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Des fois, je me fais peur. J'ai peur de ce que je pourrais faire si quelqu'un s'en prenait à toi. Mais je sais déjà que je ne regretterai jamais tout ce que je suis prêt à faire pour te protéger. Tu es ce que j'ai de plus précieux et je te jure que je ne laisserai personne te faire du mal, peu importe ce qu'il m'en coutera.
« Vos analyses ne révèlent la présence d'aucune trace de drogue. »
Cette phrase tourne en boucle dans mon cerveau depuis ce matin. Et que dire de ? J'ai bien cru qu'il allait passer ses nerfs sur le pauvre interne qui est venu nous lire le résultat de mes analyses de sang. C'est tout simplement incompréhensible. Je suis formelle : Jason et le Dr Copri m'ont incitée à prendre ces deux pilules, ce sont elles qui m'ont plongée dans un état second. J'ai subi nausées, vertiges ou encore perte de repères mais aucune drogue n'est détectable dans mon organisme. Ce mystère va me rendre folle.
-Ils vont le payer Em', crois-moi !
profère menaces et insultes depuis que nous sommes arrivés à l'hôpital hier soir. Il est fou de rage. Nous attendons la visite du médecin pour être officiellement autorisés à quitter les lieux. Je n'ai qu'une envie, rentrer chez moi et prendre une bonne douche. Alors que je rassemble pour la dixième fois mes quelques affaires personnelles pour passer le temps et déguerpir au plus vite, l'inspecteur Anderson frappe à la porte.
-Bonjour Madame Pazzi, comment vous sentez-vous ce matin ?
-Bien mieux merci.
-Je viens de parler avec le médecin qui vous a prise en charge. Les analyses de sang ne prouvent pas que vous ayez été droguée. Cependant, je pense que même si les pilules que vous avez avalées sont un mélange à base de plantes – il s'agit là de la théorie la plus plausible pour expliquer qu'on n'ait retrouvé aucune trace de drogue dans votre sang- elles n'en restent pas moins dangereuses. Le Dr Copri sait pertinemment quels produits utiliser pour manipuler ses sujets. J'ai maintenant besoin de savoir si vous souhaitez porter plainte. Bien sûr, je ne vous cache pas qu'une plainte nous permettrait de mettre en place de réelles investigations et que nous...
-Oui. Je veux porter plainte.
Ma voix ne tremble pas. Je suis sûre de moi. Je ne veux plus jamais vivre ce que j'ai vécu. glisse sa main autour de la mienne et ensemble, nous faisons front. L'inspecteur Anderson semble apprécier ma réponse puisque comme à son habitude, il ne perd pas de temps. Il me dnde de passer au poste de police dès que je m'en sentirai capable et de ne pas remettre les pieds à Natur'alliance.
Une heure plus tard, je me délecte de l'eau brulante qui coule sur mes épaules. Les paupières closes, je laisse les gouttes dissoudre les dernières vingt-quatre heures. Un courant d'air frais me fait soudain sursauter mais je reconnais aussitôt la douceur des bras de qui se referment autour de mes hanches. Sa tête se niche entre mes omoplates, son corps se moule parfaitement au mien. Je soupire d'aise. Autour de nous, seul le concerto de l'eau ponctue le silence apaisant qui nous enveloppe. D'abord timides, les baisers de se font plus sensuels à mesure qu'il comprend que mon corps est totalement réceptif. J'ai besoin de sa tendresse et de son amour pour traverser toutes ces épreuves. De caresses en soupirs, nous ne formons plus qu'un tout. Le meilleur de nous. Et je crois que notre complicité me guérit un peu plus de l'horreur que j'ai vécu la veille. Parce que je ne pensais pas que le fait qu'on me vole le contrôle de mon corps et de mon esprit me marquerait autant. Mais c'est un fait. Je me sens faible, à la merci d'une bande de tarés qui ont pu faire ce qu'ils voulaient de moi pendant plusieurs heures sans que je sois consciente.
Une nouvelle fois, les bras de me sauvent de mes pensées. Il me sent trembler tout contre lui et même s'il a pertinemment conscience qu'il ne va pas supporter ce qu'il va entendre, il me dnde de lui dire ce que je ressens. Nue mais vêtue du plus bel amour qui soit, je ferme les yeux et je laisse naitre les mots. Ils sont un peu bringuebalants, pas franchement clairs ni assurés mais ils existent. Je les laisse prendre vie, prendre forme dans l'air qui nous entoure pour ne pas qu'ils me pourrissent de l'intérieur. s'agite nerveusement. Je comprends qu'il se retient de ne pas prendre sa voiture pour aller démolir ce centre de malheur. Mais mon homme vaut tout l'or du monde, il préfère ravaler sa fureur pour s'assurer que je me libère petit à petit.
Après une sieste ponctuée de rêves noirs, je me réveille avec une nouvelle idée en tête.
-... ?
-Hum, émerge-t-il sereinement.
-Je vais aller à Natur'alliance. J'ai besoin de sa-...
-Quoi ? Hors de question ! s'emporte-t-il aussitôt. Tu n'as pas entendu ce qu'a dit l'inspecteur Anderson ?
-Je sais très bien ce qu'il a dit. Mais avant d'aller porter plainte, je veux regarder ces enflures dans le blanc des yeux et les prévenir que je ne me laisserai plus faire.
-Em', tu sais que je t'aime plus que tout mais là, c'est du grand n'importe quoi ! Pourquoi est-ce que tu cherches encore à te mettre en danger ?
-Je ne cherche pas à me mettre en danger. Et je ne cherche pas non plus ton approbation. Je vais aller voir Jason et Copri et leur dire que leur petit manège est terminé.
Je me lève du lit sans lui donner le temps de rétorquer et descend les escaliers de chez moi en trombe. Je sais très bien que ce n'est pas raisonnable. Mais c'est fini. Ces voyous ne m'atteindront plus jamais. Alors je vais aller le leur dire en face et ensuite, j'irai déposer plainte contre eux et faire fermer ce centre.
Alors que je mets le moteur de ma voiture en marche et que je boucle ma ceinture, la portière côté passager claque et des grommellements émergent.
-T'es vraiment chiante Em' ! Tu ne peux jamais rester sagement dans ton coin et laisser la police faire son boulot !
-Tu n'es pas...
-Et ne t'avise surtout pas de me dire que je ne suis pas obligé de t'accompagner !
Oups.
-Evidemment que je t'accompagne ! continue-t-il en rouspétant. Et si ces fous te droguent à nouveau à ton insu ? Et s'ils trouvaient un moyen de t'empêcher d'aller voir les flics ? Et s'ils te faisaient encore du mal ? Et si...
Je perds le fils de ses scénarios catastrophe à mesure que je me concentre sur la moue boudeuse qui orne ses lèvres, sur les plis d'inquiétude qui barrent son front, sur l'éclat de rage qui brille dans ses yeux. Il ne ressemble en rien au que j'ai aimé toute mon enfance, ce si serein et réservé qui me calmait d'un seul regard. Mais d'une certaine manière, il est encore plus beau. Il démolit sa carapace pour se battre pour moi et me protéger. Et je ne l'aime que davantage. Je capture ses lèvres pour mettre fin à ses bougonnements puis je prends la route, plus déterminée que jamais.
Quand nous pénétrons dans le centre, l'hôtesse d'accueil est à son poste. Si elle ne me prête pas la moindre attention, elle se redresse aussitôt pour battre des cils en bouffant mon mec du regard. D'un geste séducteur, elle rejette sa crinière rousse derrière ses épaules pour dégager son décolleté. Quelle gourde ! ne lui accorde même pas un coup d'œil. Nous nous dirigeons d'un pas rapide vers le bureau du Dr Copri. Sans prendre une seule seconde pour réfléchir à ce que je vais faire, j'actionne la poignée et entre dans la pièce sans dnder l'autorisation, sur mes talons.
Le gourou, très surpris par mon intrusion, se redresse sur sa chaise, le regard alerte. Il est en pleine conversation téléphonique mais je n'en ai strictement rien à faire. J'avance jusqu'à pouvoir plaquer violemment mes paumes contre le bois de son bureau et le scruter avec toute la détermination qui m'habite.
-Ecoutez-moi bien, commencé-je sans ménagement.
-Je dois vous laisser, une urgence m'appelle.
Le cinquantenaire au crâne chauve et aux rétines aiguisées comme des lames soutient mon regard sans broncher. Comme s'il attendait ma visite.
-Hier, vous m'avez droguée. Vous m'avez incitée à prendre des cachets qui m'ont fait perdre connaissance puis vous m'avez forcée à vous faire un virement de 1 000€. Vous avez abusé de moi et je ne vous laisserai plus jamais faire. C'est terminé Copri, vous m'entendez ?
Sans sourciller, il croise tranquillement ses mains et se redresse légèrement.
-Premièrement je vous prie de ne pas dévaler dans mon bureau sans vous annoncer. Surtout pour proférer de telles calomnies.
Je sens la frénésie de ma colère bouillir dans mes veines. Je vais l'étrangler. S'il continue à dire ces conneries, je jure que je vais l'étrangler.
-Personne ne vous a droguée, persiste-t-il tout à fait paisiblement. Personne ne vous a forcée à avaler les pilules qui vous étaient proposées. Personne ne vous a forcée à faire le moindre don.
-Arrêtez de vous foutre de moi, éructé-je. J'ai raison et vous le savez très bien. Que contenaient ces saloperies de pilules ? Que m'avez-vous fait ?
-Les pilules que Jason vous a données sont un mélange très intéressant de plantes destinées à calmer le stress et l'agitation du patient. Jason les a sélectionnées pour leurs vertus reconnues depuis des années ici et en voyant l'état dans lequel vous êtes aujourd'hui, je comprends pourquoi il a fait ce choix.
-Alors apportez-moi-en. Je suis sûre que la police sera ravie de les analyser de découvrir quelle drogue vous cachez dedans.
-La police ? dnde-t-il soi-disant innocemment.
-Parce que vous croyez que vous allez encore vous en tirer cette fois ? Je vous l'ai dit Copri, c'est terminé.
Le Dr Copri se lève avec lenteur, étirant son corps pour envahir mon espace et m'intimider une fois de plus. Un frisson me parcourt l'échine mais je ne laisse rien transparaitre. Il fait le tour de son bureau et se plante à quelques centimètres de mon visage. Immédiatement, se positionne de manière à faire barrage.
-Je suis sincèrement navré que votre état mental se soit à nouveau dégradé et que vous vous laissiez envahir par de telles élucubrations. Vos crises d'angoisse semblent atteindre un point culminant et de toute évidence, vous n'en avez pas conscience. Je n'ai rien à vous cacher et pour vous le prouver, je vais vous fournir les pilules que vous me dndez. Analysez-les comme bon vous semble et vous verrez que nous ne souhaitons que votre bien-être.
Le Dr Copri s'éloigne alors pour sortir d'un de ses placards une boite contenant des pilules. Il revient vers moi et m'en tend une. Lorsque mes doigts se referment sur ce que je soupçonne être de la drogue, sa voix grave taillade la fausse quiétude qu'il arborait jusqu'alors.
-Je peux comprendre que votre santé mentale soit au plus bas en ce moment mais je n'accepterai pas que vous détruisiez la quiétude de ce centre. Ne vous avisez pas de m'attaquer ou alors je vous assure que je ne vous laisserai pas faire, .
-C'est une menace ? l'interrogé-je d'une voix tremblante ?
-Au revoir .
Le cinquantenaire en blouse blanche me tourne immédiatement le dos pour rejoindre son siège de bureau. Avant de s'assoir, il relève les yeux vers nous et fixe intensément qui peine à contenir sa rage à côté de moi.
