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11

Bon sang ! Je grogne de nouveau en tournant et retournant dans mon lit. Foutu cerveau, arrête de penser à elle ! Agacé, je me frotte les yeux tout en sachant pertinemment que je vais passer une nouvelle nuit blanche, hanté par tous les souvenirs heureux que nous avons partagés. Il me faut rassembler toutes mes forces pour me rappeler pourquoi je l'ai repoussée, pourquoi je m'inflige tant de mal.

Elle sera bien plus heureuse sans moi.

Quand je me suis réveillé du coma, j'ai compris qu'il fallait que je la laisse partir. Je l'ai toujours su mais j'ai été égoïste. Les révélations de ma mère m'ont convaincu qu'il était temps qu'elle m'oublie. Je ne lui ai apporté que du malheur. C'est parce que j'étais malade que sa mère a fréquenté Natur'alliance, c'est à cause de moi qu'elle a plongé dans leur engrenage et il y a de grandes chances pour que je sois indirectement à l'origine de la mort de ses deux parents. Elle veut se restreindre pour ne pas me mettre en danger mais je refuse qu'elle tire un trait sur ce qui fait sa vie : l'adrénaline. Le risque.

Je préfère passer pour le méchant de l'histoire plutôt qu'elle se force à rester avec moi par pitié.

Mais en attendant, je dois ravaler mes envies d'elle et de sa bouche et de son sourire et de sa peau et de son rire. Plus facile à dire qu'à faire.

Au petit matin, je grommelle en m'extirpant des draps. Je n'ai pratiquement pas fermé l'œil. Je suis de mauvaise humeur. Comme tous les matins depuis dix jours. Mon premier reflexe est de mettre l'album d'Imagine Dragons à fond pour anesthésier mon traitre de cerveau. Je me traine jusqu'à la cuisine où je mange mes céréales au jus de pomme comme un robot. Alors que je suis en train de consulter l'agenda du salon de tatouage, Sam entre comme une furie et me rejoint en trois enjambées.

-Va t'habiller et suis-moi.

Son ton est sans appel, son visage plus sérieux que je ne l'ai jamais vu.

-Quoi ? Pourquoi ?

-Ne discute pas et va enfiler un pull. Grouille-toi.

Je chope le premier vêtement que je trouve. Sam m'attrape aussitôt par le coude pour me tirer dehors. Le froid est saisissant. Mon souffle crée un halo de fumée autour de mes lèvres.

-Tu m'emmènes où ? Laisse-moi au moins attraper mon manteau ! T'es dingue, tu veux me tuer ou quoi ? Il doit faire au moins -10 000 degrés ! Et puis arrête de me tenir le bras comme un gamin. Et pourquoi tu marches aussi vite ? T'as perdu la tête ou quoi ?

Je heurte son dos sans ménagement lorsqu'il s'arrête brusquement. Son regard scrute la devanture de la maison d'enfance d'. Aussitôt, je me raidis. Sur le perron, devant l'entrée, trône une énorme valise rouge.

Une valise.

Une valise, sans doute pleine à craquer vu sa taille.

Putain. Putain. Putain. Putain.

Effaré, je me tourne vers Sam qui arbore toujours une mine grave.

-Je suis passé la voir hier soir, commence-t-il. On a merdé mec. Et c'est ma faute. Je n'aurais jamais dû te proposer de faire cette course. C'était débile et inconscient. Je n'ai pas pu dormir de la nuit. Je m'en veux, si tu savais comme je m'en veux ! Mais il n'y a que toi qui peux la réconforter. Alors je te préviens, je ne bougerai pas d'ici tant que tu n'auras pas mis les pieds dans cette maison. Va t'excuser. Récupère-la.

Je... je... Sans voix. Je suis sans voix. Une valise. Elle va partir. Pour de bon cette fois. Non. Non. Non. Non. Non. Je ne peux pas la laisser faire.

J'effleure le tissu de la valise avec anxiété, du bout des doigts. Je ne sais pas si Sam continuait à me parler quand j'ai avancé sans réfléchir, obnubilé par ce bagage qui cristallise ma plus grande peur. C'est une chose de vouloir qu'elle soit plus heureuse sans moi mais son départ, je ne pourrais jamais m'y faire. Tiraillé entre les hurlements de mon cœur et de ma conscience, je sursaute quand la porte d'entrée s'ouvre brutalement.

Les yeux grands ouverts de surprise, les cheveux relevés en un chignon informe, le corps noyé dans un énorme pull en laine, le regard rougi de tristesse.

La fille dont je suis tombé éperdument amoureux quand j'avais trois ans.

-Qu'est-ce... que... tu fais là ?

Sa voix est lasse, épuisée. Bon sang, je l'ai tellement abimée. J'approche d'un pas vif, mué par un instinct de protection qui rugit dans mes veines, mais elle recule. Elle se protège, oui, mais de moi. Et rien ne pourra jamais me faire plus de mal que la peine mêlée de peur que je lis dans son regard.

-Em', je...

Elle tressaille et ça me brise encore un peu plus. Je ne vois que ça, la façon dont elle a réagi à l'entente du petit nom que je lui donne depuis toujours, comme s'il lui faisait mal dorénavant.

J'ai tout gâché. Et il me suffit d'une plongée dans son regard émeraude pour comprendre que toutes les bonnes raisons du monde ne seront jamais suffisantes pour que j'abandonne l'amour de ma vie.

-Je peux entrer ? dndé-je doucement.

Elle baisse les yeux mais se décale. Je jette un dernier coup d'œil à la valise avant que la porte se referme. Je ne la laisserai pas partir.

L'état de la maison me choque immédiatement. La peur me prend aux tripes.

-Pourquoi est-ce qu'il n'y a plus aucun meuble ?

-Pour passer à autre chose.

Je ferme brièvement les yeux en soupirant, le cœur en pleurs.

- je suis désolé. Si tu savais à quel point je suis désolé ! J'ai agi comme un con depuis l'accident, je t'ai fait beaucoup de mal mais la vérité, c'est que je ne voulais pas que tu gâches ta vie avec moi. Je refuse que tu fasses des concessions et que tu t'empêches de vivre à fond. Je suis la cause de toutes tes souffrances et j'étais persuadé que tu serais bien mieux sans moi alors j'ai tout fait pour te faire fuir. Ces horreurs que je t'ai dites l'autre soir, je n'en pensais pas un mot. Et aujourd'hui...

-Comment as-tu pu penser de telles conneries ? me coupe-t-elle, la voix baignée de tristesse.

Son doux visage est déjà strié de larmes, elle ne semble pas s'en soucier. Je l'ai déjà vue baisser sa garde mais jamais déposer entièrement son armure à ses pieds comme elle est en train de le faire.

-Si je n'avais pas été malade, ta mère n'aurait jamais connu Natur'alliance et elle serait sûrement encore en vie. Ton père aussi. Tu n'aurais jamais fui en Italie et tu n'aurais pas eu cet horrible accident. Tu n'aurais jamais été amnésique et tu n'aurais jamais souffert de tous ces souvenirs qui te manquent encore. Et puis...

Ma voix faiblit alors qu'elle se laisse glisser au sol, le dos contre le mur, la poitrine secouée de pleurs. Je m'agenouille devant elle, ma main cherchant timidement la sienne.

-Tu ne m'aurais jamais considéré comme un raté. J'aurais pu devenir ton héro, comme j'en rêvais quand j'étais petit.

-Mais tu as toujours été mon héro ! éructe-t-elle brusquement. Tu étais celui qui me construisait des cabanes imaginaires à la récré, celui qui partageait son goûter quand j'avais oublié le mien, celui qui chassait mes idées noires en jouant de la guitare, celui qui savait déceler mes faux sourires, celui qui m'a fait croire que je valais peut-être un peu que ce que je pensais. Je me fous que tu ne puisses pas sauter en parachute ou faire des courses de voiture. C'était toi mon vrai héro, depuis le début.

A mon tour, je me laisse submerger par les sanglots en entendant ces paroles que je n'aurais jamais cru possibles. Ma tête s'échoue sur ses genoux remontés contre sa poitrine. Mes bras encerclent ses cuisses. Je la serre aussi fort que je le peux.

-Je suis désolée Em', je suis désolé. Je ne voulais pas... je croyais que... que tu avais pitié de moi mais je... je... je t'aime ! Je t'aime et j'ai tellement peur d'avoir tout gâché !

Je relève le visage pour capturer ses beaux yeux. Je veux être absolument certain que mes paroles s'impriment sur la plus belle partition de son cœur.

-Je t'aime comme un fou, je t'ai toujours aimé et rien ne pourra jamais m'arrêter. S'il te plait, je t'en supplie poupée, pardonne-moi. Pardonne mes erreurs, pardonne mes horreurs et oublie ces dix derniers jours. Donne-moi une nouvelle chance. S'il te plait.

Ses traits se parent d'une multitude d'émotions, toutes plus intenses les unes que les autres. Entre mes mains, la sienne tremble mais je ne la lâche pas. De mon pouce, je caresse l'intérieur de son poignet. De mes yeux, je cajole ses peurs pour les dissoudre et laisser mon amour refleurir au creux de son cœur.

-Tu m'as fait tellement mal...

Sa voix n'est qu'un murmure. Je passe mon bras autour de ses épaules pour la blottir contre mon torse. Aussitôt, sa tête se loge dans le creux de mon cou. Je respire enfin.

-Je sais mais c'est terminé. Si tu veux encore de moi, je te promets que je prendrai toujours soin de toi. Tu es ce qui compte le plus dans ma vie. La musique, le dessin, les tatouages, tout ça n'a aucune importance si je te perds une nouvelle fois.

Elle souffle longuement, se détend entre mes bras. Je la sens capituler mais j'ai besoin de plus. J'ai besoin de savoir qu'elle reste ici, avec moi.

-Regarde-moi poupée. Dis-moi que tu ressens la même chose.

-Tu es mon héro depuis le premier jour. Et je n'ai jamais eu pitié de toi, tu m'entends ? Jamais, pas une seule fois. Oui, j'ai eu peur pour toi, j'ai eu peur de te perdre, j'ai eu peur que tu souffres mais c'est seulement parce que je suis amoureuse de toi et que je ne peux pas empêcher mon cœur de n'aimer que toi.

Des larmes de soulagement m'échappent, rejoignant les siennes sur nos mains entrelacées.

-Alors ne pars pas.

-Partir ? Pourquoi voudrais-tu que je parte ?

-Ta maison est vide et j'ai vu ta valise dehors. Je croyais que tu serais plus heureuse sans moi mais dès que j'ai vu ce bagage de malheur, j'ai eu tellement peur ! Je ne veux pas vivre sans toi. Je ne veux plus passer une seule journée sans te voir, sans t'embrasser, sans te tenir dans mes bras, sans caresser ta peau, sans te voir sourire, sans t'entendre rire. Je veux rattraper tout le temps que j'ai perdu et te répéter tous les jours que je t'aime à en avoir mal. Et si tu me laisses parler plus longtemps, je vais me lancer dans une déclaration d'amour pitoyable alors arrête-moi et dis-moi que tu restes.

-Je reste, répond-t-elle en souriant.

Et mon monde s'illumine de nouveau

-Tu restes ?

Elle opine, un doux sourire toujours greffé aux lèvres. Et je ne peux retenir mes lèvres qui s'étirent déjà bêtement.

-Le souvenir de mes parents était trop présent ici, je n'arrivais pas à m'approprier la maison. Alors j'ai débarrassé tout ce que je ne voulais pas garder et j'ai entreposé le reste dans un garde-meuble. La sine prochaine, un architecte va venir étudier tous les nouveaux aménagements possibles. Comme je te l'ai dit, j'ai envie d'un nouveau départ.

-Et... la valise ?

-J'y ai entassé les dernières affaires qui trainaient ici. La valise, c'est pratique pour transporter tout mon bazar.

Nous nous sourions paresseusement, toujours blottie contre mon corps. Je la serre de plus belle en passant ma main dans ses cheveux que je libère de leur élastique. Je sens la chaleur de sa peau contre la mienne, les battements de son cœur qui répondent au mien et j'inspire longuement, savourant son parfum qui m'a tant torturé.

-Em', chuchoté-je au creux de son oreille. J'ai très envie de t'embrasser.

-Qu'est-ce que tu attends ?

penche légèrement la tête, me dévoilant la peau de son cou que je baise aussitôt avec la plus grande délicatesse. Elle frissonne entre mes bras, ses doigts se cramponnent à mon pull. Lentement, je me fraie un chemin à travers une myriade de frissons jusqu'à retrouver la tendresse de ses lèvres contre les miennes. C'est la plus belle sensation qui existe. Elle s'offre à moi sans retenue, m'offre tout ce qu'elle a de plus beau et je m'en délecte ; je l'embrasse fougueusement, furieusement, amoureusement. Jamais je n'ai aimé aussi intensément.

La fille de mes rêves passe ses bras autour de mon cou. Nous fusionnons de plus belle. Ses lèvres sont miennes, mes caresses sont siennes, notre amour ne fait qu'un et nous le savourons jusqu'à en perdre haleine.

Il nous faut un moment avant de parvenir à desceller nos bouches ; elle me manque immédiatement. Pourtant, elle est toujours là, entre mes bras mais j'ai besoin de plus. J'ai besoin d'elle, entièrement, indéfiniment. Je me penche pour reprendre possession de sa bouche lorsqu'elle pose sa main sur mon torse.

-J'ai très envie d'entendre cette déclaration que tu ne voulais pas faire tout à l'heure.

Je retrouve son sourire espiègle sur son visage, sur lequel plus aucune trace de larme n'est visible. Je me sens tout de suite plus léger.

-Tu veux me ridiculiser, c'est ça ?

-Pas du tout...

Son air faussement angélique me fait le même effet qu'un coup de poing. Je retrouve ma meilleure amie. Qu'ai-je fait pour être aussi chanceux ?

-Hors de question que je te dise que je rêve de toi toutes les nuits, que je n'ai jamais pu me passer de toi et que tu es la première fille que j'ai eu envie de déshabiller. Je ne t'avouerai pas que tu me rends fou quand tu portes une robe et que j'ai toutes les peines du monde à ne pas te dévorer quand tu mets ce rouge à lèvres cerise. Je ne te dirai pas non plus que tu es tout ce dont j'ai toujours rêvé et que je n'aurais jamais imaginé que tu puisses m'aimer comme je t'aime. Je ne te confesserai jamais que lorsque je me regarde dans un miroir, c'est toi que je vois. Dans mon regard, à travers cette minuscule tâche verte au milieu de cet océan bleu. Comme si nous étions prédestinés et que je te portais en moi depuis toujours.

Le contenu de mon cœur étalé à nos pieds, je suis penaud, attendant une réaction. Mais elle reste interdite, la bouche formant un irrésistible « o », les yeux de nouveau baignés de larmes. Soudain, elle fonce sur mes lèvres et s'empare de mes baisers en me tirant au plus près d'elle, s'arc-boutant sous mes paumes enfiévrées. Je ne peux retenir un grognement de satisfaction lorsque sa langue s'enroule autour de la mienne.

-Ne m'abandonne plus...

-Je te le promets poupée, toi et moi on ne se quitte plus.

Je scelle ma promesse d'une nouvelle envolée langoureuse qui nous laisse tous les deux pantelants. Nos caresses se font plus appuyées et bientôt, nous perdons pieds, emportés par la brûlure de notre amour. Nous sommes pratiquement allongés à même le sol lorsque qu'un cri nous fait bondir.

- ! ! Ouvrez-moi !

Sam. Mes yeux s'arrondissent quand je comprends qu'il poireaute dans le froid depuis tout ce temps. Je dépose un petit baiser sur le nez d' avant de me relever pour mettre mon ami au chaud.

-Merci ! Putain, j'ai cru que j'allais perdre tous mes orteils dehors !

-Mais qu'est-ce que tu fais là ? l'interroge ma brune.

-Je montais la garde.

-Tu montais la garde ?

-Ouais. Je surveillais ton mec. C'est bon, vous vous êtes réconciliés ? Je peux rentrer chez moi me réchauffer les fesses ?

-Oui, tu peux y aller, réponds-je en riant.

Sam ne se fait pas prier et déguerpit en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Au moment où il s'apprête à refermer la porte derrière lui, je le rattrape.

-Sam...Merci.

Un clin d'œil et il disparait déjà. Comme Nico, Sam n'a pas besoin de longs discours pour savoir que je lui suis sincèrement reconnaissant. enroule ses petits bras autour de mon ventre et cale sa tête entre mes omoplates. Bon sang, que c'est bon de la savoir de nouveau à moi !

-Je... j'ai...

Sa voix est hésitante mais j'entends ses envies cachées sous ses doutes. Mes mains serpentent le long de ses bras pour mieux l'enlacer.

-Dis-moi tout poupée. On ne se cache plus rien maintenant.

-Je n'arrive pas à croire que... que tu es là et que je peux enfin... te prendre dans mes bras.

Elle s'ouvre à moi. Elle s'autorise à être vulnérable. Elle m'aime. Elle n'a pas pitié de moi. Les mêmes étoiles brillent toujours dans ses yeux. Je pourrais presque en pleurer.

-Enfile ton manteau et viens avec moi, soufflé-je dans un murmure.

-Où va-t-on ?

-J'en sais rien mais on s'en fout non ?

Son immense sourire m'accueille quand mes lèvres se posent sur les siennes. Elle goute l'amour et l'espoir, la joie et la confiance et il ne m'en faut pas plus pour la soulever et la faire tournoyer au rythme de nos rires.

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