Chapitre 3
Les premières provocations, ces petites étincelles qui, normalement, auraient dû enflammer une tempête, semblaient se perdre dans l’indifférence glacée d’Amélie. Luca, en homme déterminé à reprendre le contrôle, n’avait aucune intention de se laisser démonter. Au contraire, il savait qu’il pouvait la briser, il en était sûr. Mais plus il avançait dans son plan, plus un malaise s’installait, une frustration qu’il ne parvenait pas à expliquer.
Luca avait toujours aimé avoir le contrôle. C’était sa nature. Il avait bâti sa vie, son empire, sur la discipline et l’ordre. Mais il n’avait pas prévu que ce mariage serait un champ de bataille psychologique. Il avait cru que, dans le fond, Amélie céderait. Il l’avait vue calme, froide, presque trop parfaite. Mais cette perfection était-elle un masque ? Il se sentait tiraillé entre son envie de la pousser à bout et cette étrange curiosité qui naissait en lui.
Il n’eut pas à attendre longtemps pour imposer sa volonté. Le matin suivant leur arrivée, Luca convoqua Amélie dans le salon de leur suite. Il la fixa longuement, comme s’il cherchait à lire son âme à travers ses yeux.
— Amélie, dit-il d’une voix ferme, il y a des règles à respecter dans cette maison. Et je tiens à ce qu’elles soient claires.
Amélie leva les yeux vers lui, son regard calme, impassible. Elle attendait. Elle savait que ce moment finirait par arriver.
— Je ne veux pas que tu sortes après 20 heures, commença Luca, en prenant son ton habituel, autoritaire. Les soirées sont des moments que l’on passe ensemble, et je n’accepterai aucune exception. Tu m’entends ?
Elle acquiesça lentement, comme si ces règles ne la dérangeaient pas.
— Très bien, répondit-elle d’un ton neutre.
Luca la fixa longuement, analysant son visage. Il s’attendait à une réaction, un signe de rébellion, mais il ne vit rien de tout cela. Elle restait stoïque, presque trop calme. Ses yeux, habituellement si mystérieux, semblaient le défier de l’intérieur, mais elle ne disait rien.
— Et il n’y aura pas de vie commune. Chaque jour, tu t’installes ici dans ta chambre, et je resterai dans la mienne, poursuivit Luca, avec une lueur de défi dans la voix. Nous vivrons comme deux étrangers sous le même toit. Je ne veux pas de faux-semblants.
Encore une fois, Amélie acquiesça, toujours d’un ton calme.
— Je comprends, répondit-elle.
Le silence s’installa un instant. Luca, qui s’était attendu à un sursaut d’émotion, à une prise de position, se retrouva désemparé. Elle semblait accepter chaque règle qu’il imposait sans la moindre réticence. C’était comme si tout cela n’avait aucune importance pour elle.
— Est-ce tout ? demanda-t-elle, brisant enfin le silence, son regard toujours aussi impénétrable.
Luca la fixa, quelque peu décontenancé. Non, ce n’était pas tout. Il y avait encore quelque chose, quelque chose qu’il devait faire éclater.
— Oui, pour l’instant, répondit-il d’une voix plus froide, je crois que c’est tout. Mais ne pense pas que cela va être facile. Ce n’est qu’un début.
Il tourna les talons, quittant la pièce sans un mot de plus. Il se sentait pris au piège. Pourquoi diable avait-il cru que ce mariage serait simple ? Pourquoi était-ce lui qui se retrouvait désarçonné par une simple femme qui, visiblement, ne se laissait pas atteindre par ses provocations ?
Les jours qui suivirent, Luca s’enfonça de plus en plus dans son plan. Il continuait à imposer des règles, à maintenir un distance glaciale entre eux. Amélie ne réagissait toujours pas. Elle respectait ses règles, sans broncher, avec une froideur désarmante.
Un soir, alors qu’il rentrait d’une réunion d’affaires, il la trouva, comme d’habitude, dans le salon, seule, les yeux rivés sur un livre. Elle ne l’avait même pas remarqué. Il se tenait là, observant sa silhouette, le dos droit, ses traits détendus, comme si elle n’était pas prisonnière de ce mariage. Et c’était là tout le problème.
Il s’approcha d’elle d’un pas lent, en gardant une certaine distance.
— Amélie, pourquoi ne me dis-tu rien ? demanda-t-il d’un ton plus acerbe qu’il ne l’avait voulu.
Elle tourna la tête vers lui, comme si elle n’était pas surprise.
— Que veux-tu que je te dise ? répondit-elle avec une douceur glacée.
Il s’assit en face d’elle, et pour la première fois depuis qu’ils étaient arrivés à cet endroit, il s’avoua que son calme l’énervait. Ce n’était pas ce qu’il attendait. Il voulait voir la colère, la frustration, quelque chose qui briserait ce masque impassible qu’elle portait. Mais tout ce qu’il obtenait, c’était cette tranquillité étrange qui le perturbait encore plus.
— Je t’impose des règles, Amélie, des règles qui devraient te faire réagir, et tu restes là, sans rien dire. Pourquoi ? Pourquoi tu ne me combats pas ? Pourquoi tu te soumets sans un mot ?
Elle ferma lentement son livre, le posa sur la table basse et le fixa dans les yeux. Un regard d’une profondeur insondable.
— Parce que je ne vois pas l’intérêt de me battre, Luca. Ce mariage n’a jamais été une question de sentiment pour moi. Tu l’as bien compris, n’est-ce pas ?
Luca se figea. Ces mots frappèrent son esprit comme une gifle. Elle ne se battait pas parce qu’elle n’en voyait pas l’utilité. Elle avait compris dès le départ. Il n’avait pas de pouvoir sur elle.
— Tu… tu es vraiment indifférente à tout ça ? demanda-t-il, une pointe de colère dans la voix.
Elle soupira doucement, presque comme si elle le plaignait.
— Non, Luca. Je ne suis pas indifférente. Mais je suis réaliste. Tu peux imposer toutes les règles que tu veux, cela ne changera rien à la réalité de notre situation. Nous sommes liés par des obligations, rien de plus.
Ces mots le frappèrent avec une telle force qu’il en resta sans voix. Il avait cru que, d’une manière ou d’une autre, elle céderait, qu’il pourrait la briser en la provoquant, en la poussant dans ses retranchements. Mais elle était différente. Elle avait vu la situation pour ce qu’elle était, et elle ne cherchait même pas à la changer. Elle acceptait, elle se soumettait sans broncher. Mais c’était une soumission qui le piégeait à chaque instant.
Les jours passaient et Luca ne cessait de mettre en place des règles supplémentaires. Chaque heure qu’Amélie passait dans la suite, chaque moment qu’ils partageaient, était une occasion pour lui de tester ses limites, de voir si elle allait craquer, si elle allait enfin réagir. Mais rien. Toujours cette même réponse calme et polie.
Il commença à se demander si tout cela avait un sens. Chaque provocation qu’il lançait semblait se perdre dans le vide, sans la moindre étincelle de vie. Il était fatigué. Fatigué de la voir si calme, si insensible à ses attaques. Et chaque jour qui passait, son irritation grandissait, tout comme cette étrange sensation d’impuissance qui le rongeait de l’intérieur.
Amélie, dans son coin, continuait de jouer le jeu, sans jamais flancher. Mais Luca savait que, quelque part, quelque chose se cachait derrière son regard. Et il était déterminé à le découvrir.
