12
Tu es enfin là, tout à moi. Ne m'abandonne plus jamais, je t'en supplie.
Nous sommes partis depuis plus de deux heures maintenant. conduit mais je ne sais pas où il m'emmène. Pour être tout à fait honnête, je ne pense pas qu'il le sache lui-même. Le ciel est blanc, la route gelée. Mais dans mon cœur, le soleil brille de mille feux. Je ne saurais dire à quel point je suis heureuse d'avoir enfin retrouvé l'homme que j'aime. Au-delà du fait qu'il s'est excusé, je suis surtout soulagée qu'il se soit retrouvé lui-même. Je renoue avec mon si sensible, honnête et prévenant. Enfin... pas aussi prévenant que je le croyais. Figurez-vous qu'après avoir décidé sur un coup de tête que nous devions nous offrir une petite escapade, il m'a mis mon manteau sur mes épaules et m'a poussée jusqu'à sa voiture. Il s'est alors éclipsé quelques minutes avant de revenir armé d'un petit sac de voyage.
La fougue qui le transcendait m'a plaqué un immense sourire sur les lèvres. Moi qui déteste voyager léger, je n'ai même pas grogné quand j'ai compris qu'il me kidnappait sans me laisser la possibilité de rameuter la moitié de mes vêtements et de ma salle de bain. J'ai retrouvé son visage lumineux, plein de vie et de promesses.
Je l'ai embrassé quand il a mis le moteur en route, je l'ai embrassé quand il s'est arrêté au feu rouge, je l'ai embrassé quand il s'est engagé sur l'autoroute. Même perdue au milieu de sa barbe, sa bouche est un appel au crime. Je dois me retenir pour ne pas détacher ma ceinture et l'attaquer langoureusement. Et je crois que je ne suis pas la seule à lutter contre ce désir qui crépite dans l'habitacle. La main de ne cesse de se balader sur mes jambes, mes bras, mon cou. Le bout de ses doigts m'électrise, je sens déjà l'envie de lui se nourrir de chacune de ses caresses pour carboniser ma raison. Mais je résiste. Nous devons rester sages pour espérer arriver entiers à destination.
Le problème, c'est que je devine toutes ses pensées coquines à travers son petit sourire en coin. Elles brillent au beau milieu de ses yeux si clairs qu'ils en deviennent presque transparents. Et je n'ai qu'une envie, assouvir chacune de ces bêtises d'adultes. Je passe paresseusement la main dans ses mèches brunes qui s'échouent sur son front. Ses paupières se plissent aussitôt de tendresse. Il penche légèrement la tête pour profiter de la chaleur de ma main. Le sentir aussi chamboulé par notre amour me rend folle.
Au moment où un camion nous dépasse en klaxonnant, se redresse. Je ricane en l'observant se tortiller sur son siège. Je devrais être sage et le laisser conduire prudemment. Oui, mais je ne suis pas connue pour être sage. Mes lèvres se posent alors dans son cou, il frissonne.
-Poupée, arrête de me rendre fou, on ne va jamais arriver à destination !
-Parce que tu sais où on va ? chuchoté-je, mes lèvres frôlant diaboliquement son oreille.
-Non. Quand j'étais petit, je rêvais de partir à l'aventure, de prendre le volant et de rouler sans savoir où j'allais atterrir.
-Alors roule, on verra bien.
Il détourne brièvement son regard de la route pour me voler un baiser gourmand. Sa barbe me chatouille le visage mais bon sang, que j'aime ça ! Je ne peux m'empêcher de m'y accrocher pour prolonger notre étreinte. Il soupire sur mes lèvres. Je me délecte de ce petit son que je suis la seule à savourer. Mes mains s'aventurent sur la bordure de son jeans, remontent légèrement son pull pour se glisser sur la peau chaude de son ventre tendu. Il grogne et approfondit aussitôt notre baiser. Mes pouces plongent sous l'élastique de son boxer, caressent sa peau si sensible alors que son corps tout entier se raidit déjà. Je ne suis plus qu'une boule de désir prête à exploser. Je rêve de ses mains sur mon corps, de sa bouche sur mon...
- stop ! Je ne vais pas tenir si tu continues comme ça.
Ses iris se réduisent à deux billes incandescentes au milieu desquelles scintillent les promesses les plus inavouables.
-Il ne fallait pas me laisser tomber pendant si longtemps, maintenant j'ai beaucoup trop envie de toi.
-Je sais que j'ai sacrément merdé mais je te promets que je saurais me faire pardonner toute la nuit.
-Juste une nuit ? C'est tout ?
éclate de rire. A lui seul, ce son si pur illumine tous les recoins de mon cœur. Je pivote dans mon siège, les genoux remontés contre ma poitrine, pour mieux apprécier la vue.
-Garde tes mains bien au chaud et sois sage. Ensuite, je te promets des milliers de nuits d'amour, ça te va ?
-Oui.
-Parfait. Tu sais...
Il hésite un instant mais se reprend.
-Je ne veux plus de silence, de mensonge ou de gêne entre nous. Je veux qu'on puisse tout se dire. Je veux que tu sois mon amour et ma meilleure amie.
-Moi aussi, soufflé-je.
-Raconte-moi ce dont tu te souviens de ta vie en Italie. Tu te rappelles de tout ?
-Pas vraiment. Je me souviens de certains endroits, de certains moments mais ce sont surtout des sensations qui me reviennent.
-Des sensations ?
-Oui, je...
Ce n'est pas facile pour moi d'aborder ce sujet. Je ne me suis pas encore autorisée à me confronter à mon passé mais pour le garçon aux yeux bleus, je veux bien essayer.
-C'est bizarre. Je me souviens à quel point j'étais malheureuse quand je suis arrivée là-bas. Je me souviens me disputer avec Enzo, il me reprochait de faire tout le temps la gueule. Je me souviens me sentir seule. Mais je ne me souviens pas vraiment de ma vie là-bas. Je crois que les murs de ma chambre étaient jaunes et que je détestais ça. Il me semble qu'il y avait un bar à côté de la pension et que j'y passais toutes mes soirées. Je me revois en train de danser avec des mecs mais je ne vois pas leur visage. Tout est flou mais ce dont je suis certaine, c'est que je n'étais pas vraiment heureuse.
Un pli strie désormais le front de . Toute espièglerie nous a quittés mais, paradoxalement, nous sommes étonnement sereins.
-Le lendin du bal, je n'ai rien compris à ce qui me tombait dessus. Dès que j'ai ouvert les yeux, je suis allé chez toi. Je n'aimais pas la façon dont on s'était quittés la veille mais quand je suis arrivé, j'ai trouvé porte close. A partir de ce jour-là, tes parents sont devenus des fantômes et moi, j'errais dans notre histoire, oscillant entre colère, incompréhension, chagrin et culpabilité.
Quelques secondes de silence avant qu'il reprenne la parole.
-Je m'en voudrai toujours de ne pas t'avoir écoutée quand tu as voulu me parler.
-Je m'en voudrai toujours de t'avoir cru capable de me repousser aussi méchamment.
Nous libérons un soupir en chœur, nous délestant d'un poids que nous trimballons depuis sept ans maintenant.
- promets-moi qu'on se fera confiance maintenant.
-Je te le promets. Je crois en toi, en nous et rien ne pourra jamais plus me faire douter.
Ses doigts s'entremêlent aux miens. Durant la prochaine centaine de kilomètres, je reste perdue dans le dédale de mes pensées, troublée par ces réminiscences qui fleurissent aux quatre coins de mon cerveau. Je revois des corps d'hommes qui ne sont jamais parvenus à me faire me sentir complète. Je goûte encore les verres d'alcool que je descendais sans sourciller pour me permettre d'encaisser la douleur cuisante qui ne me quittait jamais. Celle que j'étais me salue, une grimace de tristesse sur les lèvres et mon vieil appareil photo en main.
