Frissons de Sang
Le silence après la fusion était plus lourd que le marbre. Le souffle encore brûlant de Nael se mêlait à l’air chargé de désir et de mystère de la crypte. Aeliana, allongée contre lui, semblait rêver les yeux ouverts, un sourire à peine esquissé sur ses lèvres pleines, rougies par son sang. Il la regardait comme on observe un feu sacré : fasciné, terrifié, incapable de détourner les yeux.
Mais au fond de lui, quelque chose remuait. Une énergie nouvelle. Une sensation qu’il n’avait jamais connue. Il avait déjà pris des femmes. Il avait mordu, griffé, aimé parfois. Mais cette fois… quelque chose avait glissé dans ses veines, plus profond que le plaisir, plus vaste que le désir. C’était un frisson d’éternité. Comme si leur union avait ouvert une porte enfouie dans ses entrailles. Et derrière cette porte… un rugissement ancien.
Aeliana se redressa, ses cheveux noirs tombant en cascade sur ses épaules nues. Son regard rouge s'était adouci, mais brillait encore d’un éclat étrange.
— Tu l’as senti, toi aussi ?
Nael hocha la tête. Il ne savait pas encore quoi répondre. Tout en elle était paradoxe : douceur et menace, offrande et possession. Il lui caressa la hanche sans y penser, traçant du bout des doigts les marques qu’il y avait laissées.
— Tu parlais d’un appel… D’un pouvoir.
Elle se leva sans se couvrir, laissant son corps lumineux danser dans l’ombre comme un sortilège. Elle s’approcha d’un miroir ancien, orné de symboles gravés que Nael ne connaissait pas.
— Il existe une prophétie, souffla-t-elle. Une union interdite, entre la dernière fille du Cercle d’Héméra… et l’Héritier du Croisement. Un être mi-loup, mi-sang. Tu.
Nael se releva à son tour, le corps encore vibrant de leur fusion. Il s’approcha d’elle, méfiant.
— Je ne suis pas une prophétie. Je suis une anomalie.
— Non. Tu es l’équilibre.
Le miroir s’illumina à ces mots, et une image apparut : un monde en flammes, des silhouettes hurlantes, et au centre, une silhouette hybride, hurlant vers le ciel. Nael.
Il recula, les poings serrés.
— Ce n’est pas moi. Je n’ai rien demandé à personne.
— C’est trop tard, Nael. Ce que nous avons éveillé ensemble ne peut plus être ignoré.
Il la regarda, sa beauté devenue presque douloureuse à regarder.
— Pourquoi moi ?
Elle le regarda avec une tendresse soudaine.
— Parce que malgré ce que tu crois, tu n’es pas né par erreur. Tu es né pour unir ce que les anciens ont divisé. Sang et croc. Mort et chair. Tu es la cicatrice et le remède.
Le miroir explosa soudain, projetant des éclats d’argent autour d’eux. Aeliana se tourna brusquement.
— Ils arrivent.
— Qui ?
— Les Gardiens du Néant. Ils sentent le pouvoir. Ils veulent le détruire avant qu’il n’éclose.
Nael grogna. Son instinct de loup s’éveilla, ses canines s’allongèrent.
— Qu’ils viennent.
Mais Aeliana lui saisit le bras.
— Non. Pas ici. Tu n’es pas prêt. Ce que tu ressens en toi doit être dompté, maîtrisé. Sinon… tu seras leur proie.
Elle s’élança dans un couloir dissimulé derrière une tapisserie ancienne. Nael la suivit, encore nu, encore brûlant. Les murs rétrécissaient, la pierre semblait pleurer. Il entendait leurs poursuivants dans les ombres, des pas rapides, des souffles sifflants. Les Gardiens.
Ils débouchèrent dans une chambre souterraine où une fontaine de sang coulait en silence. Aeliana tendit les bras.
— Bois.
Nael la regarda, hésitant.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le sang des anciens. Il te révélera.
Il s’agenouilla, plongea les mains dans le liquide tiède, puis porta le sang à ses lèvres. Ce fut comme une explosion dans sa poitrine. Une chaleur monstrueuse. Des visions. Des souvenirs qui n’étaient pas les siens. Il se vit enchaîné à un autel, hurler à la lune, baiser des lèvres interdites, tuer par amour, renaître dans une flamme noire.
Il cria, mais Aeliana était là, ses mains sur son torse, sa bouche sur son front.
— Respire. Accueille. Embrasse ce que tu es.
Une lumière rouge éclata autour de lui, et quand il se releva, ses yeux brillaient d’un éclat doré et écarlate mêlés. Il n’était plus tout à fait lui.
Les Gardiens arrivèrent dans la pièce. Cinq silhouettes encapuchonnées, armées de lames de lumière noire. L’un d’eux parla :
— Le Sang a parlé. L’hybride doit mourir.
Nael se plaça devant Aeliana, les poings serrés.
— Il faudra me passer sur le corps.
— Ce sera fait.
Le combat éclata.
Nael se mouvait comme jamais. Chaque coup qu’il portait vibrait d’une force nouvelle. Il sentait les griffes jaillir, les crocs éclater, mais il contrôlait chaque geste. Aeliana, derrière lui, récitait une incantation dans une langue oubliée, et les murs eux-mêmes semblaient frissonner. Les Gardiens étaient puissants, mais désunis. Leur haine les aveuglait. Et Nael… n’était plus un fuyard. Il était le pont. L’Alpha du chaos.
Quand le dernier Gardien s’effondra dans un râle, Nael se retourna vers elle. Son corps était couvert de sang. Elle s’approcha et lécha lentement une plaie sur son épaule.
— Tu t’éveilles. C’est exquis.
Il l’attira brutalement contre lui et l’embrassa, leurs bouches enfiévrées, pleines de sang et de feu. Elle gémit dans sa gorge et s’agenouilla devant lui, le regard levé comme devant un dieu nouveau. Il sentit sa langue sur lui, douce, experte, et perdit pied. Elle le goûta comme un fruit interdit, l’avala avec ferveur, le caressa, le posséda.
Et quand il explosa dans sa bouche avec un cri rauque, elle sourit comme une prêtresse comblée.
— Le sang est éveillé, murmura-t-elle. Et la nuit… ne sera plus jamais la même.
Mais dans l’ombre d’un vitrail, une autre silhouette les observait.
Et cette silhouette… connaissait le passé de Nael mieux que lui-même.
