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-Ravi de vous revoir ici .
Mon corps tout entier se tend. J'attrape aussitôt la main de pour le tirer hors de ce bureau. Je me fiche qu'il me menace, je me fiche qu'il ne prenne pas mes intentions au sérieux mais je suis sûre que cette dernière phrase n'a rien d'innocent.
-Putain, il t'a reconnu, grommelé-je entre mes dents serrées.
-Il t'a surtout menacé Em' !
-Evidemment qu'il m'a menacée ! Il n'allait pas me laisser partir sans me donner un avertissement. Par contre, s'il t'a appelé par ton prénom, c'est qu'il sait qui tu es. Et ce que tu as fait. Ca craint. Ca craint beaucoup trop.
Nous quittons le centre au pas de course, pressés de retrouver l'inspecteur Anderson et de porter plainte. Evidemment, inutile de préciser que ce dernier me passe un savon monumental pour avoir osé retourner chez les fous et menacer leur chef. Une fois qu'il a fini de me faire entendre l'étendue de sa colère, le policier enregistre ma plainte et m'explique qu'il va enfin pourvoir enquêter activement contre Natur'alliance. Soulagés, nous laissons derrière nous le commissariat ainsi que tous les mauvais souvenirs que cette journée nous a apportés.
-Nico m'a envoyé trois messages cet après-midi, m'informe lorsque nous reprenons la route pour rentrer à la maison. On avait prévu une grosse répêt' pour ce soir mais avec tout ce qui s'est passé depuis hier, j'ai dit aux garçons qu'il ne fallait pas compter sur moi.
-Et Nico insiste pour que tu viennes quand même ?
-Oui, soupire-t-il en baissant les yeux. On a rendez-vous dans trois jours avec Tom Wallins pour l'enregistrement de notre premier EP. Nico dit qu'on a encore besoin de répéter. Il n'a pas franchement tort mais...
-Mais rien du tout. Je t'amène chez Nico et vous allez répéter. Ça te fera du bien de jouer et moi, ça me fera du bien de te regarder jouer.
abdique sur le champ. A croire que j'ai visé juste. Quand nous arrivons chez notre ami, nous retrouvons tout notre petit groupe. Nico, Sam et Jamie m'embrassent tour à tour. Ma copine me tend une bière que j'hésite à accepter. On m'a tellement privé du contrôle de mon corps hier que je ne crois pas avoir envie de m'infliger cela volontairement ce soir. Je réalise alors que mes amis ne sont pas du tout au courant de ce qui s'est passé. Seul Sam connait un peu de mon histoire avec Natur'alliance puisque a fait appel à une de ses connaissances pour nous aider à infiltrer le système de vidéosurveillance du centre. Je prétexte une migraine pour décliner la proposition de Jamie et la répétition commence.
Emmitouflée dans un grand canapé moelleux, la tête posée sur l'épaule de ma copine et une part de pizza entre les mains, je me sens bien. Je me sens bien entourée de ceux que j'aime et en qui j'ai confiance. Les garçons jouent inlassablement les trois même titres qu'ils perfectionnement pour donner le meilleur d'eux-mêmes. Standing by my side caracole d'ailleurs en tête de leur playlist. Si je ferme les yeux, je vois de nouveaux mots se dandiner dans mon esprit. Je sens les paroles naitre de cette communion tout à fait banale mais pourtant si parfaite que nous partageons tous les cinq. Alors j'attrape un bout de papier et je note des bribes de vers que je fourre dans ma poche.
Il est presque minuit quand nos musiciens préférés jouent leur dernier accord. Ils sont épuisés. Particulièrement qui a les traits tirés. Malgré tout ce que la musique a toujours su lui apporter, ce n'est pas suffisant ce soir. Il ne m'a pratiquement pas lâchée du regard, s'assurant que j'étais bien là, avec lui, en bonne santé. Une pointe de culpabilité m'enserre la poitrine. Je m'en veux de lui infliger mon fardeau et de le regarder souffrir. Je connais mon il ne trahira jamais l'un de mes secrets si je ne le fais pas moi-même. C'est ainsi que pour le libérer autant que moi, je dnde à mes amis de m'écouter et je leur raconte nos dernières péripéties. Je leur parle des soupçons que je dirige vers le centre, de la séance que j'ai subie hier et de la drogue que j'ai ingurgitée à mon insu. Je leur raconte les menaces de Copri et la plainte que j'ai déposée il y a quelques heures. Je leur explique que j'ai peur mais que je veux aller jusqu'au bout, pour ma mère, pour moi et pour tous les gens que ce centre manipule sans scrupule.
Mes amis m'écoutent religieusement. La fin de ma tirade sonne le glas de mes secrets. Trois paires d'yeux abasourdies me scrutent silencieusement avant que Jamie ne prenne la parole.
-Et bah putain !
Nous explosons aussitôt nerveusement de rire.
-Wow, je veux dire, c'est dingue cette histoire ! reprend-t-elle.
-Je sais et c'est pourtant la vérité.
-Et comment tu te sens aujourd'hui ?
-Un peu bizarre, je l'avoue, mais je vais bien. Il faut juste que je... que j'aille au bout. C'est tout ce qui m'importe.
Jamie me serre tendrement la main. Nico se retourne pour vérifier que va bien. Aucun de mes amis ne me dnde pourquoi je ne leur en ai pas parlé plus tôt. Aucun reproche ne fuse. Seuls des « dis-nous comment on peut t'aider » et des « que peut-on faire pour toi » éclatent dans le calme de cette douce soirée.
Lorsque je m'endors une heure plus tard, je sais que j'ai fait ce qu'il fallait. Les paroles rassurantes de mes amis m'accompagnent au pays des songes, tout comme les bras fermes de qui ne me lâchent plus, jamais.
Deux jours passent sans que je n'ai de nouvelles du Dr Copri ni de l'inspecteur Anderson. Deux jours à avoir la boule au ventre et sursauter au moindre bruit. Deux jours à m'abrutir de travail, de rendez-vous et de paperasse. Le seul point positif, c'est que j'ai enfin obtenu l'autorisation de travaux de la mairie pour aménager la maison de mes parents. Il me reste encore quelques devis à valider, quelques entrepreneurs à rappeler et les premiers changements pourront avoir lieu. J'ai hâte.
Si tout se déroule comme je le souhaite, l'étage sera remodelé pour accueillir une zone à visée administrative tandis que le rez-de-chaussée sera consacré à l'accueil des adolescents.
Je pensais que je poserais mes valises à l'étage mais finalement, je ne pense pas que je réussirais à prendre assez de recul avec mon passé en restant ici. Je préfère alors donner la priorité à mon centre d'accueil. J'aurais aussi aimé développer ce centre avec l'aide sociale publique mais toutes les démarches que j'ai enclenchées à ce jour n'ont rien donné. On me conseille de remplir des documents, de dnder des entretiens, d'écrire des ils. J'ai fait tout cela et pourtant, je n'ai jamais eu aucun retour de la mairie ou des services sociaux. Et comme je ne sais pas vers qui je dois me tourner et que je n'ai pas la patience d'arpenter les couloirs sinueux de la bureaucratie française, j'ai décidé de me débrouiller avec le pactole que mes parents m'ont légué. Je pense que je vais rapidement devoir trouver des investisseurs privés. Mais chaque chose en son temps.
Après une troisième matinée consacrée à la finalisation des plans de la maison avec l'architecte que j'ai engagé, j'ai la surprise de recevoir la visite de l'inspecteur Anderson. est au salon de tatouage, il avait deux gros rendez-vous ce matin. Instinctivement, je me dis que j'aurais préféré qu'il soit avec moi pour entendre ce que le policier a à me dire, peu importe la teneur de ses propos. Mais je refuse de lui dnder de rentrer. Je suis une grande fille. Et c'est cet après-midi qu'il enregistre son EP. Je ne suis pas égoïste au point d'ébranler sa concentration juste avant le rendez-vous le plus important de sa carrière.
Je guide l'inspecteur vers la cuisine et lui propose quelque chose à boire.
-Un verre d'eau s'il vous plait.
Je m'installe ensuite en face de lui. Je triture nerveusement mes doigts en attendant qu'il prenne la parole mais heureusement pour moi, cet homme ne m'a jamais habitué à tourner autour du pot.
-La plainte que vous avez déposée nous a permis d'interroger le Dr Copri ainsi que la plupart de son équipe. J'attends encore l'autorisation du juge pour interroger également les membres de la communauté mais j'ai obtenu ce matin le mandat de perquisition que j'ai dndé. En revanche, l'analyse de la pilule que vous a donné le Dr Copri n'a rien donné. Un simple mélange de plante. Je ne peux pas vous dévoiler le contenu de son interrogatoire mais je voulais que vous sachiez que nous avançons. Nos actions deviennent enfin concrètes. Fini la surveillance passive, nous pouvons maintenant agir. Je ne vous dnderai qu'une chose, : restez le plus loin possible de Natur'alliance. N'acceptez aucune discussion, aucun entretien avec qui que ce soit là-bas. Compris ?
-Compris.
Le policier prend congé aussi rapidement qu'il est arrivé mais je suis soulagée. L'enquête avance et bientôt, ces charlatans seront derrière les barreaux. Ils paieront pour ce qu'ils m'ont fait.
J'appelle sans attendre pour lui annoncer ces bonnes nouvelles. Le garçon éructe de joie à l'autre bout du fil.
-Je suis tellement content, Em' ! On va les faire tomber et ensuite on pourra tourner cette page ! Je suis fier de toi mon amour, tu n'imagines pas à quel point. Par contre, là il faut que je te laisse parce qu'on arrive au studio et que c'est un truc de dingue, c'est immense, on n'a jamais fait ça nous, c'est fou ! Je t'appelle quand on sort, je t'aime !
Je raccroche en riant de son monologue. L'après-midi défile à toute vitesse. Je valide les derniers devis et je peaufine le planning de travaux avec l'architecte. Le soleil est couché depuis un bon moment maintenant, mon ventre crie famine à tout va. Alors que je suis attablée au salon, entourée de dizaines de documents plus importants les uns que les autres, Jamie débarque sans s'annoncer, ouvrant la porte d'entrée comme si elle était chez elle.
-Putain, ça caille sacrément fort dehors !
-Bonsoir, vas-y, je t'en prie, fais comme chez toi.
-Oh ça va, on ne va pas chipoter entre nous, grogne-t-elle tout en embrassant ma joue. T'as eu des nouvelles des garçons ?
Jamie ôte son bonnet et son manteau avant de s'affaler à côté de moi. Je rassemble immédiatement tous les papiers éparpillés autour de moi. Apparemment, ma copine a décrété que ma journée de boulot était finie. Je lève les yeux vers elle pour lui répondre quand je réalise qu'elle a encore changé de couleur de cheveux. Ses pointes sont désormais rouges, flamboyantes.
-Oh oh... rouge pour la colère ou pour la passion ?
Ses joues prennent la teinte de ses cheveux.
-Oh mon dieu, je ne veux pas connaitre les détails ! Je te préviens Jamie, si tu oses me raconter les cochonneries que tu fais avec ma copine, je te déshérite !
-T'arrêtes un peu tes conneries ! ronchonne-t-elle en levant les yeux au ciel. Je n'ai aucune cochonnerie à te raconter.
-Mais... ?
-Mais... Sophia a enfin quitté son mec. Et elle... elle m'appelle tous les jours. Au début, je ne répondais pas. Je ne voulais pas la laisser jouer avec moi une fois de plus. Elle me laissait alors de longs messages sur mon répondeur, pour me raconter sa journée et me dire où elle en était avec son entourage.
-C'est plutôt positif alors ?
-Ouais... je crois. Elle a été honnête avec son mec et ça l'a plutôt libérée. J'espère maintenant qu'elle arrêtera de vivre en fonction des autres.
Mon téléphone nous interrompt. fou d'excitation et de joie, m'annonce presque en hurlant que leur enregistrement s'est super bien passé et qu'ils nous attendent chez Sam pour fêter ça. Nous commandons des sushis à emporter avant de quitter la maison.
-On prend chacune notre voiture ? Je ne pourrais pas rester très tard ce soir, m'avertit Jamie.
-Ah bon ? Tu as une autre copine qui t'attend pour finir la soirée ? m'empressé-je de la taquiner.
Son majeur me répond dans la pénombre tandis qu'elle fait le tour de sa voiture pour s'installer au volant. Il est plus de 21 heures, j'entends le moteur de sa voiture s'éloigner pendant que je peine à verrouiller la porte d'entrée. L'ampoule qui éclaire le porche a grillé, il faut vraiment que je la remplace.
Soudain, un bruit de pas me fait sursauter. Il fait nuit noire, je ne vois rien, je ne sens que les battements de mon cœur qui s'emballent sans limite. Vêtu entièrement de noir, un bonnet sur la tête, un homme m'attrape le bras et me plaque contre la porte. Je m'apprête à hurler pour appeler à l'aide quand il plaque sa main gantée contre ma bouche. Mes yeux exorbités tombent dans ceux, perçants, du gourou.
-Je croyais avoir été clair l'autre jour . Je ne vous laisserai pas détruire ce que j'ai mis des années à construire. Je vous laisse vingt-quatre heures pour retirer votre plainte. Sinon, vous prenez de gros risques. De très gros risques. N'oubliez jamais que je sais où vous habitez. Je sais où votre petit-ami habite. Je sais où trouver votre frère. Vous ne voudriez pas qu'il leur arrive des bricoles, n'est-ce pas ? Alors faites le nécessaire pour que cette foutue police nous laisse tranquille ou le regretterez.
