Chapitre 3
La grande maison de Maximilian, avec ses vastes baies vitrées et ses couloirs silencieux, n’avait jamais paru aussi étouffante. Depuis le matin, Isla s’était enfermée dans sa chambre, refusant de manger et ignorant les appels de son père.
- Isla, ouvre la porte. Ce n’est pas une façon de se comporter, dit Maximilian d’une voix ferme, mais sans colère.
De l’autre côté, un gémissement plaintif lui répondit.
- Je ne veux rien ! Je veux… je veux… Sa voix s’étrangla, et un silence lourd s’installa.
Maximilian posa la main contre la porte, impuissant. Il était habitué à gérer des contrats de plusieurs millions, des négociations froides et calculées, mais face à sa propre fille en larmes, il se sentait désarmé.
Il fit signe à la gouvernante, qui secoua la tête avec inquiétude.
- Elle n’a presque rien touché de la journée, monsieur. Elle refuse même ses gâteaux préférés.
Maximilian soupira.
- Très bien… Je vais essayer autre chose.
Il ouvrit la porte avec sa clé et entra. Isla était assise sur le tapis, les bras croisés, ses joues humides de larmes. Sa poupée aux cheveux roses gisait à ses côtés, abandonnée.
- Isla, qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il doucement, s’agenouillant devant elle.
Elle leva vers lui des yeux rougis.
- Tu ne comprends pas ! cria-t-elle, ses petites mains serrées en poings.
Maximilian fronça les sourcils.
- Qu’est-ce que tu veux ? Dis-le-moi. Je peux tout t’acheter, Isla. Tu veux des jouets ? Ou Tu veux des gâteaux ?
Mais la petite secoua la tête avec rage.
- Pas un jouet ! Pas un gâteau ! Je veux ça ! répéta-t-elle, tapant des pieds au sol.
Un malaise grandit en Maximilian. Il était habitué aux demandes matérielles de sa fille, à ses caprices bruyants. Mais cette fois, il sentait que quelque chose de plus profond était en jeu.
- J'ai une idée. Et si on faisait un tour au centre commercial ? tu trouveras certainement quelque chose qui va te plaire.
La petite fille fit la moue, mais une petite lueur apparu dans ses yeux.
- Très bien, dit-il en se redressant. Habille-toi. Nous allons sortir. Montre-moi ce que tu veux vraiment.
Une heure plus tard, la voiture noire de Maximilian s’arrêta devant le centre commercial. Isla, qui avait gardé le silence pendant tout le trajet, bondit hors de la voiture à peine la portière ouverte.
- Doucement ! lança Maximilian, mais sa fille courait déjà à travers l’entrée vitrée, ses cheveux bruns volant derrière elle.
Les passants se retournaient, intrigués, alors qu’elle filait droit vers le café où travaillait Sofia. Maximilian la suivit d’un pas rapide, les mains dans les poches, une pointe d’agacement mais aussi d’inquiétude dans le regard.
- Sofia ! cria Isla dès qu’elle l’aperçut derrière le comptoir. Ses yeux brillants trahissaient à la fois la joie et le soulagement.
Sofia, surprise, leva la tête en entendant son prénom. Elle n’eut pas le temps de réagir qu’Isla se jeta dans ses bras, l’agrippant avec une force inattendue.
- Papa ! j'ai trouvé ce que je voulais.
- Qu'es-ce que tu veux ? dis-moi. j'espère que ce n'est pas encore un de ces jouets qui font un bruit infernal.
- Je veux ça ! hurla Isla en pointant Sofia du doigt, ses petits bras toujours autour de son cou. Papa, je veux Sofia !
Un silence s’installa dans le café. Quelques clients s’échangèrent des regards amusés, d’autres observaient la scène avec curiosité.
Maximilian, impassible en apparence, s’approcha lentement. Son regard glissa de sa fille accrochée à Sofia à la jeune femme elle-même, visiblement décontenancée.
- Tu devrais être plus raisonnable Isla. Choisi un jouets ou n'importe quelle autre chose.
- Non papa ! Je ne veux pas autre chose je veux Sofia ! Cria t-elle de nouveau.
- Sofia… dit-il calmement. Je crois que ma fille vient de formuler son désir de façon très claire.
Sofia, les bras maladroitement refermés sur l’enfant, chercha ses mots.
- Je… je ne comprends pas.
- Elle veut que vous soyez auprès d’elle, répondit Maximilian sans détour. Sa voix était basse, son ton toujours mesuré, mais une pointe d’impuissance y transparaissait. Je n’ai jamais vu Isla dans un tel état. Elle a refusé de manger, de sortir… Tout ça pour revenir vous voir.
Isla serra plus fort encore Sofia.
- Je veux Sofia avec moi ! À la maison ! Tous les jours !
Sofia écarquilla les yeux.
- À la maison ? Mais… non… Elle tenta de poser l’enfant à terre, mais Isla s’accrochait désespérément.
Maximilian soupira, glissant une main dans ses cheveux.
- Je vous propose… un arrangement. Vous pourriez venir travailler pour moi. Isla a manifestement besoin de vous. Peut-être comme gouvernante, tutrice… appelez cela comme vous voulez.
Sofia resta figée. Elle sentait le regard intense de Maximilian peser sur elle. Ses collègues derrière le comptoir retenaient leur souffle. La proposition avait été posée simplement, sans détour, mais elle résonnait comme un ordre déguisé.
- Non, dit-elle enfin, d’une voix ferme mais calme.
Le silence s’épaissit. Maximilian arqua un sourcil.
- Non ? répéta-t-il, comme s’il n’entendait jamais ce mot.
- Je suis désolée, poursuivit Sofia en essayant doucement de détacher les bras d’Isla de son cou. Mais ma vie est ici. Mon travail est ici. Je ne peux pas quitter tout ça pour… Son regard glissa brièvement vers Maximilian. …pour m’installer dans un monde qui n’est pas le mien.
Isla se mit à pleurer bruyamment, ses larmes coulant sur ses joues.
- Mais je veux Sofia ! Je la veux ! Papa ! hurla-t-elle, provoquant des regards amusés ou gênés parmi les clients.
Maximilian inspira profondément, essayant de contenir son irritation. Son regard revint sur Sofia, intense et perçant.
- Vous comprenez la situation… dit-il doucement, mais son ton avait cette fermeté glaciale qu’il utilisait lors de ses négociations les plus dures. Ma fille ne demande jamais ce genre de choses. Je suis prêt à vous offrir tout ce que vous voulez. Salaire, logement, sécurité… Peu importe.
Sofia soutint son regard. Contrairement à tant d’autres, elle ne semblait pas impressionnée par ses promesses. Ses yeux brillaient d’une détermination tranquille.
- Avec tout le respect, monsieur… ce n’est pas une question d’argent. Elle caressa doucement les cheveux d’Isla pour tenter de l’apaiser. Je comprends son attachement, mais je ne suis pas… la solution miracle à tout.
Isla, entre deux sanglots, cria encore :
- Je veux Sofia ! Papa je veux qu'elle vienne avec nous !
Maximilian sentit un nœud dans sa poitrine. Pour la première fois depuis longtemps, il n’avait aucun contrôle. Ni sur sa fille, ni sur la situation.
- Je… commença-t-il, mais sa voix se brisa légèrement, chose rare pour lui. Il détourna le regard, troublé.
Sofia, voyant son désarroi, adoucit sa voix.
- Je viendrai la voir, de temps en temps. Mais je ne peux pas quitter ma vie.
Isla s’accrocha encore, ses larmes redoublant. Maximilian posa alors sa main sur l’épaule de Sofia, son regard grave.
- Vous ne comprenez pas. Sa voix était plus basse, presque suppliante. Elle ne lâchera pas. Et moi… je ne sais pas comment la calmer autrement.
Sofia soutint son regard, le cœur battant. Elle voyait l’homme puissant, froid et charismatique, mais derrière ses yeux, il y avait une lueur différente, celle d’un père dépassé, vulnérable.
- Je ne peux pas accepter, répéta-t-elle doucement. Mais je vous promets une chose. Je resterai présente… tant que je pourrai.
Maximilian resta immobile, partagé entre frustration et reconnaissance. Isla, toujours dans les bras de Sofia, reniflait bruyamment, incapable de lâcher prise.
La scène, étrange et émouvante, attira encore des regards curieux. Mais pour Maximilian, le monde extérieur n’existait plus. Il n’y avait que sa fille en pleurs, cette jeune femme au regard sincère, et cette phrase qui résonnait encore :
« Papa, je veux ça… »
