Chapitre 7
Chapitre 7.
***Nathalie GONCALVES épouse MAGHENA***
Les pleurs de mon enfant me font lever la tête de ma tablette. Je sors de la pièce qui me sert d’atelier pour aller m’enquérir de la situation.
Awa en me voyant : elle ne veut pas faire la sieste.
Ma petite poupée me tend les bras en larmes et je ne peux que succomber. Je la prends avec moi et décide de lui faire faire la sieste moi-même en m’imposant une. Allongées sur mon lit, on se fait des bisous pendant un moment. Je garde son petit bras autour de mon cou et tapote légèrement sur sa couche en chantant des berceuses. Au bout d’une demi-heure elle s’endort. Je m’apprêtais à faire pareil lorsqu’Awa vient m’informer de la présence de ma tante. Je lui demande de prendre Brittany et d’aller la coucher dans sa chambre.
Moi joyeuse : ma tata préférée.
Tata Lola en rigolant : ça c’est facile, je suis ta seule tata.
Tata Lola est la sœur jumelle de mon père, les seuls enfants que le couple GONCALVES ait eus. Mon grand-père avait choisi le Gabon après l’indépendance de l’Angola. C’était ça ou retourner au Portugal qui était à l’époque une dictature. Le plan initial était Sao-Tomé et Principe, va savoir comment il a atterri dans ce pays avec sa femme et leurs deux enfants.
Tata Lola est artiste peintre. Mariée à un vétérinaire franco-gabonais avec qui elle a eu Miranda, José et Marco.
Miguel, son frère et donc mon père, est quant à lui propriétaire d’un journal assez connu ainsi qu’une maison d’édition. Et sculpteur à ses heures perdues (oui l’art dans la famille est « sanguinaire »). Il a eu le malheur de tomber amoureux d’une certaine Anoucheka NTSAME, ma génitrice, qui l’a presque ruiné avant de fuir aux Etats-Unis où elle a refait sa vie. Je n’ai aucun contact avec elle et je n’ai pas non plus envie de parler d’elle. Après Anoucheka, une Léonie MOUKETOU lui a donné deux garçons. Elle et ses fils ne font pas non plus partie de ma vie. Les liens avec mon père sont difficiles mais on garde le contacte. On s’appelle même si on n’a plus rien à se dire. Heureusement il y a tata Lola et son mari. J’aurais tellement aimé que ça soit eux mes parents.
Tata Lola en s’asseyant : tu sais que Anna MARTINES se marie en août ?
MARTINES c’est la famille de ma grand-mère. Eux, vivent éparpillés entre l’Europe, le Brésil et l’Angola.
Moi : j’ai cru voir quelque chose comme ça. Avec qui ?
Tata Lola : un bon portugais. Alléluia !
Moi en riant : enfin une qui nous sauve. Dans quelques générations nos origines portugaises auront totalement disparu.
Tata Lola riant aussi : la théorie du grand remplacement. C’est pour ça que pour Brittany, on doit agir. Avec son prénom anglais.
On rigole ensemble des réflexions qu’on se mange à chaque fois qu’on se rend au Portugal, nous les sang-mêlé ou qui avons des enfants sang-mêlé. Quand ma grand-tante a su que mon mari était tout noir, il parlait qu’elle a pleuré.
Tata Lola : bref ! J’ai besoin que tu me dessines trois robes pour ce mariage.
Moi : oh la !
Tata Lola : une pour la cérémonie civile, une pour la cérémonie religieuse et une pour le soirée dansante.
Elle me dit ce qu’elle veut exactement et déjà les idées fusent. On se met d’accord sur le budget et les tissus.
Tata Lola : deux millions trois cent mille ? Même pas une petite réduction pour sa tata préférée ?
Moi en riant : j’ai déjà appliqué une réduction.
Tata Lola : tu es dure en affaires ma fille !
Moi : je t’ai vu à l’œuvre.
Hand-shacking pour conclure l’affaire et elle me sort un chèque. Je me promets de m’y mettre le plus tôt possible. Pour l’heure je vais vérifier que le repas de ce soir sera prêt à temps. Puis je vais en salle de sport. J’ai décidé de faire partir ces kilos de grossesse, il est plus que temps. Aquabike les mercredis, box les jeudis et aquagym à la maison avec un coach en ligne les lundis et samedis. Pour le moment je suis le rythme, mais ça ne fait que trois semaines que j’ai commencé.
Sur mon chemin du retour, je vois passer la voiture de Cédric en sens inverse avec une femme côté passager. J’appelle et Monsieur ne prend pas mon appel. Je fais automatiquement demi-tour pour le suivre. Malheureusement pour moi, le feu passe au rouge et il y a deux voitures devant moi. Totalement hystérique, je ne cesse de l’appeler jusqu’à ce qu’il décroche. J’ai eu le temps de rentrer avant qu’il ne prenne mes appels.
Cédric : oui ma femme ?
Moi en hurlant : pourquoi tu ne répondais pas ? C’est qui la fille avec qui tu étais ?
Cédric : Nathalie tu peux te calmer s’il te plaît ?
Moi encore plus énervée : tu es où ?
Cédric : devant le portail.
J’entends klaxonner et je vais regarder par la fenêtre de notre chambre. C’est bien lui. Nos regards se croisent puis il baisse la tête et entre dans la maison. Je réalise que n’ai pas raccroché lorsqu’il ouvre la porte de la chambre. Mon cœur bat tellement fort, mon cerveau tourne à mille à l’heure.
Moi : c’était qui ?
Il va s’assoir sur le lit pour retirer ses chaussures.
Cédric : une collègue que j’ai accepté d’accompagner regarder une voiture qu’elle veut acheter.
Moi : pourquoi ? Tu es garagiste ? Elle n’a pas de compagnon ? De frère ? Tu es devenu un expert en voiture d’occasion ?
Cédric impassible : j’ai travaillé dans un garage, j’ai appris à conduire dans des voitures cassées de ce garage. Donc oui, je m’y connais en voiture d’occasion. Sa vie personnelle ne m’intéresse pas. Qu’elle ait un compagnon ou pas, un frère ou pas, je n’en sais rien.
Moi : tu n’as pas intérêt à me la faire à l’envers. A me faire ce que ma mère a fait à mon père.
***Cédric MANGHENA***
Je connais la chanson par cœur. Je vais simplement la prendre dans mes bras et l’embrasser. Evidement elle résiste au début mais finit par se laisser aller.
Nat au bord des larmes : ne leur donne pas raison. Ne leur donne pas l’occasion de rire de moi.
Moi : je sais que tous n’attendent que ça. Je ne leur donnerai jamais ce plaisir. C’est une collègue rien de plus. Tu es ma femme, la mère de ma merveilleuse petite fille, ma maman, ma conseillère, ma meilleure amie, ma gestionnaire, tu occupes tous les postes importants. Je n’ai pas besoin d’aller dehors. Ma petite salope à moi. Il n’y aucune raison que tu te fasses du souci. OK ?
« Papa, papa »
Je me retourne et ma petite Princesse marche vers moi en répétant « papa ». Je vais la prendre et lui faire des bisous.
Nathalie : maman a du mal à entrer apparemment.
Moi : ne sois pas jalouse. Tu as été la première à la sentir, la première à la tenir, la première à établir une connexion. N’est-ce pas mon amour ?
Brittany : papa.
Moi : oui mon amour, c’est papa.
Nathalie : tchip ! Sinon tu étais en train de me rassurer hein et tu n’avais pas terminé.
Je rigole et vais la serrer contre moi de ma main libre.
Moi : c’est comme ça que je dois être accueilli chez moi.
Nathalie : je vais faire des courses, tu veux quelques choses ?
Moi : un bisou.
Elle s’en va sans me le donner, c’est sa petite vengeance. Je m’installe devant la télé avec mon ombre qui me suit partout. Comme elle est toute la journée avec sa mère contrairement à moi qu’elle ne voit que le soir, elle me colle.
Awa dans mon dos : Monsieur, téléphone.
Je regarde l’écran qui affiche un appel manqué d’un de mes frères. Je m’apprête à rappeler lorsqu’il le fait.
Lui : allô ? Cédric ?
Moi : oui, bonjour.
Lui : mais c’est comment ? On te dit que maman est malade, tu ne viens pas regarder avec tes yeux ?
Moi : je travaille. J’ai envoyé cinq cent mille c’est largement suffisant non ?
Lui : qui te parle d’argent ? On te parle de ta présence.
Moi : je passerai quand je pourrai. Je travaille et je vais à l’école je te signale.
Lui : ah bon ? C’est quand maman va mourir que tu trouveras du temps ? Même ta femme, elle ne peut pas venir faire un tour ?
Moi m’énervant : qu’est-ce que ma femme vient chercher ici ? Tu parles d’elle pourquoi ? Je vous ai déjà dit de ne pas vous mêler de mon mariage.
Lui : j’ai dit quoi de mal ?
Moi : tu n’as rien à dire sur elle. Absolument rien. Tu parles de maman, ma femme vient chercher quoi dedans ?
Lui jouant sur la susceptibilité : excuse-moi vraiment.
Autant ça ne se passe pas bien entre ma belle-famille et moi, autant ça ne se passe pas bien non plus entre ma femme et ma famille. Pour une seule et même raison : la différence de classe sociale. Ma belle-famille me tolère parce que j’ai eu un enfant avec Nathalie mais je suis très loin d’être un gendre idéal. Pire encore, ce que la mère de Nathalie a eu à faire, n’a fait que consolider l’idée qu’ils se font sur les pauvres.
Ma famille aussi estime que Nathalie n’est pas une bonne belle-fille car elle ne les calcule pas. Les exclue de nos vies et même de celle de notre fille. Seulement, notre mariage c’est Nathalie et Cédric. Même nos enfants ne peuvent pas nous pousser à nous séparer. Qu’ils continuent à attendre, qu’ils continuent à se plaindre, « Nathalie et Cédric » ce n’est pas prêt de s’arrêter.
Dès que Nathalie revient, je lui confie notre bébé pour me rendre chez mes parents.
Nathalie : on t’attend pour manger.
Moi : je ne sais pas.
Nathalie me fixant : ce n’était pas une question Cédric.
Les repas se prennent en famille et ce n’est pas négociable.
Je fais entrer ma voiture dans la concession familiale en évitant de me garer sous l’avocatier qui donne actuellement des fruits. Un avocat est vite tomber sur ma voiture.
Ma famille est rassemblée au salon autour de maman qui prend ses médicaments. Une odeur désagréable de pauvreté me pique les narines. L’argent n’a pas d’odeur mais la richesse et la pauvreté en ont bien une. A vivre à mille dans un espace réduit, on crée des odeurs désagréables.
Maman ravie : Cédric ? Tu es là ? Donnez-lui une chaise.
Je prends une chaise plastique et me tiens à côté d’elle.
Moi : le médecin a dit quoi ?
Maman : que j’ai frôlé l’AVC.
Moi : tu ne prends plus tes médicaments ?
Maman : si. Il a dit que le traitement ne correspondait plus.
Moi : tu fais tes contrôles ?
Maman : ah Cédric laisse. Tu vas bien ? Tu veux boire ?
Moi : non, je ne vais pas mettre du temps. Tu as besoin de quelque chose ?
Maman : ça va papa merci.
Je suis assis près d’elle mais je ne sais pas quoi lui dire. Je compte les minutes dans ma tête avant de me lever et rentrer chez moi sous le regard désapprobateur de tous ceux qui sont présents. Je sais ce qu’ils pensent et disent de moi dans mon dos mais j’en ai rien à foutre.
Il n’y a qu’une raison pour laquelle je continue de les fréquenter : la bouche des ignorants qui aiment parler sans savoir. Je ne me sens pas reconnaissant envers eux, je ne leur dois rien. Qu’ont-ils fait pour moi ? Pour aller à l’école je devais mendier au près de la famille, des amis. Mes parents étaient incapables de me payer des cahiers mais chaque année tu avais un petit frère. De ma deuxième année de 6e jusqu’à la 4e, c’est la maman d’un ami qui, à la rentrée m’offrait quelques cahiers et l’uniforme. Pour les livres, comme j’étais redoublant contrairement à son fils, je reprenais simplement ses livres. A onze ans je devais travailler pour m’offrir une chaussure et un sac pour aller à l’école. Même l’argent du taxi je ne recevais pas. Lorsque je percevais ma bourse trimestrielle ou qu’un oncle me donnait quelque chose, on me harcelait pour que j’achète la nourriture dans la maison. On te fait culpabiliser de ne pas utiliser ton argent du taxi pour les besoins de la famille. C’est ma force et ma détermination qui m’ont mené où je suis, en dehors des relations et l’argent de ma femme.
Toute ma vie j’ai vécu comme un chien, sans dignité et tête baissée devant plus riche car l’orgueil ne remplit pas le ventre. Combien d’années d’humiliations ? Aller travailler chez des gens qui te traitent comme un sous-homme parce que tu es pauvre. Mais mon père trouvait toujours une femme à mettre enceinte. J’ai quitté la maison à quinze ans pour aller me chercher, j’étais en 3e. J’ai vécu chez des amis où on te prend comme esclave. Quand son fils refuse de faire une corvée on ne dit rien. Quand c’est toi c’est le drame. Toute ma vie, jusqu’à l’obtention de mon bac. Mes parents ne m’ont jamais acheté un cahier une fois je suis arrivé en 6e. Je devais baisser la tête, présenter des excuses lorsqu’on me faisait du tort, dire merci lorsqu’on me piétinait.
Je suis allé à l’UOB. J’avais ma bourse, une chambre en résidence universitaire. Mais une fois que tu commences à gagner de l’argent avec les petites bricoles, c’est difficile de poursuivre les études. J’avais une copine, j’aimais cette fille comme il n’était pas possible d’aimer. Mais la pauvreté m’a réduit à accepter de la partager avec un autre qui aidait sa famille jusqu’au jour où elle a décidé de rompre avec moi pour lui.
Avant j’accusais la pauvreté, la condition sociale, mais aujourd’hui j’accuse mes parents. Être pauvre n’empêche pas d’avoir de l’ambition pour ses enfants. Être pauvre n’empêche pas de sa battre pour assurer un avenir à ses enfants. Mes parents pourtant si fiers d’être féconds, ma mère qui était en compétition avec sa co-épouse pour faire les enfants, aucun d’eux ne se préoccupait de mon avenir. Mon père n’a jamais pensé à m’apprendre son métier à défaut de pouvoir me scolariser. Dès onze ans j’ai été jeté dans la nature et j’ai survécu grâce à mes propres capacités. Aujourd’hui je m’élève dans la société. C’est ma revange contre la vie et ce qu’elle m’a fait subir. Contre toutes ces personnes qui m’ont humilié, méprisé. Je ne dois rien à ces gens, ils peuvent raconter ce qu’ils veulent à mon sujet.
Maman : prends quand même les avocats et les atangas tu vas aller donner à ma copine (sa petite-fille).
J’accepte. Elle veut surement se racheter d’avoir été une mauvaise mère en étant une bonne grand-mère. Je ne lui refuse pas l’accès à Brittany, elle va la voir quand elle veut. Plus d’une fois elle est venue chez nous malgré le refus de Nathalie. Si ça peut alléger sa conscience, grand bien lui fasse. En ce qui me concerne, la blessure de son irresponsabilité est encore présente.
Je récupère les fruits de Brittany et m’en vais. Je dîne avec ma famille, ma vraie famille.
Nathalie : j’ai vu qu’il y avait une école de langue qui venait d’ouvrir. J’ai pris des brochures pour toi. Il serait peut-être important pour toi de commencer à prendre des cours d’anglais. Non ?
Une femme qui ne partage pas mon sang se préoccupe plus de mon avenir alors que je suis adulte que mes parents ne le faisaient lorsque j’étais enfant.
Moi : c’est une bonne idée. Tu me montreras.
Nathalie : d’accord ! Je voulais aussi savoir si tu avais une date de soutenance pour planifier nos vacances.
Moi : le 27 septembre à 12h.
Nathalie : on partira en octobre alors ?
Moi : pas au Portugal. Ni chez aucun autre membre de ta famille.
Nathalie : et le mariage de ma cousine en août ?
Moi : je n’aurai pas encore fini avec mes examens et je n’ai pas envie d’y aller.
Nathalie : d’accord ! Chef !
Une fois dans notre chambre, on regarde ensemble son école de langue et c’est elle qui fait la demande d’inscription en ligne. A la fin, je sais juste que j’ai un test de niveau à passer le vendredi suivant.
Moi : viens là !
Nathalie : quoi ?
Moi : viens tu verras.
Elle s’assoit sur mes cuisses en me faisant face. Au baiser que je lui donne, elle devine aisément mes intentions.
