Je hochai la tête, et elle partit. La porte se referma, laissant un silence pesant.
Je m’assis, la photo encore dans la main. Mes pensées tournaient en boucle. Qui pouvait vouloir raviver ce passé ? Et pourquoi maintenant ? J’allai jusqu’à la boîte en fer, repris le carnet de Vincent. Je le feuilletai. Entre deux pages, une coupure de journal. Date : 15 novembre 2013. Titre : Homme retrouvé mort dans une ruelle derrière la gare. Aucune photo de la victime. Aucun suspect. Mais une phrase en marge, écrite de la main de Vincent : On ne trouve que ce qu’on cherche.
Mon sang se glaça. Et si quelqu’un avait décidé de chercher maintenant ?
