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#Chapitre 4

Les jours passaient, et Mila s’imposait peu à peu dans son nouveau poste. Ses idées étaient fraîches, son carnet de contacts étoffé, et sa maîtrise des codes événementiels impressionnait même les plus sceptiques. Mais chaque réussite venait avec son lot de regards, de sous-entendus, de jalousies voilées. Elle savait qu’ici, dans cette boîte dirigée par son ancien amour, chaque pas serait scruté. Et Sarah n’en ratait aucun.

Ce matin-là, alors que Mila peaufinait un dossier pour le lancement d’une nouvelle campagne de sensibilisation environnementale, elle fut convoquée dans la salle de brainstorming. L’équipe communication s’y réunissait en urgence pour revoir toute la stratégie d’approche. À son arrivée, Jordan était déjà là, accoudé à la table centrale, dossier à la main, l’air absorbé. Sarah, elle, était debout, en tailleur vert foncé, les bras croisés, prête à attaquer.

— Mila, justement. J’aimerais que tu nous expliques pourquoi tu proposes un format interactif avec des influenceurs alors que le client préfère une approche plus institutionnelle.

Sarah lança sa phrase comme une pique, mais Mila ne broncha pas. Elle ouvrit son ordinateur, projeta le visuel de sa présentation et prit la parole.

— J’ai étudié les anciennes campagnes. Toutes ont manqué d’impact viral. Le client veut de la visibilité, pas seulement du prestige. Mon approche combine les deux. En intégrant des personnalités fortes, on touche directement la cible jeune, tout en gardant le ton officiel via les partenaires étatiques. Le format hybride fonctionne. Je l’ai vu au Canada avec HydroQuébec et One Tree Planted. Résultats mesurables : plus 38 % d’engagement.

Jordan se redressa lentement, les yeux fixés sur l’écran. Puis, sans un mot, il se tourna vers Sarah.

— C’est pertinent. On peut tester son approche sur la première phase. Si ça prend, on développe.

Sarah serra les mâchoires. Ce n’était pas la réponse qu’elle attendait. Son regard glissa brièvement vers Mila, chargé de cette tension sourde que seules les femmes se lancent quand elles ne veulent pas se faire d’ennemies… mais ne peuvent s’en empêcher.

À la fin de la réunion, Mila rangeait ses affaires quand Jordan s’approcha.

— Belle démonstration.

Elle le fixa brièvement.

— Ce n’était pas une démonstration. Juste du travail bien fait.

Il sourit, mais elle détourna déjà la tête. Elle n’allait pas lui offrir une seconde de plus.

Le soir, Sarah rentra au duplex qu’elle partageait avec Jordan, le cœur serré. Elle n’aimait pas cette distance qu’il affichait depuis quelques jours. Elle l’avait conquis en étant brillante, indépendante, et sûre d’elle. Elle l’avait maintenu par l’adrénaline, par leur ambition commune. Mais aujourd’hui, quelque chose avait changé. Jordan semblait flotter entre deux mondes. Le regard perdu, les gestes mécaniques. Et elle savait pourquoi.

Mila.

Dans la salle de bain, elle se démaquilla lentement, observant son reflet. Elle avait toujours su qu’un jour, cette fille reviendrait. Jordan ne parlait jamais d’elle. Mais les silences sont parfois plus révélateurs que les aveux. Elle avait toujours perçu, au fond de lui, une faille. Et maintenant, Mila la faisait trembler.

Pendant ce temps, Mila, elle, arpentait le marché de Treichville avec Soraya. Elle voulait un pagne original pour se faire coudre une tenue pour la soirée d’inauguration prévue par l’agence.

— Tu comptes y aller pour travailler, ou pour marquer les esprits ? lança Soraya, en soupesant un tissu jaune vif.

— Je veux y aller pour moi. Pour rappeler que je suis là. Et que je ne m’excuserai pas d’exister.

— Jordan sera là, hein ?

— Je sais.

— Et Sarah ?

Mila la fixa, un sourire en coin.

— Elle aussi. Mais elle ne m’impressionne pas.

— Elle ne t’impressionne peut-être pas, mais elle a du pouvoir. Elle connaît tout le monde, contrôle son image, et elle est prête à te faire la guerre.

— Qu’elle le fasse. Je suis pas venue chercher la paix.

La soirée d’inauguration approchait à grands pas. Le jour J, Mila entra dans la salle de réception de l’Hôtel Ivoire vêtue d’une robe-pagne au dos nu subtil, rehaussée de boucles d’oreilles dorées et d’un rouge à lèvres profond. Les conversations cessèrent brièvement. Elle était magnifique. Présente sans excès. Élégante sans arrogance. Mais ce soir-là, c’était sa lumière qui dérangeait.

Jordan la vit avant même qu’elle franchisse le tapis rouge. Un frisson involontaire remonta le long de son échine. Elle avançait, et autour d’elle, le silence s’imposait. Il n’y avait pas d’effort dans sa démarche. Juste une assurance troublante.

Sarah, à quelques mètres de là, vit le regard de Jordan se figer. Elle comprit. Elle comprit que cette soirée serait décisive.

Mila salua quelques invités, s’approcha du buffet, discuta brièvement avec un partenaire de la Banque Atlantique, puis s’éloigna sur la terrasse pour prendre un peu d’air.

Jordan la rejoignit quelques minutes plus tard.

— Tu étais faite pour ce monde.

— Le monde n’est pas fait pour qu’on l’attende. Il faut entrer. Parfois de force.

— Tu parles comme quelqu’un qui revient avec un compte à régler.

Elle se retourna.

— Peut-être que j’en ai un. Peut-être que j’ai décidé de me réapproprier ce qu’on m’a volé. Mon temps. Mon énergie. Mon amour.

Il voulut réagir, mais elle l’interrompit :

— Je ne suis pas là pour raviver quoi que ce soit. Je suis là pour réussir. Si tu fais partie des obstacles, je te contournerai.

— Je ne veux pas être un obstacle.

— Alors ne me regarde pas comme tu le fais. Ne me parle pas comme si tu cherchais à réparer l’irréparable.

Un silence tendu s’installa. Mila le brisa en tournant les tal… non, en s’éloignant doucement vers le hall, sans se retourner. Jordan resta seul, le regard perdu sur la ville illuminée.

De son côté, Sarah avait tout vu, tout entendu. Elle avait suivi, discrètement. Chaque mot résonnait encore dans sa tête. Elle ne laisserait pas cette fille détruire ce qu’elle avait construit. Jordan lui appartenait. Il lui devait fidélité, reconnaissance, et ambition. Mila n’était qu’un fantôme revenu frapper à la mauvaise porte.

Le lendemain, dans les couloirs d’Élite Média, l’ambiance avait changé. Les tensions étaient palpables. Sarah convoqua Mila dans son bureau.

— J’ai remarqué certaines… maladresses dans ton rapport d’événement. Des erreurs de chiffres, de mise en page. Rien de catastrophique, mais tu comprends, à ce niveau, on ne peut pas se permettre de légèreté.

Mila se contenta d’un regard calme.

— Je vais relire le dossier. Et corriger.

— Fais vite. Et veille à ce que ça ne se reproduise pas.

Sarah voulait la piéger. L’user. La fatiguer. Mais Mila n’était pas du genre à reculer. Elle passa la nuit sur le rapport, vérifia chaque donnée, restructura toute la présentation, et ajouta même une projection des résultats à six mois. Le lendemain, elle le déposa sur le bureau de Sarah, avant même qu’elle n’arrive.

À midi, Jordan convoqua Mila dans son bureau.

— Sarah m’a montré ton rapport final. Impressionnant.

— Je fais simplement mon travail.

— Elle m’a aussi dit que tu avais été froide avec elle. Que tu avais refusé de lui parler avec respect.

Mila se figea. C’était une manœuvre claire.

— Tu me crois capable d’un tel comportement ?

— Je ne sais pas ce que je dois croire, Mila. Vous avez une tension, c’est évident. Mais si ça nuit à l’équipe, je devrai intervenir.

Elle se leva, posa ses mains sur la table.

— Tu veux savoir la vérité ? Sarah me provoque depuis le premier jour. Elle me voit comme une menace. Elle n’est pas professionnelle. Elle est stratégique. Et moi, je suis fatiguée de devoir me justifier.

Jordan soupira.

— Cette situation devient compliquée.

— Non, Jordan. Ce qui devient compliqué, c’est ton incapacité à poser des limites. Tu vis avec elle, tu travailles avec elle, et tu veux me gérer comme un dossier en suspens. Je suis une femme. Pas un fichier.

Et elle sortit, cette fois, sans attendre de réponse.

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