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Retour des flammes

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Lukando
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Résumé

? Introduction Il n’avait fallu qu’une poignée d’années pour qu’il devienne l’un des hommes les plus puissants du Mexique. Quelques contrats habilement signés, des partenariats conclus à la lueur de promesses opaques, et Rodrigo Jimenez avait franchi les portes d’un univers qui lui paraissait autrefois réservé aux héritiers et aux héritières d’un sang qu’il croyait plus noble que le sien. Il n’était plus l’homme qui partageait une soupe claire avec Alma sous un toit percé. Il n’était plus ce père qui rapportait de maigres billets, honteux de ne pouvoir offrir mieux que la survie à ses quatre enfants. Aujourd’hui, Rodrigo pouvait s’offrir des palais, des banquets, des voyages où nul ne connaissait encore son nom — et où il aimait qu’on le découvre, qu’on s’incline devant sa fortune. Il lui avait suffi d’un regard, un soir de réception, pour croire qu’il avait enfin trouvé la femme à la mesure de sa réussite. Mariana Delgado. Ses yeux couleur d’ambre, sa voix basse et grave, sa silhouette de reine. Tout en elle lui soufflait qu’il méritait mieux qu’une épouse aux mains calleuses, usées par des années d’efforts qu’il ne voulait plus se rappeler. Alors, Rodrigo n’avait pas hésité. Il avait signé les papiers qui briseraient sa famille comme on tranche un fil devenu inutile. Il n’avait pas écouté Alma quand elle l’avait supplié à genoux, les larmes et la poussière mêlées sur ses joues. Il n’avait rien vu des regards de ses enfants, figés par la peur et l’incompréhension. Tout ce qui comptait, c’était cette nouvelle vie, plus vaste, plus éclatante. Plus digne de lui. Ce qu’il ignorait, c’est qu’en s’arrogeant le droit de tout piétiner, il tendait la main à son propre gouffre. Car Mariana ne l’aimait pas. Elle avait trouvé, en lui, l’instrument parfait de son ambition et de sa vengeance. Et Alma, celle qu’il avait cru reléguer à l’ombre, porterait en elle une force qu’il n’avait jamais su soupçonner. Une force patiente, douloureuse, mais inépuisable : celle de la dignité qu’on piétine et qui finit par se relever. Quand les flammes qu’il croyait éteintes reviendraient consumer ses dernières illusions, Rodrigo comprendrait, trop tard, qu’on ne bâtit rien de solide sur l’orgueil et le mépris.

les contraires s'attirentrelation douteuseSexeamour tristeréincarnationvrai amourmaturecontre-attqueromantiqueindépendant

Chapitre 001

‎La journée touchait à sa fin lorsque Rodrigo rentra chez lui, les épaules raides d’avoir soutenu son propre orgueil tout l’après-midi. Dans la ruelle étroite où ils vivaient depuis dix ans, l’odeur de maïs brûlé et de linge humide s’accrochait aux murs décrépis. Alma l’attendait devant la porte, une fillette sur la hanche et un petit garçon agrippé à sa jupe.

‎Elle lui sourit, comme si ce sourire pouvait le délester de sa lassitude, et s’effaça pour le laisser entrer. Il se défit de son vieux veston, en silence. Chaque fois qu’il franchissait le seuil, il sentait un gouffre se creuser entre la vie qu’il avait choisie et celle qu’il se promettait.

‎— Tu rentres tard, murmura Alma, la voix douce.

‎— J’ai eu une réunion, répondit-il sans la regarder.

‎Il ne lui disait plus grand-chose de ses affaires. Elle n’en comprenait pas les détails, pensait-il. Peut-être avait-il raison, car Alma ne s’intéressait qu’à ce qui permettait de nourrir les enfants, de payer la farine, de garder la lumière. Pour elle, l’important était de préserver un peu de chaleur, de dignité. Pour lui, l’important était de devenir un homme qu’on respecterait.

‎Ce soir-là, alors qu’ils s’asseyaient autour d’un repas frugal — quelques galettes, un peu de riz —, Rodrigo sentait en lui une impatience nouvelle. Il avait enfin touché l’acompte d’un contrat qui changerait tout. Dans quelques semaines, peut-être quelques mois, il pourrait acheter une maison plus grande. Offrir d’autres vêtements que ces chemises élimées. Et peut-être, enfin, cesser d’avoir honte.

‎Mais dans ce rêve, il n’y avait pas de place pour Alma. Il ne se l’avouait pas encore. Il se disait qu’elle aussi goûterait aux fruits de sa réussite. Pourtant, chaque fois qu’il la voyait, le souvenir de leur misère se rappelait à lui, comme une odeur dont il ne parvenait pas à se laver.

‎— Les enfants ont été sages, aujourd’hui, dit Alma, pour rompre le silence.

‎Il hocha la tête, distrait. Son esprit dérivait ailleurs, vers le souvenir d’un déjeuner auquel il avait assisté le matin même.

‎Un restaurant de la Zona Dorada, fréquenté par les hommes d’affaires et les héritières. Il y avait eu des conversations brillantes, des rires légers, des promesses de partenariats. Et elle.

‎Mariana Delgado.

‎Elle était entrée sans un regard pour personne, dans une robe ivoire qui laissait deviner sa taille fine. Ses cheveux bruns retombaient sur ses épaules comme un voile. Il l’avait vue sourire à son interlocuteur, incliner la tête, effleurer son verre de la pulpe de ses doigts. Et il avait compris, dans cet instant précis, qu’elle appartenait à un monde qu’il voulait faire sien.

‎Elle ne savait même pas qu’il existait. Mais cela changerait.

‎— Rodrigo ?

‎La voix d’Alma le tira de sa rêverie. Il croisa enfin son regard. Ses yeux, bordés de cernes, étaient encore pleins de tendresse. Il en éprouva une gêne inexplicable, presque une irritation.

‎— Quoi ?

‎— Je disais… demain, il faudrait acheter du lait. Il n’en reste plus.

‎Il retint un soupir. Du lait, toujours du lait, de la farine, du savon. Comme si leur vie devait se résumer à ces besoins qui le maintenaient prisonnier. Il acquiesça d’un geste bref. Puis il se leva sans un mot.

‎Cette nuit-là, alors qu’Alma bordait les enfants, Rodrigo resta longtemps debout près de la fenêtre, le regard tourné vers les lumières lointaines de la ville. Il se jura que bientôt, il ne rentrerait plus jamais dans cette ruelle. Bientôt, il serait l’un de ceux qu’on respecte.

‎Et bientôt, Mariana saurait qui il était.

‎Bien sûr — voici la suite du chapitre 1, qui approfondit la psychologie de Rodrigo, montre la tendresse d’Alma et introduit un signe précurseur de sa décision.

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‎ Chapitre 1 — Le Goût du Mépris (Suite)

‎Alma le rejoignit près de la fenêtre, sans bruit. Elle posa la main sur son bras, un geste si familier qu’il en devint insupportable.

‎Il ne se retourna pas. Il garda les yeux fixés sur la ville. Là-bas, derrière les tours illuminées, se tenait un avenir qu’il se persuadait d’avoir mérité.

‎— Rodrigo… tu es ailleurs, ces derniers temps. Tu ne dors plus. Tu ne me parles plus.

‎Sa voix n’avait rien de plaintif. C’était une simple constatation, presque une inquiétude pudique. Il ferma un instant les paupières. Il aurait voulu qu’elle comprenne sans qu’il ait à l’expliquer : il était trop grand, à présent, pour cette existence minuscule.

‎— Je pense au travail, répondit-il, la mâchoire serrée.

‎— Je sais, murmura-t-elle. Mais même quand tu es ici… tu sembles parti.

‎Elle attendit un mot, un signe. Il ne lui donna rien. Alors, avec cette douceur qu’il avait un jour aimée, elle posa sa tête contre son épaule.

‎— Peu importe où tu vas, reprit-elle d’un ton calme, je serai là. Avec toi. Jusqu’au bout.

‎Il se sentit soudain envahi par un agacement froid. Non, elle ne comprenait pas. Elle croyait que sa présence était un soutien. Il la voyait plutôt comme une ancre qui l’empêchait de s’élever. Il n’eut même pas la force de feindre la tendresse.

‎— Va dormir, Alma, dit-il sans la regarder.

‎Elle se redressa, surprise par la dureté de sa voix. Elle le fixa un instant, comme si elle entrevoyait, pour la première fois, le gouffre qui se creusait entre eux. Puis elle hocha la tête, docile, et s’éloigna.

‎Quand il entendit la porte de la chambre se refermer, Rodrigo poussa un soupir qu’il ne sut pas définir. Un mélange de soulagement et de culpabilité.

‎Dans l’obscurité, il porta la main à sa poche. Il en sortit la carte de visite qu’un ami lui avait glissée ce matin-là.

‎Mariana Delgado — Consultante en stratégie et relations publiques.

‎Son pouce effleura le papier glacé.

‎Demain, il trouverait un prétexte pour la contacter.

‎Il se sentit soudain étrangement léger. Comme s’il venait de franchir un seuil qu’il n’aurait plus à retraverser.

‎Cette nuit-là, il dormit d’un sommeil sans rêve, laissant Alma seule à écouter les bruits du quartier et le souffle régulier des enfants.