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Chapitre 2

Chapitre 2.

***Salomé NKIE épouse MASSALA***

En sortant de la maison ce matin, nous entendons tous le compteur siffler. La SEEG a eu la merveilleuse, ingénieuse idée de vendre des compteurs d’électricité qui sifflent non-stop pour nous indiquer qu’il ne reste plus beaucoup de kilowatts. Le sifflement est tellement fort et s’intensifient d’heure en heure, on a l’impression que tout le quartier peut l’entendre. Je ne sais pas qui s’est levé un matin en pensant que c’était une bonne idée, mais cette personne mérite vraiment des claques.

Malgré le bruit assourdissant, je reste sereine. J’installe mes deux enfants de six et trois ans à l’arrière de ma voiture en attendant leur père. C’est tendu entre nous, on ne se parle pas mais pour les enfants on fait l’effort. Lui comme moi a entendu le compteur, sa paresseuse de sœur aussi. Je ne sortirai pas le moindre centime pour cela. Qu’on dorme dans le noir ce soir. J’en ai marre !

Je dépose les enfants à l’école et Monsieur au travail. Il est véhiculé, sa voiture est simplement au garage. On ne fait même plus semblant de se souhaiter une bonne journée. Je continue mon chemin jusqu’au cabinet d’audit où je travaille, l’un des cinq plus grand cabinet au monde. Je suis aux Ressources Humaines dans ce cabinet depuis plus de six ans, en charge du suivi des carrières des collaborateurs mais aussi du recrutement. Justement, ce matin j’ai deux entretiens pour le poste d’auditeur stagiaire.

J’essaie de ne pas ramener mes problèmes personnels au travail car je vise une promotion, mais c’est difficile de sourire, d’être aimable, lorsque ton cerveau chauffe.

L’accueil m’annonce l’arrivée du premier candidat. Il a cinq minutes d’avance, un point pour lui. Propre sur lui, on sent bien un étudiant qui a fait un effort pour s’acheter un costume afin de bien présenter. Je relis encore son CV. Institut Supérieur de Science de Gestion puis une école supérieure en Côte. Aucune expérience mais il a ajouté à son dossier ses bulletins de notes qui sont plus qu’excellents.

Je le laisse mariner histoire de bien faire monter son stress. Le stress va être son quotidien qu’il s’y habitue. C’est une première prise de contact pour essayer de cerner sa personnalité. Si je le retiens, il reviendra pour un deuxième entretien avec la personne dont il sera sous la supervision qui lui fera passer un petit test.

L’entretien dure une demie heure. Il sait se vendre son paraître prétentieux, il me fait bonne impression. A la fin de celle-ci, je le classe dans « validé ». Ça veut dire qu’il aura un deuxième entretien avec l’auditeur cette fois sur ses connaissances.

Peu après, le deuxième se pointe. Pile à l’heure. Très beau costume, impeccable de la tête aux pieds. Ce jeune homme dégageait de l’assurance, de l’audace. Il se tenait droit dans son siège, pas du tout intimidé.

Moi : alors, parlez-moi de votre parcours.

Le candidat : après l’obtention de mon bac scientifique à Michel Dirat, je m’envole pour l’Afrique du Sud ou j’obtiens un bac plus trois en comptabilité dans une grande école de commerce. Ensuite, je poursuis en France dans une autre école de commerce assez onéreuse.

Je fais toujours mes recherches sur les établissements avant l’entretien. Les écoles que je vois sur son CV ne valent pas un clou. Encore celle d’Afrique du Sud, mais celle de France ! Mieux vaut aller à l’UOB.

Moi : onéreuse ne veut pas dire de qualité. Quel rang occupent ces écoles sur le plan national ?

Je le fixe et pour une fois depuis le début de cette interview, je le sens déstabilisé. Ils sont nombreux ces gens qui viennent mystifier les africains avec leurs diplômes obtenus à l’étranger. Mais il suffit de creuser un peu pour se rendre compte que ce n’est que de la poudre aux yeux. Des écoles françaises à huit millions l’année voir plus qui ne valent absolument rien, dont la qualité d’enseignement laisse à désirer, il y en a à foison.

Moi : je vais vous donner une deuxième chance. Parlez-moi de votre parcours.

Il redescend de son piédestal et reprend sa présentation non plus en mettant l’accent sur le prix des écoles fréquentées, mais désormais sur ce qu’il a appris à faire. Les outils qu’il sait manipuler, ses aptitudes, etc. Voilà comment quelqu’un allait bêtement faire passer son dossier dans « poubelle » alors qu’il y a du potentiel. Finalement son CV va dans « validé ».

Je le raccompagne à la porte. Avant de partir, il me serre la main, me regarde droit dans les yeux et me remercie de ne pas m’être arrêtée sur la première impression. Je souris et lui souhaite bon courage.

La journée passe. Auprès de mes collaborateurs, je retrouve le sourire. J’oublie les soucis qui m’attendent à la maison. Ces mêmes soucis qui remontent brutalement à la surface lorsqu’il est l’heure de rentrer. Un cousin récupère les enfants à la sortie de l’école et les laisse chez ma mère qui ne vit pas loin. Quand j’arrive, le plus grand est dans les devoirs avec son petit oncle. Mon bébé est maintenant à la grande école.

Je discute avec mes parents en mangeant le temps que les devoirs se terminent. Ils sont lavés, ont mangé, les devoirs sont faits, je n’ai juste qu’à les mettre au lit une fois à la maison.

En voyant la lumière dans la maison au loin, je me sens rassurée pensant qu’au moins une personne dans la maison ait chargé le compteur d’électricité. Une joie de très courte durée lorsqu’en allant ouvrir le portail, les sifflements dudit compteur me parviennent aux oreilles. Comment être souriante ? Comment ne pas toujours être tendue ? Je fais descendre tout le monde et entre dans la maison où Patrick, sa sœur et son neveu m’attendent. Ils n’ont mis que la lumière du salon, sans doute pour faire des économies. Je m’occupe de mes enfants, prépare nos tenues du lendemain puis tout le monde au lit.

Impossible de mettre la clim, je me rabats sur le ventilateur. Comment dormir quand le cœur est lourd ? C’est la chaleur qui me réveille au milieu de la nuit. Nous sommes en plein mois de mars. Il fait extrêmement chaud. Tellement chaud que les enfants se réveillent et viennent me trouver. Patrick ne bouge pas. Imperturbable.

Levy : maman j’ai chaud !

Moi essayant de me contenir : je sais papa. Je sais.

On dort mal, très mal. Le lendemain je suis à cran et ne fais même pas semblant. Je pense qu’on arrive simplement à un niveau où je ne peux plus faire semblant. Après avoir déposé les enfants, il a le culot de me demander de mettre les unités car il n’a rien. Je pète avec lui. J’explose littéralement.

Ce n’est pas qu’il n’a pas d’argent, il a de l’argent. Il est Directeur à la Douane, il touche un bon salaire. Où va ce salaire ? Chez sa famille. Unique garçon au milieu de cinq sœurs qui se sont données pour mission de peupler le Gabon (une seule est un cas isolé mais on y reviendra). Trop belles pour se réveiller le matin et aller au travail. On m’a imposé la dernière dans mon foyer au prétexte de « l’éloigner de la mauvaise influence » afin de « la pousser à faire l’école ou une formation ». Le résultat est où ? Madame est allée nous prendre une grossesse. Les trois autres ont chacune au moins trois gosses avec zéro père. Et la mère impose à Patrick de s’occuper des enfants en plus d’elle-même. Mais ses enfants à lui qui s’en occupe ? On estime que comme je travaille je dois tout faire.

Je ne suis mariée qu’à la bouche. Nous sommes le 27, les fonctionnaires ont déjà donné l’argent de la popote à leur femme. Moi rien. Le congélateur est vide. Je dois tout faire dans la maison, tout. A quoi me sert d’avoir un homme ?

Moi hystérique : le 27, deux jours après la paie tu n’as pas dix milles pour mettre les unités EDAN ?

Patrick : tu sais bien que j’ai les crédits rentrée scolaire des enfants.

Moi hurlant : quels enfants ?!

Patrick criant aussi : tu es une mauvaise femme ! Tu as vraiment le mauvais cœur ! On me le disait je refusais de croire. Ces enfants n’ont-ils pas droit à l’instruction ? Tu sais si l’un d’eux peut sortir médecin parmi eux ? Je dois les laisser à l’abandon ? Tu sais bien que j’ai énormément de charges, tu veux que j’aille voler ?

Moi folle : oui ! Va voler !

On se crie dessus devant les gens jusqu’à ce qu’il descende de ma voiture et prenne un taxi. Je pleure de colère, de frustration. J’en ai simplement marre.

Je mets mon masque une fois au boulot, je joue la comédie sociale. Quand je sens mon cœur plein, je vais pleurer dans les toilettes puis je reviens sourire comme si de rien n’était. A la fin de la journée, je vais simplement ramasser quelques effets pour mes enfants et moi. La maison est abandonnée, dans le noir. Je vais dans un motel avec mes enfants et de là je prends la décision de chercher un terrain à acquérir. Patrick et sa famille me tirent depuis trop longtemps vers le bas.

En attendant je cherche une autre maison à louer car le motel n’est pas donné.

Le week-end suivant j’ai été convoquée chez mes parents. Apparemment, mon soi-disant mari est allé se plaindre de moi et signaler mon départ.

Patrick : vous savez que chez nous on dit qu’un seul doigt ne peut pas laver le visage. Vous savez aussi qu’on dit chez nous que lorsque le chasseur attrape un gibier c’est pour faire profiter tout le village. Ma mère est sans revenu, c’est avec la vente de son manioc qu’elle a payé mes études. Aujourd’hui que j’ai, ce n’est pas logique que je m’occupe d’elle ?

Moi : le problème n’est pas ta mère mais tes sœurs !

Papa : Salomé laisse-le finir.

Patrick : mes sœurs vivent où ? Tu vas demander à une mère de manger sans donner à ses enfants ? Tu vas demander à une grand-mère d’ignorer la situation de ses petits-enfants ? Personne n’est ravi du choix de vie de mes sœurs, mais va-t-on faire payer les enfants ? Salomé comment tu peux nourrir tes enfants et ne pas donner à mon neveu ?

Oui, je le fais. Ma belle-famille ne m’aime pas et je m’en fiche. La petite sœur de Patrick vit avec nous, dans ma maison, mange ma nourriture, mais veut me manquer de respect. Je dis non. J’envoie son enfant elle s’oppose. Pourquoi j’envoie son enfant et non l’un des miens ? Ah d’accord ! Quand je veux les envoyer il y a différence d’enfant mais quand il faut les nourrir ce sont tous mes enfants ? Je dis non !

Patrick : je me suis engagée auprès de ma mère d’accompagner les enfants jusqu’au bac. Je dois délaisser mes neveux parce que tu veux dormir au climatiseur Salomé ?

Moi : je peux parler ?

Je prends leur silence pour un « oui ».

Moi : tu parles de tes neveux, et tes enfants à toi ? Tu dois nourrir ta famille biologique mais la famille que tu as toi-même décidé de fonder ? Je fais tout dans la maison, absolument tout. Qui doit nourrir tes enfants Patrick ? Qui doit payer tes factures ? C’est moi ?

Je me suis battue comme tout le monde. J’ai supporté les privations, les échecs, les insomnies pour avoir mes diplômes. J’ai fait mes preuves pour avoir une belle carrière professionnelle. Personne ne me l’a donnée. Ça n’a pas été une partie de plaisir. J’ai fait tout ça pour vivre dans le confort, pour être à l’aise et je ne vais pas m’en excuser. Je travaille mon argent pour mettre mes enfants à l’aise et je ne vais pas m’en excuser. Je dis que la récréation n’a que trop duré. Soit tu as une femme et des enfants, soit tu n’en as pas. Si tu veux marcher nu pour nourrir tes neveux, libre à toi, mais mes enfants ne doivent manquer de rien. Aujourd’hui tu choisis, eux ou nous. Trop c’est trop.

Je pèse parfaitement mes mots. De toutes les façons je n’ai jamais su faire semblant. A quoi bon ? Ma mère a essayé dans son foyer, pour quel résultat ? (on y reviendra, j’en ai trop sur le cœur, on risque de s’éparpiller).

Cette famille ne m’a jamais aimée. Je suis trop « occidentale » pour eux. Trop égoïste, individualiste. Moi je travaille dure mon argent pendant qu’eux se prélassent et la fin du mois je dois leur donner un salaire.

Ma mère a eu trois enfants avec mon père avant la mort de ce dernier. Elle non plus n’avait jamais travaillé de sa vie et se reposait entièrement sur son mari. Une fois veuve, elle a subi raillerie, mépris et manque de respect parce qu’elle ne savait pas comment nous nourrir. De là, elle nous a donné une éducation sévère. Ma sœur et mon frère travaille. L’une est policière et l’autre responsable achat et approvisionnement dans une maison de téléphonie mobile. Personne n’est riche, mais personne ne vit au dépend des autres. Par contre, s’il y a un gros problème (comme quand mon frère s’est retrouvé au chômage), les deux autres ont obligation de venir en aide à l’autre. Mais chacun se bat pour son bout de pain.

Ma mère s’est remariée plus tard (avec cet homme que j’appelle papa) et malgré leurs faibles revenus, ils n’embêtent personne. Donc je ne comprends pas comment toute une famille peut décider de vivre au crochet d’une seule personne. Je refuse de comprendre. Si c’est ça être égoïste, OUI JE LE SUIS !

Mais celui qui me déçoit le plus, c’est Patrick. Il a une sœur (le cas isolé) qui sort avec un homme marié qui lui donne tout. Elle a deux maisons et un magasin, elle voyage comme elle veut avec ses enfants. Mais même dix mille, elle ne donne pas à sa mère. Pourtant c’est sa fille préférée, sa chouchou. Quand elle dit non cela ne pose pas problème. Quand c’est Patrick c’est la fin du monde. Le pire c’est qu’au final on conclut que c’est moi la mauvaise qui l’oblige à refuser alors que je ne suis au courant de rien.

Bref j’en ai marre ! Onze ans que je supporte, cinq ans de mariage et deux enfants mais rien ne change. Je vais me lever un matin et ma vie sera passée à côté. S’il veut mourir pour ses sœurs, libre à lui. Moi je ne le ferai pas.

Maman : Salomé attention à ce que tu dis !

Moi : maman j’assume parfaitement mes dires. Je ne peux pas être dans la maison d’un homme et c’est moi qui fais tout. Autant être célibataire.

Patrick me regarde avec ses yeux de chiens battus et je détourne le visage. Je suis tellement déçue, je ne reconnais pas l’homme dont je suis tombée amoureuse. Mais ne nous voilons plus la face, ce mariage n’est rien d’autre qu’un simulacre.

Maman : tu es prête à perdre ton foyer ?

Il y a bien longtemps que je l’ai perdu. Patrick ne me parle plus, ne me consulte plus avant de prendre une décision. Je ne sais même pas à quand remonte la dernière fois qu’on a joué ensemble, rit ensemble. A quand remonte le dernier câlin ?

.

La semaine qui a suivi, lorsque je suis allée récupérer le reste de mes affaires, j’ai trouvé ma belle-mère et ses quatre filles dans mon ancien salon en train de rire à gorges déployées bouteilles de bières en mains. Elles se sont mises à me lancer des pamphlets

L’une des sœurs : on dit que le sang reste le sang.

Une autre : vraiment ! Les choses que vous partez voir en Europe vous voulez reproduire ça ici. Nous sommes africains oh ! Tu es sûr de l’enfant de ta sœur, mais l’enfant de ta femme. Hum !

J’ai continué à ranger mes affaires en attendant la voiture de déménagement. En vérité ce n’était pas au programme, mais elles ont piqué mon orgueil.

Moi au déménageur : prenez tout. Le salon, la salle à manger, la gazinière, le frigidaire, le lave-linge, les lits, tous les meubles de toutes les pièces sauf la chambre parentale.

Betty : tous les lits comment ? Je dors où ?

Sans répondre, je continue mon déménagement pendant qu’elle appelle son frère affolée. Ce dernier ne tarde pas à se manifester.

Patrick : Salomé tu es venue prendre toutes tes affaires ? Tu dis que le mariage est fini ? Tu es sérieuse ?

Moi : tu as fait ton choix, je ne fais que respecter ta volonté. Je te laisse le lit mais je prends absolument tout. Je reviendrai pour un deuxième tour et il n’y a pas intérêt à ce qu’il manque quelque chose.

Patrick avec douceur : Mine ? Tu me laisses ? Vraiment ?

Mon cœur se ramollit instantanément. Ça faisait tellement longtemps qu’il ne m’avait pas appelée ainsi.

Patrick : je t’aime, tu le sais. Je ne veux pas te perdre Salomé mais tu ne peux pas me demander de faire un tel choix. J’ai compris ce que tu m’as dit, je vais faire des efforts. Je vais changer je te le promets.

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