Chapitre 4
Depuis cette journée au centre commercial, rien n’avait vraiment changé dans la maison de Maximilian. Ou plutôt, tout avait changé.
Isla refusait de sourire. Isla refusait de jouer. Isla refusait de manger. La fillette, d’ordinaire turbulente, s’était transformée en une petite ombre silencieuse.
La gouvernante n’arrivait plus à la distraire. Les nounous se succédaient, chacune quittant la maison avec le même constat : impossible d’obtenir un mot, impossible de la tirer de son mutisme.
Et puis, un soir, la situation s’aggrava. Isla avait de la fièvre.
Maximilian entra précipitamment dans la chambre, son téléphone collé à l’oreille.
- Oui, faites venir le médecin immédiatement, ordonna-t-il d’une voix glaciale. Mais son visage, lui, exprimait une inquiétude fébrile.
Sur le lit, Isla grelottait malgré les couvertures. Ses joues étaient rouges, son regard vague. Elle murmura faiblement :
- Sofia…
Ce prénom résonna comme une gifle pour Maximilian. Il posa son téléphone et s’assit au bord du lit.
- Isla, je suis là. Papa est là.
Mais l’enfant secoua faiblement la tête. Ses lèvres tremblaient.
- Je veux Sofia…
Le médecin arriva une heure plus tard. Diagnostic : rien de grave, une simple fièvre passagère. Mais le traitement prescrit n’eut pas l’effet espéré. Isla refusait de prendre ses médicaments, refusait même de boire de l’eau. Chaque fois qu’on essayait, elle répétait obstinément :
- Je veux Sofia…
Maximilian passa une nuit blanche au chevet de sa fille. Il n’avait pas fermé l’œil, le cœur serré à chaque gémissement. Lui, l’homme implacable, habitué à diriger des centaines d’employés, se retrouvait démuni devant une fillette qui réclamait une seule chose : une présence qu’il ne pouvait pas acheter.
Au petit matin, il craqua.
Il prit son manteau et sortit dans le froid, sa voiture filant à vive allure vers le centre commercial.
Sofia était en pause lorsqu’il fit irruption dans le café. Son entrée attira immédiatement l’attention : costume sombre impeccable, regard dur, démarche rapide.
Elle fronça les sourcils en le voyant.
- Monsieur… ?
Il ne lui laissa pas le temps de finir.
- Isla est malade. Elle a de la fièvre. Elle ne veut rien avaler. Elle répète votre nom sans arrêt. Sa voix, d’ordinaire parfaitement maîtrisée, vibrait d’une tension inhabituelle. Venez.
Sofia écarquilla les yeux.
- Quoi ? Mais…
- Venez maintenant, coupa-t-il. Ce n’était pas un ordre brutal, c’était presque une supplique déguisée.
Elle hésita, serrant ses mains. Tout son corps lui criait de dire non, de se protéger de cet univers qui n’était pas le sien. Mais le visage fiévreux d’Isla lui traversa l’esprit, et son cœur se serra.
- Mais je ne peux pas... je risque de perdre mon emploi si j'abandonne mon poste.
L'une des collègues de Sofia voyant leur désarroi, propose d'assurer l'intérim le temps qu'elle aille voir Isla.
- D’accord, dit-elle enfin. Mais juste pour la soigner.
La voiture fila à travers la ville. Sofia, silencieuse, regardait défiler les paysages par la vitre. Maximilian, assis à côté d’elle, gardait le regard fixé droit devant lui. Ses doigts pianotaient nerveusement sur sa cuisse, signe rare de son agitation intérieure.
Lorsqu’ils arrivèrent au manoir, Sofia eut un instant de vertige. La bâtisse imposante se dressait comme un château moderne, ses vitres reflétant l’aube naissante.
- C’est… immense, murmura-t-elle malgré elle.
- Ce n’est qu’une maison, répondit Maximilian d’une voix basse, sans fierté.
En entrant dans la chambre d’Isla, Sofia sentit son cœur se briser. La fillette était recroquevillée sous les couvertures, ses joues brûlantes. Ses yeux mi-clos s’ouvrirent à peine, puis soudain, ils brillèrent.
- Sofia… souffla-t-elle, un sourire fragile aux lèvres.
Sofia s’approcha rapidement et s’assit au bord du lit.
- Je suis là, Isla. Chut, ça va aller.
La petite, comme apaisée par une simple caresse, se blottit contre elle. Et, à la stupeur de Maximilian et de la gouvernante, accepta enfin de boire quelques gorgées d’eau.
- Merci… murmura-t-il presque inaudiblement, se tenant en retrait.
Les heures suivantes furent étranges. Sofia resta près d’Isla, lui parlant doucement, lui fredonnant des chansons simples. La fièvre commença à redescendre. À chaque fois que Sofia s’éloignait un peu, l’enfant gémissait et tendait les bras.
- Elle ne veut que vous, constata la gouvernante, secouant la tête avec un mélange de fatigue et d’admiration.
Maximilian, lui, observait en silence. Il voyait sa fille sourire faiblement pour la première fois depuis des jours. Il voyait Sofia, patiente et douce, réussir là où lui avait échoué.
Le soir, alors qu’Isla s’était enfin endormie profondément, Maximilian accompagna Sofia jusqu’au salon.
Il prit une inspiration.
- Vous voyez la situation. Elle ne va pas mieux sans vous.
Sofia secoua la tête.
- Je n’ai pas prévu de rester. J’ai mon travail, ma vie…
- Je vous demande seulement quelques semaines, insista-t-il, son regard brillant d’une intensité inhabituelle. Le temps qu’Isla se rétablisse vraiment. Après, vous déciderez.
Elle resta silencieuse, troublée.
- Je vous offrirai tout ce que vous voulez, ajouta-t-il.
Sofia leva les yeux vers lui, soutenant son regard.
- Ce n’est pas une question d’argent.
Il baissa légèrement la tête.
- Alors… faites-le pour elle.
Le silence tomba dans le grand salon, seulement troublé par le tic-tac d’une horloge ancienne.
Finalement, Sofia soupira.
- D’accord. Mais c’est temporaire. Je reste uniquement pour Isla.
Un éclair de soulagement traversa le visage de Maximilian.
- C’est tout ce que je demande.
La première nuit, Sofia dormit dans une chambre d’amis, simple mais luxueuse. Le lendemain matin, Isla se leva en meilleure forme et courut aussitôt la chercher.
- Sofia ! Tu restes avec moi ? Pour toujours ? demanda-t-elle en serrant sa main.
Sofia esquissa un sourire.
- Pour un moment, Isla. Juste pour un moment.
Mais dans les yeux de la petite, il n’y avait aucun doute : elle croyait avoir enfin trouvé ce qu’elle voulait.
